«French Kiss» sans langue de bois

Il a beau avoir son passeport canadien, Chilly Gonzales fait carrière en Europe depuis plus de deux décennies, un peu en Allemagne mais beaucoup en France, lui qui s’est fait un nom à Paris avec son coéquipier de longue date Renaud Letang.
Photo: Anka Il a beau avoir son passeport canadien, Chilly Gonzales fait carrière en Europe depuis plus de deux décennies, un peu en Allemagne mais beaucoup en France, lui qui s’est fait un nom à Paris avec son coéquipier de longue date Renaud Letang.

La maison musicale du pianiste Chilly Gonzales a tellement de pièces qu’elle commence à ressembler à un manoir. Ou, tiens, à un château dans le cas qui nous intéresse ici. Après trois chapitres de ses Solo piano, un épatant album de Noël, un disque de musique de chambre, un projet avec Jarvis Cocker, des efforts rap et électroniques, un essai et on en passe, l’artiste montréalais enfile ses charentaises — et sa « robe de chambre, comme Robespierre » — et offre à la France French Kiss, un hommage à sa culture, celle qui est figée dans la pierre et celle qui bout encore.

Il a beau avoir son passeport canadien, Chilly Gonzales fait carrière en Europe depuis plus de deux décennies, un peu en Allemagne mais beaucoup en France, lui qui s’est fait un nom à Paris avec son coéquipier de longue date Renaud Letang. Le pianiste a toujours joué sur la fine ligne de l’élite et de la marge, du classique et de la pop, de ce qui est attendu et de ce qui ne l’est pas.

« La scène culturelle à Paris, quand même, c’est un milieu très élitiste, très petit, et j’en fais partie quelque part. J’ai un pied dedans, j’ai produit des disques pour Birkin, j’ai travaillé avec Françoise Hardy, Aznavour, tous ces gens-là. Et en même temps, je suis pote avec plein de jeunes rappeurs, qui s’en foutent de ça », illustre Chilly Gonzales, accroché à Londres.

French Kiss, c’est donc un hommage véritable et senti à l’art hexagonal, mais non sans quelques sourires en coin de sa part. « C’est de l’amour, mais de l’amour familial, ça veut dire que je me permets de critiquer, de me moquer, de taquiner en plus de rendre hommage. Mais surtout, c’est de rapprocher ma vision de la culture française actuelle avec le monolithe qui est derrière… Tout est dit quand sur le disque je dis “Voltaire, Flaubert, Baudelaire, et Bengalter” », le patronyme d’un des membres de Daft Punk.

Cette approche est centrale sur ce disque, autant dans les paroles que dans la musique. Les influences, les citations et les nombreux invités viennent de partout. Gonzales a fait appel à Pierre Grillet — à qui on doit Madame rêve d’Alain Bashung —, mais aussi à Teki Latex du groupe rap TTC.

On entend la joueuse d’ondes Martenot Christine Ott, mais aussi la sensation Juliette Armanet. Le pianiste reprend Gabriel Fauré et rend aussi hommage à Richard Clayderman, à qui on doit Ballade pour Adeline. La pièce-titre se base sur Clair de lune de Debussy et cite Virginie Despentes.

Le plus beau de cet hommage, c’est peut-être l’effort qu’il a fait de composer en français, une première pour lui. Gonzales n’avait pas de plan clair en ce sens, mais un récent retour dans la Ville Lumière a allumé quelque chose en lui. Il a d’abord créé Piano à Paris lorsqu’il a joué pour la première fois sur l’instrument qu’il avait loué et fait livrer par la fenêtre dans son nouvel appartement. Les cinq notes du refrain, « un truc très light », sont restées dans ce qui ne devait être qu’un clin d’oeil pour « faire marrer les Français ».

Mais d’autres idées sont venues, en français dans le texte. « La deuxième chanson que j’ai écrite avec l’aide de Teki Latex, ça m’est venu d’une phrase : “c’est wonderfoule de prendre un bain de foule”, un peu comme Aznavour qui chantait For me, formidable. Et ça me correspond très bien vu que je vais assez souvent dans le public quand je fais des concerts. »

Teki Latex, dit Gonzales, a bien joué le rôle de prof en lui apprenant à pêcher plutôt qu’en attrapant des poissons pour lui. « Et voilà, c’était parti. Maintenant, j’ai l’impression que j’arrive à être moi-même en français, c’est ça le but, c’est ça le challenge et c’est ça qui a fait que c’était excitant d’être dans un nouveau terrain, d’avoir les avantages du débutant. L’avantage de l’étranger, de l’outsider, qui ose faire rimer pomme de terre avec Adolph Hitler. Il n’y a bien que moi qui oserais faire ça. »

Et dans son écriture et son interprétation, Chilly Gonzales est bien lui-même, à la fois très frenchy mais avec son petit accent anglo. Et aussi et surtout, il fait écho à ses racines canadiennes, mais aussi très québécoises, notamment en utilisant des tournures hyperlocales, comme « c’est fucking bon ». « Et j’ai utilisé le mot “écoeurant” dans son sens québécois, dans son sens positif ! Et je dis même, “c’est le fun en crisse” à un moment. You can’t take Québec out of the boy, c’est sûr, hein ? » Du coup, on ne s’en plaint pas.

Des clips de l’ère numérique

Le monde numérique est au centre de la production des vidéoclips qui accompagnent l’album French Kiss, à commencer par celui de la pièce-titre, où Chilly Gonzales fait chanter des personnalités françaises avec une utilisation volontairement grossière de la technologie du deep fake. « Je veux que chaque clip soit basé sur une espèce de truc obsessionnel de l’Internet. Qu’est-ce qu’on peut y faire ? Qu’est-ce qui intéresse les gens ? » explique-t-il. Le clip d’Il pleut sur Notre-Dame, par exemple, se nourrit des « backrooms », sortes d’espaces liminaires créés par des internautes. Les chiens, un des animaux chouchous du Web, illustrent la chanson Cut Dick, et le prochain extrait Nos meilleures vies sera basé sur la bouffe.

French Kiss

Chilly Gonzales, Gentle Threat. Au Grand Théâtre de Québec, le 11 octobre et au Rialto à Montréal, les 13, 14 et 16 octobre.



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