Relancer la lutte contre la crise du climat après un été des extrêmes

Un olivier en flammes dans la région d’Alexandroupoli, en Grèce. Le pays a été frappé par des incendies records au cours de l’été.
Sakis Mitrolidis Agence France-Presse Un olivier en flammes dans la région d’Alexandroupoli, en Grèce. Le pays a été frappé par des incendies records au cours de l’été.

Après un été marqué par des événements climatiques extrêmes et dévastateurs, l’ONU organise le 20 septembre un sommet spécial pour tenter de rehausser, enfin, l’ambition climatique mondiale. Mais des experts doutent de la volonté des États à faire le nécessaire malgré les conséquences évidentes de l’inaction.

S’il fallait un avant-goût de ce que nous réserve le manque de fermeté internationale dans la lutte contre les dérèglements du climat, l’été 2023 a révélé, morts et destruction à l’appui, ce qui nous attend au cours des prochaines décennies. Une succession d’événements que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, ne pouvait pas prévoir au moment où il a annoncé la tenue du Sommet de l’ambition climatique, en décembre 2022, mais qui servira de toile de fond à cette rencontre attendue à New York.

Le message de M. Guterres était toutefois déjà sans équivoque : les États qui se présenteront à la tribune devront annoncer de nouveaux engagements climatiques « crédibles et sérieux », comme des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) plus ambitieuses, des plans de sortie des énergies fossiles ou des promesses de financement climatique. Il n’y aura pas de place pour l’« écoblanchiment » ou « le recyclage » de mesures déjà annoncées, a-t-il prévenu.

Directrice générale du Réseau action climat, Caroline Brouillette salue la formule choisie pour ce sommet. « Ce que dit Antonio Guterres est très clair : on ne vous laissera pas dire que vous êtes un leader climatique si vous n’adoptez pas de mesures robustes en faveur de la transition et de la sortie des énergies fossiles. »

Elle rappelle que le récent sommet du G20, en Inde, a bien démontré l’ampleur de l’écart entre l’évidence scientifique par rapport à la réalité climatique et la volonté des États à en prendre acte. Le communiqué final de la rencontre des pays membres, responsables de 80 % des émissions mondiales de GES, n’a même pas mentionné une future sortie des énergies fossiles.

Est-ce que les drames vécus un peu partout sur le globe au cours des derniers mois marqueront le tournant souhaité par beaucoup ? « Certains acteurs vont évoquer ces événements catastrophiques pour tenter de ramener les changements climatiques à l’ordre du jour politique. On va sans doute y faire référence dans les discours. Et António Guterres, qui a toujours des mots forts pour décrire les choses, va sûrement tenter de mobiliser les troupes pour aller plus loin », estime Maya Jegen, professeure au Département de science politique de l’UQAM.

« Mais j’ai des doutes sur la possibilité que ces événements incitent les décideurs à en faire plus. Je ne suis pas certaine que ça va radicalement changer ce qu’on a vu jusqu’ici », ajoute-t-elle. Elle cite en exemple les blocages qui marquent, année après année, les conférences climatiques des Nations unies, les « COP ». L’enjeu de la finance climatique, par exemple, demeure non résolu, notamment en ce qui a trait aux demandes des pays en développement. Ceux-ci souhaitent obtenir des compensations pour les « pertes et dommages » qu’ils subissent déjà en raison des dérèglements du climat.

Son collègue du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale Mark Purdon ajoute que l’ambition climatique souffre actuellement des multiples « tensions » entre les États-Unis et la Chine, deux pays qui sont par ailleurs les principaux pollueurs mondiaux, avec près de 45 % des émissions de GES.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Insuffisant

 

Bref, il y aura du nouveau lors du sommet de New York, mais les engagements demeureront « insuffisants », prévoit déjà Alexandre Gajevic Sayegh, professeur adjoint au Département de science politique de l’Université Laval.

« L’idée selon laquelle les changements climatiques sont un problème du futur commence enfin à être mise de côté. Les événements extrêmes, qui arrivent plus vite que ce qu’on avait prévu, font en sorte que les gens comprennent qu’ils vont subir les impacts de la crise climatique et que ça va coûter très cher. Mais ce n’est pas suffisant, parce que les décideurs sont toujours sous la pression des entreprises d’énergies fossiles », déplore-t-il.

« Le Canada est un bon exemple de cette logique, ajoute le spécialiste des politiques climatiques. Le gouvernement actuel a fait campagne sur la question climatique, il a donné de l’espoir au monde, mais l’industrie fossile est toujours extrêmement présente et puissante. La preuve : nous ne sommes pas capables d’avoir une discussion sur la sortie des énergies fossiles au Canada. Comment, dans ce contexte, imaginer que d’autres gros producteurs auront une telle discussion ? »

Un point de vue que partage Caroline Brouillette. « Le gouvernement Trudeau doit rompre avec l’approche actuelle qui fait que d’une main, on adopte des politiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais de l’autre, on laisse l’industrie pétrolière et gazière continuer ses projets destructeurs. Il faut rendre responsable ce secteur des énergies fossiles qui, depuis des années, fait tout pour ralentir l’action climatique au pays », fait-elle valoir.

Elle presse donc le fédéral d’annoncer à New York comment il entend imposer le plafonnement et la réduction des émissions de GES liées à la production du secteur pétrolier et gazier, une mesure qui a été promise lors de la campagne électorale de 2021. Le gouvernement Trudeau, ciblé par des efforts intenses de lobbying de l’industrie, promet de présenter les détails de cette réglementation d’ici la fin de l’année.

Les pétrolières et gazières entrevoient néanmoins un avenir somme toute radieux au Canada, avec des investissements en production qui devraient atteindre les 40 milliards de dollars cette année.

Cynisme

 

À l’échelle mondiale, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une hausse de la demande en pétrole cette année. Celle-ci devrait atteindre 101,8 millions de barils par jour. Et après avoir atteint un niveau record en 2022, la consommation de charbon (le pire combustible fossile) a aussi connu une croissance jusqu’à présent en 2023.

C’est donc dire que la transition énergétique dont on parle depuis des années tarde toujours à se matérialiser, malgré une croissance suffisamment importante de la production d’énergies renouvelables pour que la demande pour les combustibles fossiles commence à diminuer « dans les années à venir », soulignait cette semaine l’AIE.

Dans ce contexte, Alexandre Gajevic Sayegh appréhende l’influence de l’industrie des énergies fossiles lors de la prochaine conférence climatique de l’ONU (COP28), qui se tiendra en décembre aux Émirats arabes unis. Les entreprises du secteur avaient dépêché plus de 600 lobbyistes à la COP27, en 2022. « Ces entreprises nous ont démontré à maintes reprises dans le passé leur volonté de nier le problème des changements climatiques, mais aussi que leur objectif est de faire des profits jusqu’à ce que la planète brûle. »

Si elle comprend le « cynisme » qu’expriment certains, notamment par rapport au fait que la COP28 est présidée par le dirigeant d’une multinationale pétrolière, Maya Jegen estime qu’il ne faut pas se cantonner dans cette position.

« Si on devient trop cynique, on cesse de vouloir faire des choses et on laisse aller. Mais on sait qu’on peut agir pour changer les choses. Ces sommets ne sont pas inutiles. Les gens peuvent se rencontrer et échanger des idées. Plusieurs villes et régions sont aux prises avec des situations problématiques. Si elles peuvent se rencontrer et discuter avec d’autres qui sont plus avancées, ça peut être bénéfique », fait-elle valoir.



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