«Claude Morin. Un jeu dangereux»: l'ex-ministre péquiste au coeur d'une série

Chez lui, dans l’antre de son bureau aux murs tapissés de livres, l’ex-ministre péquiste Claude Morin a accordé une suite d’entrevues au sujet de ses années passées, dans le plus grand secret, à rencontrer des agents de la GRC. Dans Claude Morin. Un jeu dangereux, une série en quatre épisodes diffusée sur la plateforme Vrai, le spectateur se trouve vite rivé à son siège. Comment diable un tel ministre, réputé intelligent, a-t-il pu accepter d’être payé par les services de renseignement ?

En entrevue, Morin affirme s’être inspiré de films policiers pour avoir l’air crédible. Est-il banal d’observer que derrière lui, lorsqu’il se confie, le téléspectateur est à même de distinguer plusieurs tomes de romans policiers signés par Georges Simenon ?

Depuis que « l’affaire Morin » a éclaté avec fracas au printemps 1992, les suppositions vont bon train. La fiction a-t-elle fini par brouiller la perception de la réalité au sujet de cet homme tenu pour un des principaux stratèges du référendum de 1980 ?

Des carnets de notes de Claude Morin, consultés pour la première fois aux archives, permettent à cette série de progresser sur des pistes nouvelles. Une enquête serrée, conduite par l’historien du Devoir Dave Noël et le journaliste Antoine Robitaille, montre que tout n’a pas encore été dit.

Un autre ministre avec la GRC ?

Durant des années, à la dérobée, Claude Morin a rencontré dans des chambres d’hôtel des officiers du renseignement. Il a été filmé à son insu, derrière une glace sans tain. Qu’a-t-il dit ? Qu’a-t-il révélé ? Rien de compromettant, soutient-il. Alors pourquoi la GRC continuait-elle à lui faire confiance, année après année ?

Ce documentaire passionnant cite des témoins qui affirment qu’au moins un autre ministre du Parti québécois, aujourd’hui décédé, a constitué une autre source rémunérée par la GRC. Mais qui donc ? Personne ne veut parler.

Photo: Vrai Claude Morin, dans une scène tirée de la série documentaire à son nom

Morin se croyait seul. Il aurait voulu, à l’entendre, prévenir des coups fourrés contre son parti. Les spécialistes interrogés dans cette série rejettent pourtant l’hypothèse qu’il ait été à même de berner les services de sécurité, lesquels s’en remettent toujours à plus d’une source.

Selon Claude Morin, quelques-uns de ses collègues du cabinet étaient au courant, à divers degrés, de ses activités. Il aurait d’ailleurs souhaité que l’ex-ministre Louise Beaudoin puisse contribuer à le blanchir, en expliquant ce qu’elle savait. Or, Louise Beaudoin a refusé de collaborer à cette série. Pourquoi ?

Des homosexuels dans la mire

 

Un autre documentaire, La purge LGBT. La sombre histoire, vient de rappeler que la GRC a fiché, durant des décennies, au moins 30 000 homosexuels canadiens afin de les éloigner de la sphère publique. La police fédérale entendait les faire chanter au besoin, comme elle l’a fait avec des communistes. Les carnets de Claude Morin nous apprennent qu’il répondait à des questions de la GRC sur la vie sexuelle de ténors du mouvement indépendantiste, comme Guy Joron, Pierre Bourgault et Claude Charron.

L’ancien ministre vedette de René Lévesque minimise l’importance de pareilles indiscrétions sur la vie privée d’autrui au sein de son parti. Il argue aujourd’hui que tout le monde savait à l’époque ces choses-là. Il estime donc qu’elles n’étaient pas sensibles. Était-ce aussi sans importance que la vie sentimentale de René Lévesque soit documentée par la GRC, comme le rappelle cette série ?

Dans les années 1970, René Homier-Roy était un excellent ami de Guy Joron et de Pierre Bourgault. Joint chez lui par Le Devoir, l’animateur de Radio-Canada affirme que cette révélation au sujet de Morin est « surprenante et inquiétante ». Tout son cercle d’amis, comprend-il aujourd’hui, devait être fiché par la GRC. Selon lui, Bourgault et Joron ignoraient sans doute que la GRC « était sur leur cas ». Même si Charron, Bourgault et Joron ne cachaient pas leur homosexualité, « ils auraient peut-être agi différemment » s’ils avaient su que la GRC « tramait quelque chose contre eux », souligne Homier-Roy. Que la sexualité au sein de ce cercle d’amis ait été vécue plus facilement et ouvertement qu’en d’autres milieux ne change rien à l’odieux de la situation à laquelle Claude Morin a collaboré, pense Homier-Roy.

L’argent

Pour se dédouaner, Claude Morin affirme n’avoir jamais touché aux avantageuses sommes d’argent que lui versait la GRC en liquide. Ces sommes totalisent l’équivalent d’au moins 80 000 $ aujourd’hui, a calculé Dave Noël. Faut-il aussi noter le fait que Claude Morin s’était fait payer, en aparté, des frais de voyage pour au moins un séjour en France ? La GRC espérait qu’il en rapporte des informations quant à un possible complot dont les racines remontaient jusqu’aux Soviétiques, selon une explication pour le moins tortueuse.

L’argent était mis en sécurité dans un gros coffre-fort installé chez lui, affirme l’ex-ministre. Il était ensuite donné au Parti québécois ou encore, par l’entremise d’un curé, aux bonnes œuvres de sa paroisse. Si cela est vrai, voilà qui est à tout le moins spécial comme façon de procéder dans un gouvernement qui s’efforçait de mieux encadrer le mode de financement des partis politiques. Quant à l’argent versé à l’Église catholique, il se trouve à l’abri du Saint-Esprit.

Jamais Claude Morin n’aurait profité de cet argent ? Ses notes personnelles révèlent le contraire. Il aurait, au minimum, « emprunté » à même cette cagnotte une somme qu’il estime en entrevue à 4000 $ pour acheter, en 1975, une voiture Renault 5 d’occasion. C’était le prix d’une grosse voiture américaine toute neuve. La mémoire de Claude Morin fait-elle défaut ? Il affirme en tout cas s’être remboursé à lui-même cette somme par la suite.

Le portrait global

 

La focalisation sur l’affaire Claude Morin a-t-elle fini, au fil du temps, par faire perdre la perspective d’ensemble ? Cette série rappelle à juste titre les manœuvres politiques de la GRC, tout en soulignant, pièces à l’appui, que l’ancien ministre fédéral de la Justice Marc Lalonde et l’ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau n’étaient pas des enfants de chœur.

Dans des entrevues tirées des archives, l’ex-ministre Marc Lalonde affirmait avoir su très tôt que Claude Morin travaillait de concert avec la GRC. Mais devant les caméras, pour les fins de ce documentaire, il soutient le contraire.

Est-il anodin de constater que les enquêtes que le Québec voulut mener sur les actions illégales conduites par la GRC furent toutes déboutées, jusque devant la Cour suprême ? Les actions illicites de la GRC contre le mouvement indépendantiste québécois — vol de documents, de dynamite, incendies, filatures, intoxications, etc. — ont pourtant dûment été documentées, rappelle la série.

Qui croire ?

Des proches de Morin en politique le présentent comme une sorte de fin renard capable de jouer avec le feu sans se brûler. Même René Lévesque, le chef historique du Parti québécois, aurait continué de le fréquenter après avoir pris connaissance tardivement de son implication auprès de la GRC, montre ce documentaire.

 

C’est plutôt autour du cercle de Jacques Parizeau que la condamnation à l’égard de Morin aura été sans appel. Le député et poète Gérald Godin, parmi d’autres près de Parizeau, maudissait Morin. Nous sommes loin, cependant, des critiques de Pierre Dubuc, qui affirme, dans Claude Morin. Un espion au sein du Parti Québécois (éditions du Renouveau québécois), un ouvrage qui paraît ces jours-ci, que l’ex-ministre était tout bonnement un traître à sa nation et qu’il collaborait vraisemblablement même avec la CIA.

Combien de temps Morin a-t-il collaboré avec ces services de renseignement de la gendarmerie fédérale ? Les révélations de cette série sont très troublantes. Il s’avère bien possible que ses échanges avec la GRC se soient maintenus au-delà des années 1970, au contraire de ce qu’affirme Morin.

Terré dans sa demeure depuis des années, Claude Morin continue de fumer sa pipe. Il vit au milieu de ses livres et de ses casse-tête de milliers de morceaux qu’il a constitués patiemment pour les afficher ensuite à ses murs, en guise d’œuvres d’art. Sa vie même, se dit-on, ressemble à un bien étrange puzzle.

Claude Morin. Un jeu dangereux

Vrai. Dès le 19 septembre

À voir en vidéo