Prôner la diversité des âges en danse

Le spectacle « In My Body » de Crazy Smooth, présenté au FTA 2023
Photo: Jerick Collantes Le spectacle « In My Body » de Crazy Smooth, présenté au FTA 2023

Pour sa 17e édition, le Festival TransAmériques (FTA) offre cette année deux spectacles qui mettent en avant des corps d’âges différents. Le bboyCrazy Smooth y consacre même le propos de sa pièce, In My Body. Pour Oona Doherty et sa création Navy Blue, cet enjeu est moins central, mais était selon elle nécessaire pour son propos.

« Je me retrouve moi-même à 42 ans aujourd’hui. Je regarde vers la gauche, je vois ma jeunesse, et à droite, où je m’en vais. Je me sens au milieu », explique Crazy Smooth lorsqu’il évoque le point de départ de sa nouvelle pièce. En plus de son expérience personnelle, il a aussi mis en place de nombreuses conversations avec des personnes de plusieurs générations, tous dans les milieux du street dance et du hip-hop. « Ce n’est pas une histoire en tant que telle, c’est vraiment un partage sur le thème du vieillissement », poursuit-il.

Bien que sa pièce n’évoque pas directement le vieillissement, Oona Doherty s’interroge sur la diversité des corps et des âges dans le milieu de la danse aujourd’hui. « Ça manque énormément de diversité, oui sur scène, mais aussi dans les publics et dans les lieux de représentation ! Je pense qu’il y a une grande différence entre la « danse communautaire » et la « danse professionnelle ». C’est peut-être lié aux systèmes de ventes, de tournées… », dit-elle.

Pour sa pièce In My Body, Crazy Smooth a voulu amener le public à l’intérieur du corps des danseurs. Il a par exemple enlevé la musique sur une section pour mettre en avant les respirations, le bruit des corps, les impacts sur le sol, etc. « Ça pousse l’imaginaire et ça fait comprendre au public la guerre qui se passe dans nos membres pendant qu’on danse. » En plus de la chorégraphie, Crazy Smooth a aussi intégré des mots et des projections. « Je trouve que les mots peuvent aller à des endroits où les corps ne peuvent pas, et vice versa. Chaque médium a sa force. C’est un équilibre entre chacun d’entre eux, j’ai cherché à ce que toutes les formes des différents médiums se prêtent au propos et créent ensemble un langage », explique-t-il.

« On se montre invincible constamment, décrit le danseur lorsqu’il parle du street dance et des danses issues de la culture hip-hop en général. On est des superhéros, on ne va pas se le cacher, mais, derrière ça, il y a des humains et de la vulnérabilité, et dans notre milieu, c’est encore tabou ». Avec cette oeuvre, Crazy Smooth a donc voulu développer un pan « moins connu » des danses de street dance. « J’espère que cette expérience va permettre aux gens, au grand public, de comprendre un peu mieux notre monde. »

Exposer le vrai

Pour sa pièce Navy Blue, Oona Dohertysouhaitait présenter différents corps et catégories d’âge. « Je voulais vraiment que ça ressemble à un village, ou à une communauté de la vie réelle, dit-elle. Ils ne sont certainement pas tous les mêmes, et c’est ce qui est magnifique. »

« Côtoyer des personnes plus âgées et danser avec elles, c’est quelque chose de très naturel pour nous, les gens de la communauté hip-hop. Tu vas à un jam de street dance et tu y retrouves toujours les trois générations. On ne peut pas exister l’une sans l’autre », affirme-t-il. Pour Crazy Smooth, la cohabitation de danseurs de différents âges n’est pas nouvelle dans son milieu. Elle l’est davantage dans le milieu contemporain, selon lui. « On y voit encore beaucoup de virtuosité et la valorisation de la jeunesse. Des compagnies qui n’embauchent pas de danseurs de plus de 30 ans, c’est encore une réalité. La diversité des corps et des âges n’est pas encore très vaste », déplore-t-il. Même constat du côté de Mme Doherty. « Ce n’est pas fou que les gens qui font du ballet ou du contemporain soient habitués à voir sur scène un groupe de personnes qui ont à peu près les mêmes âge, poids, entraînement… sans parler de la race et de la classe sociale… », dit l’artiste.

Malgré son envie de mettre en scènedes interprètes de différentes générations, la chorégraphe de Navy Blue n’a pas réussi à réunir un groupe aussi diversifié que ce qu’elle espérait. « Quand on lance un appel pour des interprètes, quelles plateformes utilise-t-on ? Qui cela touche-t-il vraiment ? Qui peut se permettre d’être payé ce montant pendant quelques semaines ? Qui peut partir en tournée avec un spectacle ? Qui se présente à une audition de Oona Doherty ? Tout cela exclut déjà un grand nombre de personnes. L’apprentissage du casting est une forme d’art en soi, et je pense que mon travail attire surtout des danseurs bien formés, de classe moyenne et sans handicap. Ce qui est très beau, j’ai de la chance, je ne m’en plains pas, mais je ne dirai pas que c’est diversifié », souligne-t-elle.

In My Body regroupe ainsi neuf interprètes de street dance. Parmi eux, on retrouve notamment des pionniers, comme DKC Freeze ou encore Tash, qui dansaient dans les années 1980. Crazy Smooth se dit très chanceux d’avoir à ses côtés des personnes qui ont vu naître la culture hip-hop à Montréal. « Ils ont vécu cela, et ils sont encore là, alors les avoir sur scène est encore plus spécial. »

Avec cette oeuvre, Crazy Smooth souhaite montrer l’authenticité de chaque danseur. « Personne ne joue de rôle. DKC a 58 ans, il n’essaye pas d’être un bboy de 25 ans. Tout le monde reste soi-même. J’ai voulu exposer le public à ce que moi, de ma perception, je voyais tous les jours en répétition et dans notre communauté. Cette interaction, cette beauté de voir tous ces interprètes interagir, s’aimer, travailler pour un but commun », poursuit-il. Crazy Smooth espère aussi créer « un événement historique » avec cette pièce. « Avoir un groupe d’interprètes, de trois générations de street dance au Canada, qui vont partager la scène, c’est du jamais vu ! C’est un des rares moments où les gens vont avoir accès d’une façon intime à notre culture. »

Navy Blue

D’Oona Doherty. Au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, du 30 mai au 1er juin.

In My Body

De Crazy Smooth. Au Monument-National, du 2 au 4 juin, et au théâtre Le Diamant, dans le cadre du Carrefour international de théâtre, les 9 et 10 juin.

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