«Dumb Money»: analyste dénudé et milliardaires paniqués

Pour se préparer à incarner le personnage de Keith Gill, Paul Dano a écouté toutes les vidéos produites par l’analyste financier.
Entract Films Pour se préparer à incarner le personnage de Keith Gill, Paul Dano a écouté toutes les vidéos produites par l’analyste financier.

Lors de sa première mondiale au Festival international du film de Toronto (TIFF), Dumb Money (Bêtement riche) a provoqué l’hilarité dans la salle bondée du Roy Thomson Hall. Et pour cause : le film a été réalisé par Craig Gillespie, qui renoue ici avec la satire et le récit biographique, une combinaison lui ayant déjà réussi dans I, Tonya (Moi, Tonya).

Le film revient sur l’histoire incroyable mais vraie de Keith Gill, alias Roaring Kitty, alias DeepFuckingValue, un analyste financier dont les vidéos et interventions sur les réseaux sociaux à propos de la pertinence d’investir dans la compagnie GameStop emportèrent l’adhésion de tellement de gens que la valeur de l’action explosa. Cela, au grand dam de bonzes de Wall Street ayant plutôt misé sur un effondrement. Sujet aride ? Pas avec Craig Gillespie à la barre.

« En fait, j’ai vécu cette histoire par l’entremise de mon fils de 24 ans : il habitait à la maison pendant la pandémie et il suivait assidûment Keith Gill et a investi dans GameStop », explique le réalisateur de Cruella lors d’un entretien exclusif.

« J’ai vu mon fils traverser ces montagnes russes financières ; c’était rocambolesque. Il consultait la valeur de l’action toutes les trois minutes. Lorsque l’investissement de départ de Keith a été multiplié par cinquante, j’ai posé à mon fils la même question que les personnages se font poser dans le film : “ Est-ce que tu vends ?” »

Il faut savoir que, plus ces hordes inattendues de petits investisseurs galvanisés par Keith Gill (Paul Dano) faisaient comme ce dernier et refusaient de vendre en attendant plutôt de voir si la valeur grimperait encore, et plus le fonds spéculatif Melvin Capital Management perdait de l’argent. À un moment, ces pertes représentaient 1 milliard de dollars américains par jour pour son fondateur, Gabe Plotkin (Seth Rogen).

La suite montre comment divers « gros joueurs » institutionnels tentèrent de briser ce fâcheux mouvement populaire.

Scénario rigoureux

 

Le film a beau être furieusement drôle, il n’en est pas moins rigoureux dans son rappel des faits. À ce propos, Craig Gillespie insiste sur la qualité du scénario de Lauren Schuker Blum et de Rebecca Angelo, qui ont collaboré à la série Orange Is the New Black et au futur film Wolfman, qui mettra en vedette Ryan Gosling.

Le récit qu’elles ont concocté est effectivement aussi cinglant qu’intelligent, et non dénué d’émotions. Les coscénaristes sont en outre parvenues à convoquer quelque chose de plus abstrait, comme le signale le cinéaste :

« Le scénario de Lauren et de Rebecca rend parfaitement cette intensité dont j’ai été témoin dans ma propre maison. »

Craig Gillespie indique du même souffle que le scénario n’était pas figé du tout. En effet, son approche est celle de l’ouverture, de telle sorte que les bonnes idées, d’où qu’elles viennent, sont toujours les bienvenues.

« Je pense à la séquence entre Keith et son frère Kevin [Pete Davidson], au circuit de course à pied [où va chaque jour s’entraîner le premier]. Je voulais qu’on ajoute une scène où ces deux-là se réconcilient. Lauren et Rebecca ont fait des recherches, et elles sont tombées sur un article relatant que Kevin avait couru 1,5 kilomètre par une nuit d’orage, flambant nu. Dans la scène qu’elles ont écrite, Kevin évoque ce fait d’armes pour inciter son frère Keith à prendre un risque, à faire comme lui et à “courir la graine à l’air” — au figuré et non au sens propre dans son cas. »

Et les deux frères, que tout oppose, de se rapprocher par le rire. En l’occurrence, cette nouvelle scène en engendra une autre.

« Un soir, Paul m’a appelé en me disant que ce serait bien de faire écho à ce moment à la toute fin du film. »

C’est ainsi que Craig Gillespie filma Paul Dano et Pete Davidson courant dans leur plus simple appareil sur ledit circuit, par nuit claire cette fois.

Toujours au sujet de Paul Dano, Craig Gillespie n’a que des bons mots pour l’acteur. Après avoir notamment brillé dans There Will Be Blood (Il y aura du sang), de Paul Thomas Anderson, 12 Years a Slave (Esclave pendant douze ans), de Steve McQueen, et Prisoners (Prisonniers), de Denis Villeneuve, Dano livre une autre performance éblouissante.

« Paul est un acteur vraiment sérieux, dans le meilleur sens qui soit : il accroît la qualité de n’importe quel film par sa seule présence », estime Craig Gillespie.

« Il est tellement préparé : il a écouté avant le tournage toutes les vidéos de Keith Gill, soit l’équivalent de sept heures de matériel par semaine pendant un an. Il était un peu le gardien de toute cette documentation, et parfois, il pouvait me dire quelque chose du genre : “Il y a ce truc que Keith a dit, qu’on pourrait intégrer à tel endroit.” Beaucoup de ce que Paul dit dans le film relève du verbatim. »

L’humour et la vie

Lorsqu’on lui demande pourquoi la comédie, surtout celle qui se colore de satire, lui sied tant, Craig Gillespie hésite un instant, pensif.

« Ma vision de la comédie au cinéma, c’est qu’il faut que ce soit comme dans la vraie vie. Dans ta famille, ou avec tes amis, lors de situations plaisantes, ou intenses, ou inconfortables, l’humour est utilisé de plein de façons : pour rassembler, pour faire diversion, comme armure… Mais bref, l’humour est une constante dans nos vies. L’humour agit en outre comme un agent révélateur : il nous renseigne sur une personne, sur sa manière d’interagir. Et quand on transpose ça au cinéma, ça semble plus authentique, en plus d’être divertissant. Dans un scénario, je cherche toujours ces moments où une note d’humour viendra transformer la teneur d’une scène de manière imprévue. »

Dans Dumb Money, on parle davantage de symphonie comique que de notes éparses. Le niveau d’amusement ne sera cependant pas le même pour tout le monde, comme le fait remarquer le réalisateur.

« La perception de cette histoire est subjective. Ma manière de la raconter, de la mettre en scène, l’est tout autant. Le spectacle d’un milliardaire de Wall Street en déroute fera hurler de rire la plupart des gens, mais ne fera probablement pas rire les personnes riches. Quand on regarde un film, on choisit un camp en fonction de qui l’on est et de son expérience : c’est très personnel. Le rapport à l’humour est très personnel. »

À voir la quantité de spectatrices et spectateurs qui se tapaient sur les cuisses au TIFF, il ne devait pas y avoir grands millionnaires et milliardaires dans la salle. La réflexion fait sourire Craig Gillespie.

 

« Devant la réaction des gens face au film, je constate qu’ils rient, mais qu’ils sont en colère également. Ça me rend heureux, parce que c’est exactement ce que j’espérais susciter : qu’on soit à la fois diverti, qu’on ait du plaisir, mais qu’on ressente un sentiment d’outrage. »

Le film Dumb Money prendra l’affiche à Montréal le 22 septembre puis partout au Québec le 29 septembre. François Lévesque est à Toronto grâce au soutien de Téléfilm Canada.

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