Yannick Nézet-Séguin comme dans un film

Le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin et la comédienne Sophie Desmarais sur le plateau de tournage du film «Les jours heureux», de Chloé Robichaud
Laurence Grandbois Bernard -ITEM 7 Le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin et la comédienne Sophie Desmarais sur le plateau de tournage du film «Les jours heureux», de Chloé Robichaud

De passage au Festival international du film de Toronto (TIFF), Yannick Nézet-Séguin est aussi excité que comblé. Et pour cause : Les jours heureux, le nouveau film de Chloé Robichaud, dont il a été le conseiller artistique et technique, est à la hauteur de la foi que le célèbre chef d’orchestre a eue en le projet. Pourtant, comme le confie le principal intéressé, il était au départ un brin circonspect. Au-delà de ce récit d’une jeune cheffe d’orchestre à la croisée des chemins professionnel et personnel, coincée entre un agent — et père — dominateur et une amoureuse récalcitrante, que souhaitait au juste dire la cinéaste par rapport à la musique ? Que du beau, il appert.

« Lorsque Chloé m’a approché, initialement, c’était pour de la recherche : comme elle était en écriture, elle me posait plein de questions en rafale », explique Yannick Nézet-Séguin qui, pour mémoire, a également collaboré cette année avec Bradley Cooper pour son film Maestro.

« Je savais qui elle était — Sarah préfère la course — et je me disais que ce serait sérieux, mais j’étais sur mes gardes. Je me demandais où elle s’en irait avec ça. Parce qu’en fait, une partie de moi avait peur qu’un scénario sur la musique classique, ce soit forcément négatif. On l’a vu dans Tár ou Quartet : c’est toujours des gens qui s’entretuent. »

Aussi légitimes soient-elles, les craintes du chef d’orchestre s’avérèrent infondées.

« À un moment, j’ai compris que ce n’était pas ça du tout, l’idée de Chloé. Ce qu’elle voulait exprimer, c’est que la musique peut être source de libération pour une personne, qu'elle peut l’aider à s’affranchir psychologiquement. Ça me rejoignait tellement qu’à partir de là, toutes mes réserves se sont envolées. Et puis, l’Orchestre métropolitain [qui apparaît dans le film] et moi, notre mission, c’est d’amener la musique au plus grand nombre de gens possible, et le cinéma peut assurément contribuer à ça. Et j’aime que le film montre une jeune cheffe, une femme, sur le podium. »

Parfaite authenticité

Comme elle l’explique dans une entrevue qui sera publiée en amont de la sortie du film, pour cet hommage senti à la musique classique, Chloé Robichaud entendait atteindre un niveau d’authenticité parfait, rien de moins. Une attitude qui plut à Yannick Nézet-Séguin.

« Peu importe le métier que tu exerces, si une personne se propose de faire un film là-dessus, tu veux que ce soit réaliste. Cet engagement de Chloé et Sophie [Desmarais, qui tient le rôle principal d’Emma], je dirais presque qu’il était nécessaire pour que j’accepte de m’abandonner comme je l’ai fait. Je pense que c’est l’apanage des grandes réalisatrices et des grandes actrices, que d’être capables de « prétendre » ce niveau d’authenticité en un court laps de temps. Sophie a travaillé comme une folle : je n’ai que de l’admiration pour elle. »

À titre d’exemple, outre l’intégration des gestes, l’actrice s’est enquise auprès de Yannick Nézet-Séguin des livres consacrés à la théorie du métier qu’elle devrait lire. Lorsque les activités professionnelles du second l’empêchaient de poursuivre, Kensho Watanabe et Nicolas Ellis prenaient le relais avec Sophie Desmarais.

« Mon propre mari, Pierre Tourville, a également "coaché" Sophie. »

La tâche était en l’occurrence doublement complexe pour l’actrice, car son personnage doit être perçu comme cheminant dans sa pratique. De préciser Yannick Nézet-Séguin : « Le défi, c’était non seulement de convaincre, de bluffer, mais aussi de montrer une évolution dans la maîtrise du personnage. Par exemple, lorsque Sophie se présentait devant les musiciens pour le Mozart ou le Schönberg, Chloé rappelait qu’il fallait qu’on sente la nervosité d’Emma dans sa manière de diriger, mais sans que ça fasse en sorte qu’on se dise qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait. C’était un équilibre très difficile. Ça n’a été possible de l’atteindre que grâce à l’intelligence et à l’engagement de Sophie. »

Afin d’incarner avec exactitude cette raideur studieuse dans laquelle se confine l’héroïne au départ, la comédienne demanda à Yannick Nézet-Séguin de lui-même diriger de la sorte, c’est-à-dire en deçà de sa virtuosité, de manière à étudier puis à reproduire le résultat.

« Pour être honnête, c’est un exercice qui a été le fun à faire. Il faut savoir que j’enseigne à l’Institut Curtis, à Philadelphie, et au Domaine Forget, dans Charlevoix — je viens d’une famille d’enseignants : mes parents, mes grands-parents, ma soeur… C’est une valeur fondamentale pour moi. Et bref, l’enseignement, ça te force à garder le contact avec l’ensemble des étapes qui forgent ta technique. Au fond, tu cherches toute ta vie à t’améliorer. Or, pour s’améliorer, il faut parfois revenir à certaines bases. Donc, de me faire demander ça par Sophie, c’était formidable. Et puis, c’est utile, de répondre à toutes les questions qui surgissent : "Pourquoi t’as fait ça avec la main gauche ? Et pourquoi ceci avec la droite ?". »

Parce qu’en répondant, on se souvient en quoi c’est important.

Oeuvre émouvante et vraie

Hormis son expertise technique, Yannick Nézet-Séguin fit profiter la production de sa sensibilité artistique et de sa compréhension profonde de la musique. Cela, parce que les pièces sélectionnées dans le film jouent un rôle clé sur le plan narratif.

 

« C’était important de bien aligner la musique avec le déroulement du film. Par exemple, lorsqu’on y joue l’Adagietto de Mahler, c’est une séquence complexe, avec des flash-back familiaux que Chloé alterne avec Sophie au présent… »

Puissant, ce passage constitue pour la protagoniste un moment charnière, soit celui d’une illumination douloureuse, mais émancipatrice. C’est un deuil et une renaissance tout à la fois. Et c’est la combinaison de la réalisation, du montage, du jeu et, oui, de la musique, qui fait en sorte que l’émotion crève l’écran.

Lorsqu’on demande à Yannick Nézet-Séguin ce qu’il a pensé du film, son visage déjà lumineux s’éclaire davantage.

« J’ai accompagné le développement du film sur une longue période. La première fois que je l’ai vu en entier, terminé, comment vous dire… ? Cette espèce de non-dit qu’il y a dans le film, et ça, c’est tellement Chloé, c’est venu me chercher et ça m’a noué la gorge dès les premières minutes. Je suis resté comme ça jusqu’à la fin. J’ai trouvé ça tellement beau. Le but que je m’étais fixé en acceptant de participer au projet, à savoir que la musique soit montrée comme une chose qui peut aider les êtres à se libérer, voire à trouver un sens à leur vie, c’était là, c’était dans le film. Je suis très fier d’avoir contribué à une oeuvre qui est aussi émouvante, qui est aussi vraie. »
 

Le film Les jours heureux prendra l’affiche le 20 octobre.

François Lévesque est à Toronto grâce au soutien de Téléfilm Canada.

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