Le Québec brûlera de plus en plus en raison de la crise climatique

Les superficies brûlées annuellement pourraient être multipliées par deux, voire par quatre au cours des prochaines décennies. En photo, un pompier s’affairait vendredi dernier à Chapais, dans le Nord-du-Québec.
Audrey Marcoux SOPFEU Les superficies brûlées annuellement pourraient être multipliées par deux, voire par quatre au cours des prochaines décennies. En photo, un pompier s’affairait vendredi dernier à Chapais, dans le Nord-du-Québec.

La crise climatique qui s’aggrave aura pour effet d’augmenter le nombre et l’intensité des feux de forêt au Québec au cours des prochaines années, constatent les experts de la question. Pour tenter de limiter les impacts de ces incendies, dont une hausse des émissions de gaz à effet de serre, il est d’ailleurs urgent de revoir nos pratiques forestières, affirment-ils.

Lundi, la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) faisait état de plus de 1600 km2 de forêts touchées par les incendies, soit près de quatre fois la superficie de l’île de Montréal. L’ampleur de la crise est sans commune mesure par rapport aux dernières années, puisque la moyenne sur 10 ans s’élève à 2,5 km2 à la même date.

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Balado | Les feux de forêt, un mauvais présage climatique
 

La saison des brasiers forestiers, qui ne fait que commencer, risque d’ailleurs de se poursuivre avec une intensité sans précédent au cours des prochains jours et des prochaines semaines, a prévenu lundi le premier ministre, François Legault. Ce dernier y voit d’ailleurs la marque du réchauffement climatique. Le gouvernement fédéral entrevoit lui aussi une saison de feux particulièrement intense dans plusieurs régions du pays. Cette situation, dramatique pour plusieurs communautés, n’étonne pas Yan Boulanger, chercheur en écologie forestière à Ressources naturelles Canada. « L’impact des changements climatiques est déjà important. La saison des feux est de plus en plus longue, elle débute de plus en plus tôt et les conditions propices aux feux sont de plus en plus sévères », constate-t-il.

« Les chaleurs qu’on a vues cette année sont propices aux feux. Il y a aussi de plus en plus d’arbres morts dans les forêts, en raison des épidémies d’insectes et des sécheresses. Et les arbres morts deviennent un combustible. On voit donc de plus en plus de ces boucles de rétroaction positive, avec une augmentation des feux, de leur sévérité, etc. », explique Christian Messier, professeur d’écologie forestière à l’UQAM et à l’Université du Québec en Outaouais.

Le pire est toutefois à venir au Canada, prévient-il. Plusieurs provinces risquent en effet de subir de plus en plus de ces feux, dont le Québec. Même si la forêt boréale est un écosystème historiquement propice aux incendies, le réchauffement nous pousse vers une sortie de cette « variabilité naturelle ». Résultats : les superficies brûlées annuellement pourraient être multipliées par deux, voire par quatre au cours des prochaines décennies, selon M. Boulanger.

Une analyse fédérale indique que ce genre de scénario risque de survenir même en cas de réduction « rapide » des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’Abitibi-Témiscamingue, la Baie-James et le nord du Saguenay–Lac-Saint-Jean seront les régions les plus touchées. Mais la Côte-Nord, la Maurice, la Gaspésie et même les Laurentides ne seront pas épargnées.

Hausse des GES

Toutes les années ne devraient pas ressembler à ce qui se profile pour 2023, mais les brasiers qui forcent l’évacuation de populations, affectent des infrastructures, isolent des communautés ou détruisent carrément des milieux habités feront de plus en plus partie de la réalité, souligne Yan Boulanger.

« Les feux vont commencer à se produire dans des forêts où il n’y a pas d’historique de feux. Les forêts susceptibles de brûler le seront davantage et les feux vont revenir trop rapidement pour permettre aux forêts de se régénérer. On risque de se retrouver avec davantage d’effondrements d’écosystèmes et une hausse des émissions de CO2 », ajoute Christian Messier.

La fréquence de plus en plus élevée des feux nuira en effet à la croissance du couvert forestier, essentiel pour la protection de la biodiversité et pour répondre aux demandes de l’industrie forestière, estime Pierre Drapeau, titulaire à l’UQAM de la Chaire UQAT-UQAM en aménagement forestier durable. « Quand l’intervalle de temps entre deux feux sur un même territoire devient de plus en plus court, les arbres n’ont pas le temps d’atteindre la maturité, et donc de se régénérer. On a donc beau avoir des arbres qui sont résilients aux feux, l’élastique est trop étiré. Il se produit donc des accidents de régénération. »

Ironie du sort, les incendies pourraient alourdir le bilan d’émissions de gaz à effet de serre du Québec dans les prochaines décennies, selon M. Messier. « Les forêts du Canada émettent plus de CO2 qu’elles en captent, en raison des feux de forêt. On peut redouter que même au Québec, nos forêts en viennent à avoir un bilan négatif, donc libérer plus de CO2 qu’elles en captent, à cause de la mortalité provoquée par les insectes, les sécheresses, mais aussi la hausse des feux. »

Aménagement forestier

Pour tenter de limiter les dégâts, il est urgent de revoir l’aménagement forestier, selon les experts consultés par Le Devoir. Pierre Drapeau plaide pour une meilleure protection des dernières vieilles forêts, qui sont plus résilientes aux feux.

Christian Messier insiste pour sa part sur la nécessité d’une « stratégie » d’adaptation qui permettrait de mieux diversifier les forêts lors du reboisement. Il pourrait s’agir par exemple de planter des espèces mieux adaptées aux feux, ou encore d’ajouter autant que possible des feuillus, qui sont moins vulnérables à leur propagation.

« Ça fait dix ans qu’on parle d’adaptation, mais il n’y a pas encore de stratégie claire de la part du gouvernement. Cette idée qu’on veut maintenir la même composition de la forêt sans tenir compte de ce qui s’en vient, ça ne fait qu’accentuer la vulnérabilité aux sécheresses, aux épidémies et aux feux. Les forêts vont donc brûler de façon plus intensive et ce sera plus difficile de contrôler les feux. C’est une recette pour engendrer des catastrophes. »



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