«La Purge, La sombre histoire»: Quand le Canada traquait les homosexuels

« J’ai été détruite. Ça m’a traumatisée pour toujours », dit Martine Roy, qui se consacre désormais à la promotion des droits des travailleurs LGBTQ2+.
Pimiento « J’ai été détruite. Ça m’a traumatisée pour toujours », dit Martine Roy, qui se consacre désormais à la promotion des droits des travailleurs LGBTQ2+.

C’est une histoire ahurissante qui s’est produite près de chez vous. Pendant plus de quatre décennies, jusqu’en 1992, le gouvernement canadien a traqué les gais et les lesbiennes, qui représentaient une prétendue menace à la sécurité nationale.

Plus de 9000 personnes ont été exclues des Forces armées canadiennes, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de la fonction publique fédérale.

 

Durant cette période sombre de l’histoire récente, au moins 30 000 Canadiens ont été fichés en raison de leur orientation sexuelle — même après la décriminalisation de l’homosexualité par le gouvernement Trudeau, en 1969, et l’adoption de la Charte des droits et libertés en 1982.

Le documentaire La purge. La sombre histoire, diffusé ce samedi à ICI Télé, revient sur cet épisode extrêmement douloureux pour des milliers de victimes. Le film du réalisateur Orlando Arriagada donne la parole à des militaires qui ont été « purgés » des Forces canadiennes, ainsi qu’à des acteurs sociaux qui ont contribué à faire la lumière sur cette époque pas si lointaine.

« J’avais l’impression de tenir dans mes mains une véritable bombe », raconte dans le documentaire le journaliste Dean Beeby, de La Presse canadienne, qui a découvert ces faits troublants en 1992.

« C’est une histoire renversante. Personne ne me croira », s’est dit ce spécialiste de l’accès à l’information quand il a mis la main sur des centaines de dossiers d’employés fédéraux ayant été rejetés à cause de leur orientation sexuelle.

Tous des espions

 

Cette traque des gais et des lesbiennes a été déclenchée par des tentatives de corruption de diplomates canadiens — et de pays alliés — par l’empire russe, dans les années 1950 et 1960. L’ennemi soviétique a tenté de faire chanter le diplomate canadien John Watkins, qui était homosexuel, et qui est mort des suites d’un interrogatoire dans un hôtel en banlieue de Montréal. Quant au diplomate britannique Guy Burgess, il était bel et bien un espion russe, crime suprême en pleine guerre froide.

« Il était donc évident que tous les espions sont des homosexuels et tous les homosexuels sont des espions », dénonce l’avocat Douglass Elliott, qui a mené une longue bataille judiciaire pour les victimes de la purge contre les homosexuels canadiens.

Un rapport secret du gouvernement canadien décrivait même des « caractéristiques homosexuelles » comme la « défiance envers la société et la tendance à s’entourer d’autres homosexuels [qui] n’inspirent pas confiance ».

Des vies détruites

 

Les victimes de la purge n’en croyaient pas leurs oreilles quand elles se sont fait convoquer par leurs supérieurs pour apprendre qu’elles perdaient leur emploi. « Je me demandais : “C’est quoi mon crime pour être traitée comme un prisonnier de guerre ?” », raconte Lucie Laperle, qui a été exclue des Forces armées en 1978.

« Ils m’ont dompée sur la rue et j’ai craqué en pleurant toutes les larmes de mon corps », ajoute l’ex-militaire.

Elle affirme avoir été violée par un supérieur qui s’était juré de lui « montrer c’est quoi un homme ». Lucie Laperle a vécu une profonde dépression et souffre encore de stress post-traumatique après ce rejet d’une violence inouïe dû à son orientation sexuelle.

« Les serveuses me connaissaient comme la femme qui boit de la bière pis qui braille », raconte-t-elle.

Plusieurs des personnes « purgées » ont pensé au suicide. Certaines l’ont fait. Steven Deschamps, exclu des Forces armées en 1982, a renoncé à se jeter d’un pont parce que la structure n’était pas assez haute pour l’entraîner vers la mort.

Des excuses et des larmes

 

« Tu es une honte pour les Forces canadiennes », lui a dit son supérieur en le congédiant. Il a pu réintégrer l’armée 10 ans plus tard lorsque Brian Mulroney, premier ministre de l’époque, a ordonné la fin de toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle contre les membres des Forces canadiennes.

Le premier ministre Justin Trudeau a présenté en 2017 des excuses officielles aux milliers de Canadiens victimes de cette purge contre les gais et les lesbiennes durant près d’un demi-siècle. Ce geste et les dédommagements de 145 millions de dollars versés aux victimes ont été bien accueillis. Mais les blessures restent profondes.

« J’ai été détruite. Ça m’a traumatisée pour toujours », dit Martine Roy, qui se consacre désormais à la promotion des droits des travailleurs LGBTQ2+. Elle réussit à mener une vie normale. Mais les larmes montent lorsqu’elle raconte son chemin de croix au sein des Forces canadiennes.

Lucie Laperle, elle, évoque ce qui sera inscrit sur sa pierre tombale : « Je n’ai jamais oublié. »

À voir en vidéo