La danse pour visibiliser les peuples

Une scène du spectacle d’ouverture du FTA, «Vástádus eana. La réponse est le territoire», d’Elle Sofe Sara
Photo: Knut Aaserud Une scène du spectacle d’ouverture du FTA, «Vástádus eana. La réponse est le territoire», d’Elle Sofe Sara

Pour sa 17e édition, le Festival TransAmériques (FTA) dévoile, dans sa catégorie danse, plusieurs propositions en lien avec l’histoire des peuples autochtones. Le public pourra notamment découvrir la chorégraphe samie Elle Sofe Sara, qui amplifie les voix de son peuple avec Vástádus eana, spectacle d’ouverture du festival. Le chorégraphe Radouan Mriziga présentera quant à lui Libya, qui prend racine dans son héritage amazigh.

« Ça ne parle pas directement du peuple amazigh, je ne voulais pas tomber dans une vision anthropologique, ce n’est pas mon rôle. Mais l’origine de cette pièce vient de moi, de mon enfance, de mes ancêtres », explique Radouan Mriziga. En effet, il est né et a grandi à Marrakech, au Maroc, puis y a étudié la danse avant de s’installer, en 2008, à Bruxelles, où il a fait l’école reconnue PARTS.

Après un premier solo, 55, il a travaillé sur des trilogies. Avec Libya, il s’intéresse à sa propre histoire. « Je suis Amazigh, mon identité est amazighe, et nord-africaine, et arabe aussi. Mes parents, mes grands-parents, sont aussi Imazighen [pluriel de “Amazigh”]. Quand je vais au Maroc, encore aujourd’hui, je vais dans la campagne, chez des Imazighen et on y parle notre langue », affirme-t-il.

Le point de départ de la pièce a été le constat pour le chorégraphe de l’absence d’écrits imazighen. « Les Imazighen existent, vivent toujours et ont toujours existé. Ils ont traversé les époques et pourtant, ils n’ont jamais écrit leur histoire. Ce sont toujours d’autres civilisations, les Égyptiens, les Grecs, les Arabes, etc., qui ont parlé d’eux. J’avais envie de parler de cette histoire dans une perspective personnelle et donc amazighe », poursuit-il.

Le chorégraphe trouvait inspirant qu’un peuple si ancien ait réussi à survivre à travers les années, sans avoir une histoire « monumentale ». « La plupart des Nord-Africains sont Imazighen, ils connaissent leur propre histoire, mais pas les autres gens », affirme-t-il. D’ailleurs, en Occident, c’est plus souvent le terme « berbère » qui est employé pour les Imazighen. Or, celui-ci est péjoratif selon le chorégraphe.

Même constat du côté d’Elle Sofe Sara, qui estime qu’en Norvège, où elle vit, les écoles enseignent peu d’éléments sur le peuple sami. « Ce qu’elles [les écoles] apprennent est assez stéréotypé et pas du tout nuancé, ce qui est regrettable, car cela maintient des informations erronées dans la société », déplore-t-elle.

Pour Mme Sofe Sara, le joik, chant traditionnel sami, a été le point de départ pour sa création Vástádus eana. « C’est une musique que j’entends depuis mon enfance et la danse contemporaine est une discipline à laquelle j’ai été formée à Londres. Je trouve que c’est un grand contraste, mais ça a été très intéressant etstimulant de combiner les deux », raconte-t-elle. La Terre et les changements climatiques ont aussi guidé sa recherche. « En tant qu’êtres humains, nous sommes tous liés à la Terre sur laquelle nous nous trouvons, et également aux gens », ajoute-t-elle.

Côté inspiration, M. Mriziga s’est lui aussi appuyé sur les souvenirs de danse et de musique de son enfance. « On écoute beaucoup de musique, on regarde beaucoup de danse, je me suis inspirée de mémoires profondes en moi qui viennent du nord de l’Afrique », dit-il.

Pour sa gestuelle, il a aussi beaucoup travaillé la notion de coordination et de polyrythmie. Il a aussi eu des discussions avec les danseurs, mais aussi la nouvelle génération d’Imazighen, des penseurs et des écrivains. Enfin, des peintures et des gravures rupestres comme celle du Tassili ont aussi servi d’inspiration. « C’est préhistorique, mais ça montre des gens de la région en train de danser, de chasser, etc. C’est très clair, très bien fait. Je l’ai utilisé pour créer du mouvement », se souvient-il. Enfin, en compagnie des danseurs, M. Mriziga a aussi écrit des poèmes, qui ont ensuite servi de bases à l’élaboration de la chorégraphie.

La danse pour rester

Pour Radouan Mriziga, la chorégraphie est « un temps qui s’adapte pour parler de l’histoire, mais pas seulement. La danse permet de repenser le temps ». « J’ai voulu travailler sur le temps, en général, mais aussi dans nos corps, dans nos mémoires… » raconte celui qui a travaillé sur l’espace auparavant.

Avec Libya, l’artiste espère faire vivre une expérience au public. « J’aimerais les inviter à expérimenter, à entrer dans une façon différente de penser l’histoire. En plus de la grande histoire, il y a aussi toutes les petites histoires », explique-t-il.

Pour Elle Sofe Sara, il est aussi question de parler de mémoire lorsqu’elle évoque la danse. « La danse est la mémoire du corps, elle est aussi intuitive et n’utilise pas le langage pour comprendre rationnellement les choses. Ce que je trouve formidable avec la danse, c’est qu’il est possible de comprendre sans que personne n’ait expliqué avec des mots ou des faits. Vous comprenez parce que vous ressentez, vous percez la présence, l’humeur, les transitions, les couleurs… » pense-t-elle.

Selon Radouan Mrizigan, la danse ne permet pas de conserver une mémoire collective, mais bien de la faire perdurer. « La danse, la chorégraphie, ça ne s’apprend pas à l’école, comme l’histoire classique. La danse sert à garder en vie les choses et à se laisser voyager vers les humains », déclare-t-il.

Lorsqu’on lui demande s’il considère son travail comme étant aussi politique, il reste ambivalent. « Oui, et non. Pour moi, mon travail est poétique en premier lieu. De plus, je ne veux pas m’approprier l’engagement des activistes, qui m’inspirent, comme le cinéma ou autres, mais ce n’est pas ce que je fais, détaille-t-il. Mon art est ouvert à toutes ces questions et si ça amène des discussions, je pense que c’est bien, mais ce n’est pas vraiment mon but. Mais je peux être une voix pour des causes, oui. »

Elle Sofe Sara ne considère pas non plus son art comme de l’activisme ou de l’engagement politique. « Si mon objectif principal était de préserver la culture traditionnelle, je travaillerais dans les communautés samies, avec les enfants et les jeunes, et non dans le cadre de tournées internationales », pense-t-elle.

Elle estime cependant que la danse, la musique et l’art « sont d’excellent moyen d’exprimer les éléments intangibles, immatériels de sa culture ». « Je ne me définis pas comme quelqu’un qui travaille à la préservation de la culture samie, même si mon art peut être considéré comme tel. Je me considère comme quelqu’un qui remet en question le traditionnel avec beaucoup de respect. »

La chorégraphe voit cependant un essor dans l’art, le cinéma et la musique samis actuellement. « Ça contribue largement à « enseigner » à la majorité de la société la vie, la façon de penser et la culture samies. C’est donc quelque chose de très puissant, conclut-elle. Mais, bien sûr, nous avons aussi besoin de structures dans les écoles et dans la société en général pour que la culture samie soit égale à la majorité et incluse comme un élément naturel dans tous les secteurs de la société. »

Vástádus eana

D’Elle Sofe Sara. Dans le cadre du FTA, au Monument-National, du 24 au 26 mai.

Libya

De Radouan Mriziga, à l’Usine C, du 25 au 27 mai

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