Le design de restaurants à l’ère postpandémique

Sophie Ginoux
Collaboration spéciale
L  e café Parvis, conçu  par Zébulon Perron
David Dworkind L e café Parvis, conçu par Zébulon Perron

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Pourquoi affectionnons-nous nos restaurants et nos bars ? Pour la qualité de la cuisine, des boissons et du service qui nous sont fournis, bien sûr. Mais aussi pour le décor qui nous accueille et l’ambiance à laquelle ce dernier contribue. Vous savez, ce petit wow admiratif quand on arrive sur place, ou ces images gravées dans notre mémoire quand notre expérience s’est bien passée ? Alors, au sortir d’une pandémie qui pousse nombre de restaurateurs à se réinventer, le design de ces établissements a-t-il lui-même changé ?

Le designer architectural Zébulon Perron évolue dans le milieu de la restauration et de l’hôtellerie depuis plus de 20 ans. Son style unique est reconnaissable dans de nombreux établissements — il en a signé une bonne centaine — devenus des références à Montréal, comme le Grinder, le Rouge Gorge, le Montréal Plaza, le Royal, Henri Brasserie française, Un po’di più, ou encore le café Constance. Il est d’ailleurs lui-même partenaire de trois lieux de joyeuses libations : le Furco, le Parvis et le Philémon.

En l’espace de 20 ans, le designer a assisté à la transformation majeure de cet univers gourmand. « Plus les goûts des Québécois se sont affinés, plus le design des restaurants et des bars a pris de l’importance. Si, au début de ma carrière, je devais convaincre les gens d’investir dans ce pan de leur établissement, cela n’a plus été le cas par la suite. »

Les années 2010 ont ainsi été très prolifiques en matière de design en restauration « à tel point que je me demandais quand ça allait s’arrêter », avoue l’expert. Puis, la pandémie est arrivée en 2020 avec son lot de fermetures imposées, de contraintes sanitaires et de problèmes d’approvisionnement. Dans la foulée sont apparus d’autres problèmes pour le milieu, comme le manque de main-d’oeuvre, l’explosion des coûts d’exploitation, l’avènement du télétravail et la concurrence des mets livrés à domicile. On peut donc se demander si les designers ont eux aussi dû changer leur fusil d’épaule et revoir leurs ambitions à la baisse.

Design et pandémie

L’expérience pandémique vécue par Zébulon Perron et son équipe d’une vingtaine de personnes n’a, semble-t-il, pas été catastrophique. « Nous avons dû réaménager certains plans, ajouter des cloisons ici et là et faire attendre le projet du lounge Emmanuelle (ce dernier ouvrira sous peu). Mais en général, nous avons continué à faire naître des projets ambitieux », indique-t-il, en précisant qu’il a notamment réalisé, depuis 2020, la conception du restaurant Marcus, de l’hôtel Four Seasons, et celle du Bivouac, à l’hôtel Hilton DoubleTree.

Il n’en a cependant pas été de même pour tous les designers. Thomas Csano, dont on apprécie les décors aux notes théâtrales dans une dizaine d’établissements en autant d’années de métier — entre autres, le Waverly, le Darling, le Petit Dep, le Galaxie Brasserie, ainsi que le Majestique, dont il est partenaire —, a connu un arrêt presque complet de ses activités pendant la pandémie.

« J’ai eu peur pour l’avenir de la restauration et le mien, avoue-t-il. Je me posais beaucoup de questions pour l’après. Fallait-il ou non garder des lavabos à l’entrée, concevoir dès la base des lieux avec des cloisons ? Impossible ici de jouer avec les espaces comme à New York, dont certaines maisons sont reconverties en lieux de restauration avec plein de petites pièces. Les espaces commerciaux que nous occupons sont grands, et il faut les maximiser. »

L’homme est un animal social

Thomas Csano ajoute que depuis la réouverture complète des établissements, le succès est de nouveau au rendez-vous, que le « pour emporter » ne s’est pas généralisé et que les clients, finalement, conçoivent avant tout leurs sorties comme des prétextes à socialiser. « Notre ADN, en tant que designers, c’est de concevoir des lieux animés, où l’ambiance est aussi liée au fait que tout le monde est collé. Et je crois sincèrement qu’en tant qu’humains, nous ne pouvons pas vivre avec l’idée d’avoir tout le temps un nuage noir au-dessus de nos têtes », admet le designer.

Son confrère Zébulon Perron est du même avis. « Ce qui me fascine le plus dans mon métier, c’est l’impact social que mes projets peuvent avoir. Cette approche est totalement contraire à celle du cloisonnement et de la distanciation. Et à l’enthousiasme que les restaurateurs affichent en venant me trouver avec leurs idées, je crois qu’ils sont tout simplement passés à un autre appel. »

« Le pouvoir de l’oubli est une grande force », indique aussi Stéphanie Émond, fondatrice du spa Balnea devenue, depuis trois ans, partenaire d’un architecte de l’entreprise Emondo. Spécialisée en masterplanning et en construction prédesign, celle qui a notamment collaboré avec le manoir Hovey, le Four Seasons et India Rosa a toutefois une opinion plus nuancée que ses collègues.

« Je pense que la restauration de jour a subi davantage les contrecoups de la pandémie que celle de soir. Avec l’avènement du télétravail et l’augmentation des prix des menus, les groupes d’affaires sont moins nombreux qu’avant dans les restaurants et les hôtels. On ne me demande d’ailleurs plus de concevoir des espaces hôteliers avec de vastes salles de réception. J’observe également qu’en raison des problèmes d’approvisionnement, l’aménagement, l’ameublement et le décor peuvent être plus simples et, surtout, plus locaux », dit-elle.

Alors, le design québécois en restauration s’est-il finalement transformé au contact de la première grande pandémie du XXIe siècle ? Pas tant que cela. Il s’est plutôt adapté à une clientèle désirant choisir entre une expérience intime ou collective, au gré de ses humeurs… pandémie ou pas !

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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