«Voyage au bout de la mine»: la Fonderie Horne, ou comment se bâtit le droit de polluer

Pierre Céré livre une enquête fouillée et dévastatrice sur la Fonderie Horne.
Marie-France Coallier Le Devoir Pierre Céré livre une enquête fouillée et dévastatrice sur la Fonderie Horne.

Ce n’est pas la ville de Noranda qui a donné son nom à la mine, en 1926. C’est plutôt la compagnie Noranda qui a donné son nom à la ville, devenue aujourd’hui Rouyn-Noranda.

C’est que Noranda, qui est aujourd’hui fusionnée à Rouyn et où on s’apprête à fermer un quartier pour le soustraire aux émanations toxiques que dégage la Fonderie Horne, est une « company town », comme l’explique Pierre Céré dans son plus récent essai, Voyage au bout de la mine. Le scandale de la Fonderie Horne. En fait, le sort de la ville est tellement lié à la compagnie que c’est la Fonderie qui fournit la ville de Rouyn en eau, en fonction d’accords anciens, révèle Pierre Céré.

L’auteur ne se souvient pas, de mémoire d’homme, d’avoir connu quelqu’un qui s’est déjà baigné dans le lac Osisko, sur les rives duquel se situe pourtant la ville de Rouyn. Le lac est tellement pollué par les rejets de la Fonderie Horne qu’en remuer le fond est dangereux. « Tout le monde sait qu’il ne faut pas boire de son eau ni en manger le poisson. » L’eau potable que l’établissement fournit à la ville vient du lac Dufault. Le lac Osisko, lui, « était la poubelle, était la fosse septique de la fonderie. Ils avaient le droit d’y envoyer leurs déchets miniers puis leurs déchets de fonderie », dit-il en entrevue.

Une sirène le vendredi

 

Pourtant, Pierre Céré, qui est aussi porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses, est né et a grandi à Rouyn. Il se souvient d’ailleurs de la sirène de la fonderie qui se déclenchait le vendredi pour avertir les habitants que celle-ci allait rejeter un épais nuage de fumée. Les habitants se barricadaient alors chez eux, notamment pour échapper à la puanteur de l’exercice.

Dans le lac Osisko, on trouve notamment du thallium, un produit très toxique dont Pierre Céré ignorait même le nom avant de commencer son livre. « Le thallium est pire que le mercure. Ses propriétés s’apparentent à celles du cyanure », ajoute-t-il. Et les terres rares rejetées par la Fonderie contaminent le lichen à des kilomètres à la ronde.

La situation était considérée comme normale, précisément parce que la ville est une company town, c’est-à-dire qu’elle a été créée en raison de la présence de minerai dans la région. Cela dit, alors que la mine pouvait employer jusqu’à 2000 travailleurs dans les années 1950, elle n’en emploierait aujourd’hui que 600. À ce sujet, Pierre Céré cite Martine Ouellet, ancienne ministre péquiste des Ressources naturelles : « On n’a pas à barguiner la santé de toute une population [cancers, allergies, problèmes respiratoires, enfants ayant des problèmes d’apprentissage]… pour des jobs. Il faut mettre la mauvaise business à sa place. »

Et ce n’est pas facile à faire lorsque la business en question est à l’origine même de l’existence de la ville.

Des problèmes connus depuis longtemps

 

« Comprendre le développement de Rouyn-Noranda nous ramène nécessairement à une condition essentielle : sans ces gisements de métaux non ferreux, jamais au grand jamais on n’aurait construit en pleine forêt dans les années 20, dans ces marécages entourés de massifs rocheux, les villes de Rouyn et de Noranda », écrit Pierre Céré. Depuis, la région est devenue ce qu’il appelle une « région-ressources », comme bien d’autres au Québec.

« La question qui se pose, c’est : quel genre de développement veut-on ? Sommes-nous condamnés, malgré toutes les avancées démocratiques de nos sociétés depuis un siècle, à devoir subir encore et encore ce rapport colonialiste qui réduit l’existence des régions au rôle de “régions-ressources” ? » demande-t-il.

Est-ce ce rapport qui conduit le gouvernement à accepter la promesse de la Fonderie Horne de réduire ses émissions d’arsenic à un taux cinq fois plus élevé que la norme ? Parallèlement, le livre pose la question suivante : pourquoi n’a-t-on pas réagi plus tôt à des concentrations d’arsenic qu’on savait bien au-delà des normes acceptables depuis des décennies ?

Car il y a longtemps que des résultats comparables à ceux de l’étude de la Direction régionale de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue rendue publique en 2019 qui relevait des taux de cancers et de naissances de bébés de petit poids anormalement élevés à Rouyn-Noranda sont connus des autorités. Pierre Céré cite beaucoup une enquête effectuée au début des années 1980 par des médecins de l’hôpital Mont-Sinaï, qui avaient analysé l’effet du plomb, du cadmium et de l’arsenic sur la santé des travailleurs de la mine Noranda. Selon un représentant syndical, l’enquête avait dû être confiée à des médecins de l’extérieur de la ville, parce que « les médecins de Rouyn-Noranda ne craignaient pas la mine, mais ne voulaient pas l’affronter ».

Un an plus tard, Robert Monderie et Daniel Corvec ont réalisé le film Noranda, avec Richard Desjardins, sur le même sujet.

 

Malgré le dossier noir qu’il présente sur cette multinationale ayant donné naissance à sa ville, Pierre Céré ne perd pas espoir de changer la donne. La résistance, notamment celle du mouvement des Mères au front dans le dossier de la Fonderie Horne, le conforte dans cette ambition.

Voyage au bout de la mine. Le scandale de la Fonderie Horne

Pierre Céré, Écosociété, Montréal, 2023, 276 pages

À voir en vidéo