«Solo» sacré meilleur film canadien au TIFF

Le producteur Étienne Hansez et la cinéaste québécoise Sophie Dupuis, dont le long métrage «Solo» a été sacré meilleur film canadien, au Festival international du film de Toronto, le 17 septembre 2023
Photo: Getty Images Agence France-Presse Le producteur Étienne Hansez et la cinéaste québécoise Sophie Dupuis, dont le long métrage «Solo» a été sacré meilleur film canadien, au Festival international du film de Toronto, le 17 septembre 2023

Le Festival international du film de Toronto s’est clos ce dimanche de la même manière qu’il avait commencé, c’est-à-dire sans défilé de stars sur son tapis rouge : esseulée, la voie carmin que foule habituellement le gratin hollywoodien, en grève cette année. Maints cinéastes de premier plan sont en revanche venus soutenir leurs films, ceux-ci souvent de remarquable tenue. Le cru québécois était particulièrement relevé, y compris Solo, de Sophie Dupuis, sacré meilleur film canadien. Or, en dépit d’une programmation de qualité, 2023 aura été difficile pour le TIFF, puisque maintes de ces vedettes si cruellement absentes ont fustigé l’événement en réclamant que soit bannie des commanditaires la Banque Royale (RBC), à cause de son soutien aux énergies fossiles.

On aurait tort de minimiser l’impact de la pétition signée entre autres par Joaquin Phoenix, Julianne Moore et Leonardo DiCaprio. C’est un véritable camouflet pour le TIFF. En effet, en temps normal, le festival canadien mise beaucoup sur la présence de gros noms du cinéma américain.

On a eu beau continuer de remercier avant chaque projection tous les commanditaires, dont la RBC, le malaise était palpable.

 

Un malheur n’arrivant jamais seul, avant même le début des festivités, Bell a annoncé mettre un terme à sa relation avec le TIFF à titre de commanditaire. Et c’est sans parler des manifestations d’acteurs qui se sont tenues à proximité du festival, devant les locaux d’Apple et d’Amazon.

Bref, entre deux premières mondiales et projections de presse, les journalistes venus d’un peu partout avaient de quoi discuter. Quoique, sans minimiser l’importance des questions environnementales et financières, c’est le septième art qui est resté au coeur des échanges entre professionnels. En l’occurrence, il y avait de quoi.

Précédés d’échos élogieux, certains films ont sans surprise fait consensus, à raison. Ainsi le lauréat de la Palme d’or Anatomie d’une chute, de Justine Triet, s’est-il révélé aussi remarquable qu’espéré. Sandra Hüller y éblouit en autrice accusée (à tort, ou pas ?) du meurtre de son mari. Idem pour le nouveau Wim Wenders, Perfect Days : un retour en délicatesse et en beauté à la fiction, avec une performance magnifique (primée à Cannes) de Kōji Yakusho, en nettoyeur de toilettes publiques.

Réalisé par l’imprévisible, rare et talentueux Jonathan Glazer, The Zone of Interest, sur un directeur de camp de concentration nazi, a déconcerté, mais emballé, avec à nouveau Sandra Hüller. Coup de coeur pour Strange Way of Life, court métrage de Pedro Almodóvar contant les amours contrariés de deux cow-boys.

Gagnant de la Palme queer à Cannes, Monster, de Hirokazu Kore-eda, sur un gamin qui est « peut-être » intimidé à l’école ou a « peut-être » été malmené par un enseignant, ménage surprises et bouleversements. Fort de son Grand Prix du jury à Venise, Evil Does Not Exist, de Ryusuke Hamaguchi (Drive My Car/Conduis mon char), à propos des habitants d’une petite ville de montagne qui s’inquiètent de l’arrivée prochaine d’un développement touristique, a déployé sa charge hypnotique.

Sans oublier le film d’ouverture : The Boy and the Heron (Le garçon et le héron), chant du cygne de Hayao Miyazaki où le réalisateur des chefs-d’oeuvre Princesse Mononoké et Le voyage de Chihiro se surpasse encore.

Le bon grain et l’ivraie

Quant à The Holdovers, d’Alexander Payne, il ne serait pas étonnant que sa vedette Paul Giamatti, en professeur misanthrope, se retrouve nommée aux Oscar. Parlant d’Oscar, on souhaite également des nominations à Annette Bening et à Jodie Foster, mémorables dans Nyad, drame biographique consacré à la nageuse Diana Nyad.

Au rayon « film qui fait du bien basé sur une histoire vraie », Taika Waititi a fait plus rire lors de sa présentation (où il a boxé avec son micro au point de le briser) qu’avec son film Next Goal Wins, où un entraîneur déchu (Michael Fassbender) tente de transformer une équipe perdante en équipe gagnante : une production sympathique, bien intentionnée, mais convenue.

Dans le même registre, The Burial, de Maggie Betts, s’est avéré un peu plus relevé. Tommy Lee Jones et Jamie Foxx y forment un beau duo dépareillé, le premier en propriétaire de maison funéraire floué, le second en avocat flamboyant. Prévisible, mais savoureux. Toujours du côté des récits vécus, Dumb Money (Bêtement riche), de Craig Gillespie, une satire jouissive relatant comment un analyste impertinent fit trembler Wall Street, a emporté l’adhésion.

Il est cependant certains titres dont la présence aura laissé pantois. Première réalisation de l’acteur Chris Pine, la comédie policière Poolman s’est attiré des critiques assassines. Autre première réalisation, pétrie de clichés et de virages dramatiques mal négociés, North Star de Kristin Scott Thomas a déçu avec Scarlett Johansson, Sienna Miller et Emily Beecham peu crédibles en trio de soeurs fâchées.

N’ayant pas bénéficié du même genre de visibilité, plusieurs perles cachées se seront toutefois révélées en cours de festival. C’est le cas du gagnant du Prix du public, American Fiction, de Cord Jefferson, où Jeffrey Wright joue un professeur et écrivain noir qui, las de ne pas être publié, écrit sous pseudonyme un roman alignant tous les clichés littéraires réservés à la culture afro-américaine. S’ensuit un succès retentissant, mais embêtant.

On pense en outre à Avant que les flammes ne s’éteignent (projeté au TIFF sous le titre After the Fire), de Mehdi Fikri, dans lequel une famille de banlieue française réclame transparence et justice après le décès de l’un de ses fils aux mains de policiers. Ou encore à The Movie Teller, de Lone Scherfig, où une jeune femme remonte le moral de son village minier chilien en narrant les films qu’elle va voir chaque semaine : un hommage doux-amer au cinéma.

Et que dire du fou mais brillant Dream Scenario, de Kristoffer Borgli ? Cette production A24 (Everything Everywhere All at Once) conte comment la vie d’un professeur (tiens) interprété par Nicolas Cage est chamboulée lorsqu’il se met à apparaître dans les rêves d’inconnus.

Retour sur les films d’ici

Enfin, il faut insister sur la qualité extraordinaire des nombreux films québécois présentés, et en majorité réalisés par des femmes : Solo, de Sophie Dupuis (à l’affiche et à voir absolument), Les jours heureux, de Chloé Robichaud, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, d’Ariane Louis-Seize (primé à Venise), Simple comme Sylvain, de Monia Chokri, Irena’s Vow, de Louise Archambault, Mademoiselle Kenopsia, de Denis Côté, Kanaval, de Henri Pardo (prix Amplify Voice et mention spéciale au Prix du meilleur film canadien), et Ru, de Charles­-Olivier Michaud, d’après le roman autobiographique de Kim Thúy.

Il n’y a en l’occurrence rien de chauvin à le relever. À preuve, pendant le TIFF, la publication américaine Variety, la bible de l’industrie, a consacré un long article au contingent québécois.

Bref, c’est dire qu’une rentrée cinématographique d’exception s’annonce chez nous. On aura l’occasion d’en reparler.

François Lévesque était à Toronto grâce au soutien de Téléfilm Canada.

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