Des étudiants hébergés, mais isolés

À l’Université du Québec à Trois-Rivières aussi, on constate que les étudiants doivent s’établir de plus en plus loin, alors qu’auparavant, l’accès à des appartements à cinq minutes à pied du campus faisait partie « des arguments de vente » de l’Université.
Valérian Mazataud Le Devoir À l’Université du Québec à Trois-Rivières aussi, on constate que les étudiants doivent s’établir de plus en plus loin, alors qu’auparavant, l’accès à des appartements à cinq minutes à pied du campus faisait partie « des arguments de vente » de l’Université.

Faute de logements disponibles, les cégeps et les universités du Québec ont rivalisé d’imagination cet été pour trouver un toit à leurs étudiants. Or, les solutions dénichées par les établissements se trouvent souvent à bonne distance de leurs campus, ce qui crée de nouvelles embûches en région.

À Gaspé, par exemple, le cégep local a fini par mettre la main sur des places à l’auberge de jeunesse du petit village de Cap-aux-Os, à environ 30 minutes de route. Et bien que le service de transport en commun de la Régie intermunicipale de transport Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine desserve les deux endroits, le bus quitte Gaspé vers 17 h, alors que les cours du cégep se terminent à 18 h.

« Il y a des démarches en cours pour voir si on doit ajouter un véhicule ou prolonger les heures », expliquait la directrice du Cégep de la Gaspésie et des Îles, Yolaine Arseneau, lors de la rentrée. « C’est sûr que c’est un enjeu de plus pour les étudiants qui doivent se déplacer jusque-là. Mais c’est un très beau coin pour profiter de la nature et de la tranquillité. » Le projet a finalement été mis de côté en raison du manque d’offre en transport. Heureusement, des places se sont libérées à la résidence depuis, a signalé le Cégep jeudi.

Une situation qui rappelle ce qui s’est produit au Lac-Saint-Jean. Incapable de loger ses étudiants étrangers, le Collège d’Alma a conclu une entente avec le Séminaire Marie-Reine-du-Clergé de Métabetchouan, situé à 25 kilomètres de là. « On a soulevé toutes les pierres, raconte le coordonnateur aux communications de l’établissement, Frédéric Tremblay. On a même eu des discussions avec des résidences pour personnes âgées qui ont une aile inutilisée. On regarde de ce côté-là. »

Seul hic : l’absence de service de transport. En quête d’options, le cégep a songé à offrir un service de navette ou un accès aux services de transport collectif du centre de services scolaire local. La situation s’est finalement réglée cette semaine, quand « la plupart des étudiants » ont été relogés à Alma, a indiqué M. Tremblay. « Mais on peut penser que ce sera à recommencer en janvier, alors que de nouveaux étudiants étrangers risquent de débarquer. »

« Tout a changé » post-pandémie

À l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) aussi, on constate que les étudiants doivent s’établir de plus en plus loin.

« Quand on tient des webinaires avec des étudiants étrangers, on met les choses au clair avec eux », soutient le conseiller en communications Jean-François Hinse. « Tout a changé » depuis la pandémie, dit-il. Avant, l’accès à des appartements à cinq minutes à pied du campus faisait même partie « des arguments de vente » de l’UQTR pour attirer des étudiants.

Comme le révélait Le Devoir en juin dernier, les étudiants des cégeps et des universités du Québec peinent à se loger, les listes d’attente des résidences étant d’une ampleur inédite.

La plupart des établissements ont réussi à éviter le pire et ont pu trouver des places pour presque tout le monde, mais la situation demeure fragile. « Tout le monde va avoir un lieu pour vivre. Mais est-ce que tous sont contents ? Non », résume la directrice du Cégep de Saint-Jérôme, Nadine Le Gal. Certains étudiants ont d’ailleurs voulu rester sur la liste d’attente de la résidence du collège parce que ce qu’ils ont trouvé « n’est pas idéal », mentionne-t-elle.

Au cégep de Sorel-Tracy, la direction dit être dans une « situation très fragile ». « Si un étudiant arrive à la dernière minute parce qu’il vient de recevoir son permis d’études (ce qui peut arriver ces prochains jours), on ne sait jamais s’il trouvera du logement. »

Des projets d’études abandonnés

Au cégep de Victoriaville, au moins cinq élèves ont « affirmé avoir changé d’école parce qu’ils ne trouvaient pas de logement », a indiqué sa porte-parole. Le Cégep de la Gaspésie et des Îles en recense une dizaine. Sans compter tous ceux qui ont abandonné leurs projets d’études faute d’appartement sans en préciser la raison à leur établissement d’enseignement.

La Fédération des cégeps ne dispose pas de données sur l’incidence qu’a cette situation sur les admissions. Mais la rareté des logements peut causer des situations de vulnérabilité et se répercuter sur la persévérance scolaire, relève son p.-d.g., Bernard Tremblay. « Ce n’est pas tout, avoir un logement adéquat. Est-ce que ça impose un stress financier ? »

M. Tremblay appuie ses dires sur une récente enquête de l’organisme Unité de travail pour le logement étudiant qui montre notamment que 10 % des étudiants sondés à Montréal étaient au moins trois à partager une chambre fermée.

10 %
C’est le pourcentage d’étudiants montréalais qui étaient au moins trois à partager une chambre fermée, selon une récente enquête de l’organisme Unité de travail pour le logement étudiant (UTILE).

Le phénomène touche aussi les universités. « On m’a rapporté qu’il y a des étudiants qui se sont désinscrits faute de logements abordables », soutient la rectrice de l’Université du Québec en Outaouais, Murielle Laberge. Elle affirme que « c’est la première année » où elle est informée du problème. « C’est d’une tristesse… »

Des millions de dollars et des exemptions fiscales

Lors des consultations précédant le dernier budget du Québec, la Fédération des cégeps avait demandé au gouvernement 100 millions de dollars d’investissements supplémentaires dans le logement étudiant.

Le dernier Plan québécois des infrastructures en prévoyait 27,8 millions, dont 17,5 millions pour les cégeps, a souligné la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, en entrevue au Devoir. Elle parle d’un « début » et d’« un premier pas », et ajoute que certains projets pourront être financés « dès l’automne ».

Les cégeps ont par ailleurs obtenu l’assurance d’avoir bientôt accès aux mêmes exemptions fiscales que les universités pour la construction de nouvelles résidences. La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, s’est engagée à amender en ce sens son projet de loi 31 sur l’habitation.

Est-ce que ce sera suffisant ? La vice-rectrice aux études de l’Université de Sherbrooke, Christine Hudon, se demande s’il ne serait pas pertinent d’avoir un programme de financement propre au logement étudiant. Une avenue que la ministre Déry n’exclut pas, mais qui ne figure pas dans ses plans.

L’élue caquiste mentionne aussi que les projets de logements pour étudiants peuvent depuis peu être financés par le programme régulier de logement social qui a remplacé AccèsLogis, le Programme d’habitation abordable Québec.

« On espère bien être admis au programme ! lance la rectrice Murielle Laberge. Mais ça va prendre quand même du temps pour construire les résidences. »

Avec Anne-Marie Provost



Ce texte a été mis à jour après sa publication initiale, pour ajouter des précisions sur les trajets de et vers le Cégep de la Gaspésie et des Îles à Gaspé.

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