«Reckless Underdog»: vingt ans de fierté et d’héritage pour RUBBERBAND

Ci-dessus : la troupe en répétition pour son nouveau spectacle sur scène, «Reckless Underdog». Photo de gauche : le danseur, chorégraphe et fondateur de Rubberband, Victor Quijada.
Photo: Marie-France Coallier Ci-dessus : la troupe en répétition pour son nouveau spectacle sur scène, «Reckless Underdog». Photo de gauche : le danseur, chorégraphe et fondateur de Rubberband, Victor Quijada.

D'un simple questionnement jusqu’à la prospérité internationale et la création d’un incubateur pour danseurs apprentis, Rubberband a su se frayer un chemin dans le milieu de la danse au Québec et partout dans le monde. Vingt ans après la fondation de la compagnie, Victor Quijada fait le bilan et propose sur scène une toute nouvelle pièce, Reckless Underdog, présentée au théâtre Maisonneuve.

« Il y a vingt ans, j’avais une idée, un défi en tête. Il se passe quoi si j’enlève les frontières qui séparent différentes formes de danse, tant dans le mouvement que dans leur philosophie ? Ça nécessite quoi pour y arriver ? Ça donnerait quoi ? » se questionnait Victor Quijada au début des années 2000. Né à Los Angeles de parents mexicains, Quijada grandit au milieu des cyphers où se confrontent des danseurs de différents horizons, tous issus de la culture hip-hop. Après avoir dansé auprès de Rudy Perez et de THARP ! à New York, il intègre les Grands Ballets canadiens en 2000. « J’ai toujours travaillé dans différentes visions de la danse, hip-hop, contemporain et ballet. J’ai toujours eu envie de partager mes connaissances, mais s’il y avait seulement moi qui pouvais le faire, ce n’était pas intéressant, pas valide. C’est pour ça que j’ai voulu créer Rubberband », poursuit-il.

Quelques années après la création de la compagnie, M. Quijada façonne « la méthode Rubberband ». « Quelqu’un qui vient du contemporain n’a pas les outils pour le break, et vice versa. Il fallait un entraînement spécifique, car notre gestuelle n’était visible nulle part ailleurs », déclare-t-il. Une manière pour lui de créer « un langage commun ». « Chacun a son accent particulier, celui du break, du contemporain, etc., mais tout le monde parle la même langue grâce à un entraînement commun », dit-il.

Grâce à cela, au fur à et mesure, M. Quijada se détache davantage du côté physique de la création. « Au début, pour une nouvelle création, je bougeais beaucoup, je montrais tout, j’avais beaucoup de contrôle, tout venait de moi, se souvient-il. Aujourd’hui, la compagnie prend cette place, les danseurs savent valider les différents styles, les différentes approches, sans moi. Je peux entièrement compter sur eux. »

Façonner les artistes d’aujourd’hui

En vingt ans, le chorégraphe a vu « les mentalités des institutions changer ». « Quand j’ai commencé, c’était difficile d’obtenir des feedbacks officiels… les échos que nous avions étaient que Rubberband n’était pas considéré comme de l’art, c’était seulement du divertissement. Personne n’était là quand on avait besoin d’argent. J’ai frappé beaucoup de murs, on était très seuls, se désole-t-il, encore aujourd’hui. Rubberband a apporté à la table des discussions avec les institutions des questions comme : “Quel genre de danse devrait se qualifier pour des subventions ?”, “Qu’est-ce que la recherche sur le mouvement en danse, et est-ce que le hip-hop peut faire partie d’une recherche artistique sans être uniquement de l’entertainment ?” et, encore plus important, “Quelles communautés de danse ont droit à un soutien financier, et lesquelles en sont privées ?” Maintenant, en 2023, des subventions importantes sont allouées à la diversité en danse, mais ce n’était pas le cas il y a 20 ans. »

M. Quijada a aussi vu la scène de danse évoluer, et s’en réjouit. « À cette époque, on était peu à s’interroger sur la place du hip-hop sur scène. Ce n’est pas comme aujourd’hui. Montréal est devenu un véritable incubateur de la danse en Amérique du Nord, sous toutes ces formes », poursuit-il. Selon le chorégraphe, Rubberband a « ouvert les portes à plein de mondes, et à plein de styles ». « On fait partie de l’héritage de la danse au Québec », affirme-t-il.

Ainsi, depuis ses débuts, la compagnie a accueilli une quarantaine de danseurs dans ses créations, sans compter les apprentis, les ateliers et les programmes intensifs. « Tous les artistes qui côtoient la compagnie continuent à donner forme à leur tour au paysage de la danse », déclare-t-il.

Cet héritage, comme il le nomme lui-même, est une de ses plus grandes fiertés. « Je suis très fier des choses qui ont un impact à long terme. Le partage à Rubberband, quel que soit le contexte, amène une nouvelle façon de voir aux artistes, qu’ils transportent ensuite avec eux. Je vois les répercussions sur eux, même en un atelier. C’est vraiment excitant pour moi », raconte-t-il.

Les différentes facettes d’un même pont

Pour Victor Quijada, Rubberband a enlevé les frontières qui existaient entre trois styles de danse, à savoir les danses urbaines, le contemporain et le ballet. « Un pont » a alors été bâti. Cependant, pour sa nouvelle création, Reckless Underdog, il a voulu « se déplacer sur ce pont ». « Au centre, tous les styles et toutes les philosophies des danses se rejoignent, rappelle-t-il. Là, avec cette création, j’ai voulu m’éloigner un peu du centre et me rapprocher de la branche ballet, puis de la branche contemporaine, plus théâtrale, etc. »

En plus de jouer avec les mouvements et les différentes gestuelles associées à chaque style de danse, M. Quijada voit aussi derrière sa démarche une réflexion philosophique plus profonde. « C’est un questionnement que tout le monde a. Pour ma part, je me demande : « Et si je n’avais pas laissé New York et le ballet ? Si je n’avais pas déménagé à Montréal ? Quel type de travail je ferais ? Est-ce que je serais quelqu’un d’autre ? Je ferais autre chose ? Si j’avais fait des choix différents, est-ce que je serais quand même arrivé ici ? » se demande-t-il, pensif.

Imaginé depuis 2020 dans la tête de M. Quijada, Reckless Underdog laisse davantage place à des spécialistes dans chaque forme de danse. « On fait des excursions plus profondes dans chaque style, on s’approche de la forme “pure” de chacun sans y aller vraiment », explique-t-il.

Pour l’avenir, Victor Quijada se souhaite de continuer à former des apprentis, à tourner dans le monde entier avec les pièces déjà créées, près d’une quinzaine, et d’en façonner de nouvelles. Les films de danse sont aussi une avenue qui continue à intéresser le directeur artistique. Un tout nouveau devrait voir le jour cette année. « Projets de films, projets de partage, d’entraînement. Mon but est de continuer à créer, et peut-être à une plus grande échelle… À suivre… » conclut-il.

Reckless Underdog

De Rubberband. Au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke, le 4 avril, au théâtre Maisonneuve, du 12 au 15 avril, et au Grand Théâtre de Québec, le 25 avril.

À voir en vidéo