Louise Portal se raconte

Louise Portal chez elle, au Saguenay, alors qu’elle s’apprêtait à recevoir le prix Iris Hommage 2022
Tom Core Le Devoir Louise Portal chez elle, au Saguenay, alors qu’elle s’apprêtait à recevoir le prix Iris Hommage 2022

Ce 20 septembre paraît en librairie l’ouvrage Louise Portal. Aimer, incarner, écrire. Or, il ne s’agit pas d’une autobiographie traditionnelle, en cela que la principale intéressée s’y livre à son coauteur, Samuel Larochelle, dans ce qui revêt les allures d’un entretien fleuve. La formule a été reprise pour la présente entrevue avec la vedette de Cordélia, du Déclin de l’empire américain, de Full blast et de Vers le sud. À cet égard, il faut préciser, transparence oblige, que Louise Portal est une sorte de fée marraine pour l’auteur de ces lignes. D’où le ton de confidence qui émane de l’exercice « questions-réponses » qui suit.

Qu’est-ce qui t’a motivée à participer à ce dialogue, plutôt que d’écrire une autobiographie classique ?

Au cours des dernières années, mes ouvrages ont été assez autobiographiques. Ç’a commencé avec Pauline et moi, puis avec Le journal de ma vieSeules. ces femmes que je connais… J’avais énormément parlé de moi dans mon roman L’actrice, en jouant avec la fiction… Puis, j’ai frappé les années septuagénaires : c’est une étape. Je me suis dit qu’il était temps d’effectuer un voyage intérieur.

J’aimais l’idée d’un échange intergénérationnel. Je connais bien Samuel et je trouve qu’il écrit merveilleusement bien : c’est un journaliste et un écrivain, et je désirais que cette collaboration-là se fasse avec un écrivain. C’est pour ça que je l’ai choisi. Je voulais me raconter à quelqu’un qui saurait me recevoir et m’entendre.

Est-ce que de ne pas formuler toi-même les questions, comme tu l’aurais fait pour une autobiographie traditionnelle, a rendu l’exercice d’introspection différent ? Y a-t-il certaines zones que tu t’es surprise à revisiter ?

Oui ! Parce que Samuel était curieux. Comme il a la trentaine, il connaissait certaines choses, pour les avoir lues, mais il en ignorait plein d’autres et il voulait en apprendre davantage. Entre autres sur la transition entre l’actrice et l’écrivaine : la première a longtemps dominé, mais là, elle s’efface doucement, alors que la seconde prend de plus en plus le dessus… C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on ne part pas de la petite enfance à aujourd’hui en ligne directe : on se promène. Il arrivait souvent qu’on se parle une journée, et lors de notre rendez-vous suivant, Samuel me revenait avec une chose que je lui avais dite la fois d’avant, et à laquelle il avait réfléchi de son côté. C’était très stimulant.

Dans le livre, tu confies : « J’ai toujours été une actrice qui s’abandonnait au moment, aux émotions, à cette rencontre unique avec mes partenaires. Mon approche du jeu n’est pas intellectuelle, mais émotive, passionnée et sensuelle. Je vais toujours aborder mes rôles par le biais de l’instinct. Je mets mon coeur, mon âme et mon corps au service du personnage à incarner. »

Savoir comment on fonctionne, en tant qu’actrice, et être capable de l’expliquer aussi clairement, j’imagine que ça ne vient pas spontanément…

J’ai très tôt eu une conscience d’être comme ça. Je me revois, au Conservatoire, jouant Catherine dans Soudain, l’été dernier, de Tennessee Williams, dans une mise en scène de Robert Lalonde : j’ai vécu là des moments d’une intensité que je n’ai retrouvée que deux ou trois fois dans ma carrière. C’était viscéral. Des années plus tard, dans la foulée de mon prix Génie [maintenant Écrans canadiens] pour Le déclin de l’empire américain, de Denys Arcand, je m’étais inscrite au cours de Warren Robertson, un contemporain de Lee Strasberg à l’Actor’s Studio. Il venait à Montréal une fois par mois donner des ateliers à des acteurs et actrices déjà établis. J’avais 37-38 ans, et je l’écoutais parler de mémoire sensorielle et des références qui étaient déjà toutes en nous ; qu’il suffisait d’y accéder puis de laisser monter l’émotion sans forcer… On n’a pas forcément vécu ce qu’a vécu le personnage, mais on a des référents. C’est pour ça que les épreuves de vie sont nécessaires : elles remplissent notre baluchon d’acteurs. Mais bref, j’ai compris qu’instinctivement, ça avait toujours été mon approche. Sauf que Warren m’a poussée beaucoup plus loin.

Quelle est la différence fondamentale entre la jeune actrice de tes débuts et l’actrice chevronnée que tu es devenue ?

L’ambition s’est tassée. Et quand l’ambition se tasse, ça laisse émerger quelque chose de plus profond et de plus lumineux. L’ambition est nécessaire dans notre métier, bien sûr, mais parfois, elle devient la motivation première. Ça fait son temps. Plus les années passent et plus on a tendance à vivre le présent, à vivre l’expérience, sans se demander comment notre carrière va en bénéficier. Maintenant, je suis dans le détachement et le contentement. J’ai atteint une pérennité, moi qui ai été refusée la première fois au Conservatoire. Lorsque je revisite mon parcours artistique, je ressens de la gratitude.

Dans un autre des échanges du livre, tu laisses entendre : « Peut-être qu’un jour, je vais décider de mettre complètement l’actrice de côté et de ne conserver que la littérature. » Le penses-tu vraiment ?

Je demeure une actrice. Jacques, mon conjoint, me ramène toujours à ça quand je doute : c’est vrai que l’actrice, elle sera toujours en moi. Mais il reste que c’est un métier exigeant — extraordinaire, mais exigeant. Et c’est possible qu’un jour, ça n’ait plus le même attrait pour moi. Tant qu’on va m’offrir des choses et que l’actrice en moi va dire oui, je vais tourner.

Qu’est-ce que tu aimerais que les gens retiennent de cette autobiographie ?

Peut-être une couple de leçons de vie — je sais que Samuel a tiré quelques enseignements de nos échanges. J’espère que les gens prendront plaisir à découvrir pourquoi j’ai joué tel personnage de telle manière. C’est quoi, le parcours existentiel qui est venu nourrir ces incarnations ? Tu sais : l’envers du décor. Peut-être aussi prendre conscience qu’il n’y a pas juste le métier, mais aussi, et surtout, la vie. C’est pour ça que, dans le livre, je parle autant de Jacques et de mon père, de mon enfance également : tous les ingrédients qui ont fait que je suis devenue l’actrice que je suis, mais aussi la femme que je suis.

Louise Portal sera prochainement au générique des films Le jour où le dromadaire est parti, de Geneviève Sauvé, et Le grand vide, de Jessy Dupont. Son autobiographie Louise Portal. Aimer, incarner, écrire arrive en librairie le 20 septembre. Le roman de Samuel Larochelle Élias et Justine est paru le 12 septembre.

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