«Avant que les flammes ne s’éteignent»: échos des émeutes françaises dans un film coup de poing

L’une des scènes du film «Avant que les flammes ne s’éteignent», qui raconte le récit d’une famille en quête de justice suite à la mort d’un fils aux mains des policiers.
Fournie par le TIFF L’une des scènes du film «Avant que les flammes ne s’éteignent», qui raconte le récit d’une famille en quête de justice suite à la mort d’un fils aux mains des policiers.

Lors d’un festival de films, il en est toujours un qui ne figurait pas sur le radar cinéphile, mais qui, de par sa force de frappe inattendue, devient illico l’une de ces oeuvres dont on veut parler à tout le monde. Dévoilé en première mondiale au Festival international du film de Toronto (TIFF), Avant que les flammes ne s’éteignent, de Mehdi Fikri, constitue un tel cas de figure. Ce récit d’une famille de la banlieue de Strasbourg en quête de justice après que l’un de ses fils eut péri aux mains de policiers, colle en outre de manière troublante à l’actualité en France où, après les émeutes survenues dans la foulée de la mort du jeune Nahel Merzouk, maintes interpellations ont lieu ces jours-ci. Or, si le cinéaste ne pouvait prévoir que sa fiction rejoindrait à ce point la réalité, la chose ne le surprend hélas pas outre mesure.

En effet, comme le rappelle le film au moyen de vidéos d’archives lors du générique de fin, des manifestations provoquées par des affaires similaires, il y en a eu d’autres dans l’Hexagone. Et il se trouve qu’en la matière, Mehdi Fikri s’y connaît.

« Du temps où j’étais journaliste à L’Humanité, un journal de gauche, les affaires policières, judiciaires, et tout ce qui touchait les quartiers populaires, c’était mon domaine », explique celui qui s’est converti au cinéma en 2019.

« Mes parents étaient militants politiques, poursuit-il. Et j’ai beau dire à la blague qu’ils ont raté tous les combats de leur génération, leur engagement m’a aidé à me construire. La question de la transmission politique, ça me passionne de longue date. Mes premiers courts métrages portaient déjà sur ça [voir Descente, sélectionné à Venise en 2021]. Le désir d’un récit d’initiation politique, c’est très ancien chez-moi. »

Dans ce premier long métrage, on suit Malika (Camélia Jordana), l’aînée du clan. De son propre aveu pas du tout politisée avant les événements, Malika devient celle qui mène la charge contre des autorités. Lesquelles maintiennent une opacité autour de la nature exacte des événements ayant mené au décès de Karim, le frère cadet.

« J’ai eu le déclic d’écriture en voyant le film 120 battements par minute, qui relate une lutte politique réelle, mais avec des personnages fictifs. D’emblée, il était exclu que je tente de traiter de la question des violences policières dans sa globalité, parce que c’est une lutte qui n’a pas de fin. J’ai plutôt choisi de m’attarder à l’arc d’une famille, par l’entremise d’une des soeurs. »

L’influence de Lumet

Mehdi Fikri était en outre mû par une volonté de montrer la politique sous un jour positif : « Au cinéma, la politique rime presque toujours avec corruption, tristesse ou mélancolie ouvrière », résume-t-il.

Dans Avant que les flammes ne s’éteignent, plus Malika s’instruit sur les rouages politiques (et médiatiques), et plus son horizon s’élargit. Mais cela ne se fait pas sans heurts.

Car au sein de la famille, il y a divergences d’opinions. D’aucuns veulent créer un mouvement populaire, alors que d’autres préfèrent enterrer Karim rapidement. Tout le monde a ses raisons, valables au demeurant. Rien n’est simple. D’ailleurs, même les personnages secondaires, comme ce militant qui vient apporter son support pas du tout désintéressé à la famille, ont de l’épaisseur.

Évidemment, Malika domine en complexité et en contradictions. On l’apprendra, que la vérité soit connue et que justice soit rendue pour son frère, revêt pour elle une dimension doublement personnelle. De fait, c’est à l’initiative de Malika que Karim, pour s’être pour une énième fois mis dans le pétrin, avait été rejeté par les siens peu avant le drame.

C’est donc en partie pour se racheter que Malika fonce et s’entête, risquant commerce et couple.

« Chez le cinéaste Sidney Lumet, un des questionnements de fond pour les protagonistes, c’est : « Quel prix suis-je prêt à payer afin de pouvoir me regarder dans un miroir ? ». Je pense entre autres à The Verdict [Le verdict ; 1982]. C’est la mise en cohérence d’une injustice et d’une intimité. Pour moi, réunir le politique et l’intime, c’était fondamental. »

Pour revenir à Karim et à son passé trouble, le fait qu’il était « connu des milieux policiers », participe de ce refus de tout manichéisme dans le film.

« Là, je vais citer James Baldwin, et après j’arrête avec le name-dropping, promis », lance Mehdi Fikri en riant.

« Baldwin dit : « Il faut être dur avec les siens ». Personne n’est un saint ou une sainte dans cette histoire. Mais justement, même si le petit frère était un délinquant, ça ne veut pas dire qu’il méritait de mourir. »

Pour le compte, c’est là l’une des raisons ayant poussé Mehdi Fikri à recourir à la fiction : il jugeait impératif de ne pas être influencé, ou de se sentir obligé vis-à-vis les membres d’une vraie famille éprouvée.

Portés par le sujet

 

Tout fictif soit-il, le film n’en dégage pas moins une impression de complète authenticité. Tourné avec une caméra nerveuse, à l’affût, toujours prompte à saisir la teneur émotionnelle du moment — atterrement, frustration sourde, joie fugace -, le film convainc à chaque détour.

« C’est un tournage qui s’est déroulé très vite : on n’avait pas beaucoup de temps, et peu d’argent. Le sujet du film nous à tous portés. Il y avait un investissement physique, de toute l’équipe. »

Il faut préciser que les interprètes, surtout Camélia Jordana, sont d’une vérité absolue.

« J’ai souvent été bouleversé par les actrices et les acteurs, pendant le tournage. En tant que personne venant de l’écriture, j’avoue que je n’étais pas préparé à ça. »

Parlant d’écriture, Mehdi Fikri explique que, malgré un scénario hyperdocumenté, il restait ouvert à tout sur le plateau. Certains passages mémorables sont tributaires de cette approche.

« Il y a ce moment où le militant professionnel [Samir Guesmi] livre ce monologue à Malika. Cette séquence, on l’a improvisée lors du tournage, mais à partir d’une source réelle. J’avais dans mes archives, depuis 2015, un extrait d’interview que j'avais réalisée avec une militante. J’étais tellement fan de ce que Samir apportait au film, que j’ai voulu lui en donner davantage. J’ai donc adapté ça pour son personnage, pendant une pause, et on a filmé juste après. »

La scène où la petite soeur (Sonia Faidi) fume des joints en pleurant dans les bras de deux copines fut créée in situ également.

 

« Ces deux meufs habitaient la cité où on tournait. Au bout de deux semaines, elles sont venues me voir en me disant : « Mehdi, s’il te plaît, mets-nous dans ton film ! » Elles avaient trop une allure, tu vois, alors j’ai dit : « OK ». J’adore ce moment du film. Le cinéma, c’est aussi l’art de savoir s’adapter, de savoir reconnaître un truc bien lorsqu’il se présente. »

Raconter la solidarité

 

Lorsqu’on lui demande si, dès le départ, le personnage principal était Malika, plutôt qu’un frère, un père ou une mère, le réalisateur opine.

« Les hommes meurent et les femmes se battent […] On commence avec une héroïne qui est en désaccord avec sa famille par rapport à la marche à suivre, et qui est dans le silence, et on termine avec une héroïne qui a réussi à souder sa famille autour d’elle et à prendre la parole. »

Mehdi Fikri, cinéaste féministe ?

« Ce n’est pas à moi d’être féministe : je n’ai pas à m’approprier ce combat-là. Néanmoins, construire un personnage féminin, c’était quelque chose qui me tenait à coeur. En France, les personnes de couleur dans la fiction et les médias, elles ont plusieurs fonctions. Une de ces fonctions, c’est de fournir un espace où les gens peuvent encore kiffer le virilisme, le côté sauvage, grrr… : c’est aussi ça, le cinéma de banlieue en France », déplore le réalisateur.

« À l’inverse, d’avoir une femme, qui est propriétaire d’un commerce qui fonctionne bien, qui a un bébé, un mari, bref, qui est une daronne, comme on dit chez-nous, ça me plaisait énormément. Tu sais, y’a plein de clichés sur les Arabes, en France, dont celui voulant que c’est la guerre des sexes ; que les hommes détestent les femmes et que les femmes ne pensent qu’à fuir leurs familles… Moi, j’ai voulu raconter la solidarité », conclut Mehdi Fikri.

Le film Avant que les flammes ne s’éteignent sort en France le 15 novembre, mais n’a pas encore de distributeur au Québec. François Lévesque est à Toronto grâce au soutien de Téléfilm Canada.
 



Ce texte a été modifié après publication pour y ajouter des précisions.

 



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