Plus de 4 milliards de tonnes de GES générés par le pétrole et le gaz canadiens exportés

Le projet Bay du Nord, approuvé ce printemps par le gouvernement Trudeau, pourrait générer 190 millions de tonnes de gaz à effet de serre lors de l’utilisation du pétrole, qui sera exploité en milieu marin.
Photo: Rodger Bosch Agence France-Presse Le projet Bay du Nord, approuvé ce printemps par le gouvernement Trudeau, pourrait générer 190 millions de tonnes de gaz à effet de serre lors de l’utilisation du pétrole, qui sera exploité en milieu marin.

Les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’utilisation du pétrole, du gaz naturel et du charbon exportés du Canada ont totalisé plus de quatre milliards de tonnes entre 2016 et 2020, selon une estimation du ministère fédéral de l’Environnement. Le poids de ces émissions issues de la combustion des énergies fossiles est tel qu’il a dépassé, chaque année, la totalité du bilan national canadien. Des étudiants comptent interpeller le gouvernement Trudeau jeudi en évoquant ces chiffres.

Officiellement, le Canada a émis 3,6 milliards de tonnes de GES entre les années 2016 et 2020, selon les données du plus récent bilan officiel du gouvernement fédéral, publié en avril. Ce bilan prend seulement en compte les émissions produites en sol canadien, dont celles du secteur de l’exploitation pétrolière et gazière (978,2 millions de tonnes en cinq ans), mais aussi du secteur des transports (881,2 millions de tonnes en cinq ans).

Le bilan officiel produit par le gouvernement canadien ne présente donc pas un portrait exhaustif des émissions de GES imputables au pétrole, au gaz naturel et au charbon exploités au Canada. Il faut dire que les émissions sont principalement produites au moment de la combustion et que ces ressources fossiles sont majoritairement brûlées à l’extérieur des frontières canadiennes. Les émissions ne sont donc pas comptabilisées dans le bilan annuel canadien qui est déposé à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

129 % du bilan national

Le groupe Ecojustice a toutefois demandé à Environnement et Changement climatique Canada des données sur « les émissions de CO2 de la combustion des énergies fossiles exportées », et ce, de 2016 à 2020.

Les informations obtenues indiquent que pour le seul pétrole exporté, à raison d’une moyenne de 3,4 millions de barils par jour au cours de cette période, l’« estimation » de ces cinq années atteint 3,22 milliards de tonnes, soit une moyenne annuelle de près de 644 millions de tonnes. Ce chiffre équivaut aux émissions annuelles de plus de 260 millions de voitures.

En ce qui a trait au gaz naturel exploité au pays, mais brûlé ailleurs, les émissions de GES ont atteint 746,6 millions de tonnes pour la période 2016-2020, soit une moyenne annuelle de 149,3 millions de tonnes. Pour le charbon, en combinant les émissions provenant de la combustion des deux types (thermique et métallurgique), on atteint 370 millions de tonnes sur cinq ans, soit une moyenne de 74 millions de tonnes par année.

Au total, les émissions imputables à la combustion du pétrole, du gaz naturel et du charbon exportés atteignent donc 4,4 milliards de tonnes pour cette période. Le maximum a été de 954,3 millions de tonnes en 2019, année au cours de laquelle la totalité des émissions de GES au Canada était de 738 millions de tonnes. Les seules émissions produites par l’utilisation des énergies fossiles exportées représentaient, cette année-là, 129 % du bilan national du pays, ou l’équivalent de 388 millions de voitures.

Quatrième exportateur de pétrole

 

Dans le cadre de son plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement Trudeau a promis que les émissions du secteur pétrolier et gazier au Canada reculeraient de 31 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 2005. Cette cible, moins ambitieuse que l’objectif de réduction de 40 % des émissions nationales de GES, ne signifie toutefois pas que l’industrie devra réduire sa production. Ottawa dit ne pas avoir le pouvoir de limiter l’exploitation pétrolière et gazière, puisque celle-ci est un champ de compétence provincial.

Le pays est le quatrième exportateur mondial de pétrole et le sixième exportateur de gaz naturel. Qui plus est, le gouvernement Trudeau prévoit une hausse de la production de pétrole et de gaz naturel ces prochaines années, ont indiqué des experts fédéraux dans le cadre d’une séance d’information en mars dernier, au moment d’annoncer le plan de réduction des émissions de GES. « Le Canada continue d’être un fournisseur d’énergie dans le contexte de la transition », a-t-on fait valoir.

Selon la Régie de l’énergie du Canada, la production de gaz naturel doit notamment augmenter de 18 % d’ici 2040, essentiellement en raison du recours à la fracturation hydraulique. Pour que ce gaz naturel soit exporté dans le monde, des projets d’usines et de terminaux de gaz naturel liquéfié sont en développement sur la côte ouest.

En ce qui a trait aux projets pétroliers, le gouvernement fédéral a promis d’imposer des conditions plus strictes pour respecter les objectifs de réduction des GES. C’est le cas pour le projet pétrolier Bay du Nord, au large des côtes de Terre-Neuve. Celui-ci doit produire au moins 500 millions de barils de pétrole, mais il est prévu que cette production soit « carboneutre » d’ici 2050.

Cela ne changera toutefois rien aux émissions issues de l’utilisation finale de ce pétrole. Selon les données de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, chaque baril qui est brûlé génère 0,43 tonne de GES. Si l’on suppose que 90 % du pétrole exploité par Equinor sera brûlé, ce qui est le cas actuellement pour cette ressource, le projet Bay du Nord pourrait générer 190 millions de tonnes de GES.

Manifestations

 

Dans ce contexte, le Front étudiant d’action climatique compte manifester jeudi dans différentes villes du Québec pour exiger que le gouvernement Trudeau modifie son plan de plafonnement et de réduction des émissions du secteur des énergies fossiles afin qu’il tienne compte des émissions produites en dehors des frontières canadiennes. « Notre revendication constitue une mesure concrète et politiquement réaliste pour s’attaquer réellement à la crise climatique au Canada », selon le regroupement.

Porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin estime lui aussi que l’analyse des impacts de l’exploitation des énergies fossiles au Canada devrait inclure une « analyse du cycle de vie », et ce, « pour enfin donner une image complète des impacts climatiques ». Il rappelle que l’Agence internationale de l’énergie a publié en 2021 un rapport qui conclut qu’il faut interdire tout nouveau projet d’exploitation pour espérer limiter le réchauffement mondial à +1,5 °C, soit l’objectif mondial auquel adhère le gouvernement Trudeau.

Le cabinet du ministre Steven Guilbeault n’a pas été en mesure de nous transmettre mercredi des réponses aux questions envoyées à quelques reprises depuis lundi.

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