Qu’est-ce que le mouvement du Khalistan dont se réclamait Hardeep Singh Nijjar?

Hardeep Singh Nijjar a été tué par balles dans le stationnement du temple sikh qu’il dirigeait, à Surrey, dans le Grand Vancouver. Sur la photo, on aperçoit des membres de la communauté sikhe portant son cercueil, le 25 juin dernier.
Darryl Dyck La Presse canadienne Hardeep Singh Nijjar a été tué par balles dans le stationnement du temple sikh qu’il dirigeait, à Surrey, dans le Grand Vancouver. Sur la photo, on aperçoit des membres de la communauté sikhe portant son cercueil, le 25 juin dernier.

Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré lundi que les allégations selon lesquelles le gouvernement indien a joué un rôle dans la mort de Hardeep Singh étaient crédibles. Les tensions diplomatiques ont continué à monter mardi, alors que le public canadien s’inquiétait déjà de l’ingérence étrangère chinoise. Le Devoir a demandé à deux experts des éléments de contexte pour y voir plus clair.

Qu’est-ce que le sikhisme ?

D’emblée, les deux spécialistes de l’Inde tiennent à établir une distinction très claire entre les sikhs qui pratiquent leur religion, la violence, le terrorisme ou d’autres mouvements politiques. Les sikhs se plaisent à dire qu’ils ont pris le meilleur de l’hindouisme et le meilleur de l’islam. Ce qui n’est pas éloigné de la vérité, admet le professeur Mathieu Boisvert : « C’est littéralement un syncrétisme entre ces deux religions. »

Cette tradition religieuse débute au XVIe siècle et part de l’expérience du fondateur, le Guru Nanak, originaire du Punjab, région qui était à l’époque un royaume, dit le directeur du Centre d’études et de recherches sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora (CERIAS).

Le sikhisme est « une tradition de dévotion, de l’amour et de la paix », où le service à la communauté prend une place très importante, expose quant à elle Diana Dimitrova, professeure à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

Les sikhs ne sont pas violents, insiste-t-elle : « Même parmi les sympathisants du mouvement Khalistan, ils sont loin de tous prôner la violence. […] » Il ne faut pas rendre leur vie encore plus difficile en les marginalisant, ajoute-t-elle.

Quelle est l’importance de la communauté sikhe au Canada ?

Plus de 770 000 personnes se sont déclarées sikhes lors du dernier recensement en 2021, ce qui représentait 2,1 % de la population canadienne. Il s’agit de la plus grande communauté en dehors de l’Inde, une diaspora de première importance.

Au Québec, il y a un peu plus de 23 000 sikhs, une petite communauté en comparaison de celles de la Colombie-Britannique et de l’Ontario. La ville de Surrey, où M. Nijjar a été tué en juin dernier dans le stationnement de son temple, appelé gurdwara dans cette tradition, inclut la deuxième population sikhe en importance au pays, soit plus de 154 000 personnes.

L’Organisation mondiale des sikhs du Canada réclamait déjà depuis juin que les services de renseignement canadiens clarifient l’implication de l’Inde dans ce meurtre.

Qu’est-ce que le mouvement du Khalistan ?

Hardeep Singh Nijjar était connu pour son militantisme visant à créer un État indépendant du Khalistan, qui comprendrait le territoire historique du Pendjab, incluant la province actuelle dans l’Inde, dont environ 60 % de la population est sikhe. Il aurait été impliqué dans l’organisation d’un référendum pour les sikhs émigrés au Canada afin de démontrer leur soutien au « Khalistan ».

Pour Mathieu Boisvert, il faut remonter au moins à l’indépendance de l’Inde en 1947 pour mieux comprendre. Au moment de la partition sanglante du territoire jusqu’alors sous le contrôle britannique, le territoire du Pendjab est divisé entre le Pakistan, à majorité musulmane, et l’Inde, à majorité hindoue. Les habitants sikhs se sentent alors « des laissés-pour-compte » et les velléités d’indépendance émergent avec plus de force.

« Il y a des mouvements d’indépendance partout dans le monde comme en Catalogne ou en Écosse. Ce n’est pas le discours en soi qui est problématique. Dans une perspective canadienne, il s’agit de liberté d’expression. Mais dans le regard indien, c’est un acte de sédition. Ce sont deux perspectives très différentes », dit-il.

Dès le début du XXe siècle, des immigrants sur la côte ouest américaine et canadienne, notamment à Vancouver, ont créé le mouvement Ghadar, rappelle Mme Dimitrova. Les membres, en majorité des sikhs, réclamaient alors la révolte contre les Britanniques. « La communauté de la diaspora était déjà impliquée », mais pour une autre cause, expose-t-elle.

Qu’est-ce qui est en toile de fond des événements récents ?

Des tensions entre les différentes communautés en Inde se sont fait sentir dans l’histoire plutôt récente. Des violences ont fait des milliers de morts, notamment en 1984. L’armée indienne a pénétré dans le Temple d’or d’Amritsar, « le plus haut lieu sacré », dit M. Boisvert, durant l’opération Blue Star pour y déloger des indépendantistes.

À la suite de cette incursion, la première ministre Indira Gandhi est assassinée par ses deux gardes du corps sikhs, ce qui est alors perçu comme un acte de vengeance. Des émeutes anti-sikhs éclatent et « des innocents » sont alors tués, raconte aussi Mme Dimitrova, véritable traumatisme pour la communauté. « Ça rejoint émotivement aussi les sikhs au Canada et cela participe de la construction identitaire », résume M. Boisvert.

L’autre événement important qui a marqué les esprits est l’attentat à la bombe sur le vol d’Air India entre Toronto et Bombay (désormais Mumbay) le 23 juin 1985 qui a tué les 329 personnes à bord.

Cette tragédie a certainement contribué à « étiqueter le sikhisme comme terroriste » par le gouvernement indien et les sikhs ont alors « fait face à beaucoup de méfiance » dans les années 1980, relate Diana Dimitrova.

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