«Notre-Dame-de-Paris», fonds de commerce sans fond

«Notre-Dame de Paris» est présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la PdA jusqu’au 12 août.
Zorlu PSM «Notre-Dame de Paris» est présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la PdA jusqu’au 12 août.

Huit petites années nous séparent de l’anniversaire. Le vrai. L’immense. Le monumental. La publication de Notre-Dame de Paris, le grand roman de Victor Hugo, est à l’horizon immédiat : 200 ans, dame ! Le tapis rouge déroulé jeudi soir à l’entrée de la salle Wilfrid-Pelletier de la PdA pour l’adaptation de l’oeuvre en spectacle musical ne soulignait, à comparer, qu’un modeste huitième du quasi bicentenaire.

Prenons-en acte. Ça n’enlève pas de mérite : dûment impressionnantes sont les quelque 5000 représentations du Notre-Dame de Paris seriné en airs populaires depuis 1998 par le fort romantique compositeur Richard Cocciante, découpé en rimes qui sonnent par le non moins fortiche parolier Luc Plamondon, savamment mis en scène par Gilles Maheu, brillamment éclairé par Alain Lortie. Ce n’est pas rien. Même si l’on a pareillement célébré en 2018 les 20 vingt ans de durabilité du fameux fonds de commerce, on peut bien souligner le quart de siècle.

Sainement, un peu de perspective historique relativise l’importance de cette nouvelle première : Notre-Dame de Paris, qu’il s’agisse du roman de Hugo, des transpositions plus ou moins mémorables au cinéma, des bandes dessinées européennes en tous styles ou des dessins animés à la Disney, n’a jamais été absent des mémoires. La cathédrale elle-même, du Moyen-Âge de sa construction à l’incendie qui l’a ravagé de l’intérieur en 2019 et la restauration en cours, demeure obstinément dans l’actualité.

Indestructible cathédrale

 

Religieux, touristique, artistique, symbolique, Notre-Dame tient bon. Les fondations demeurent, comme l’histoire « d’amour et de désir », située par ce fin finaud de Victor Hugo en 1492 (juste avant la découverte de l’Amérique et la grande bascule de l’humanité) : on en mesurait encore ce jeudi la force tragédienne. Oui, pauvre Quasimodo, maudit Frollo, irrésistible Esmeralda la « belle étrangère » dont tout le monde s’éprend follement : les destins se croisent, s’enchevêtrent, s’affrontent et les amours sont fatalement contrariées.

Le mérite et l’impuissance de Plamondon, on le comprend mieux qu’à la première montréalaise de 1999, se trouvent dans la complexité des péripéties feuilletonnesques du récit d’origine. On suit facilement ce résumé, mais on perd beaucoup dans l’humanité des portraits. Comment faire mieux ? On doit s’en remettre aux interprètes pour combler le manque. Le Frollo de Daniel Lavoie demeure saisissant. Le Gringoire par Gian Marco Schiaretti justifie sa fonction narratrice, on n’a pas besoin de Bruno Pelletier pour ça.

La bosse de l’emploi (ou pas)

L’Esmeralda et le Quasimodo, essentiels, sont les perdants de la nouvelle distribution. Garou nous manque assez cruellement. Il n’était pas Charles Laughton ni Anthony Quinn, mais chantait du fin fond de son Joe Cocker guttural avec mordant. L’Angelo Del Vecchio qui le remplace pousse trop à la Pelchat de ruelle, on n’y croit pas, au point où l’on se demande si sa bosse est une vraie bosse (question moderne, s’il en est). Et l’Esmeralda (Elhaida Dani) est si loin d’une Gina Lollobrigida, si criarde façon La Voix qu’on se demande comment la bohémienne du récit peut susciter tant de passions.

Ce n’est pas si grave, au demeurant. Ça se prend comme ça se prenait il y a 25 ans : pas si désagréablement. Sans être soulevé non plus. C’est encore et toujours du recyclage de fonds de commerce, les poncifs de Plamondon se ramassent à la pelle, mais bon, ne soyons pas trop regardants : il faudrait relire Hugo pour s’en formaliser. Ça se tient, autant que la cathédrale tient bon.

Voyons le meilleur là où il est. L’approche moitié chantier de construction moitié foutoir d’émeutiers de la Cour des miracles est étonnamment pertinente, à l’heure où Paris explose autour de sa cathédrale incendiée. Non seulement la transposition fonctionne, mais témoigne de la triste répétition de l’Histoire. Un bossu est encore un bossu.

Notre-Dame de Paris est présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la PdA jusqu’au 12 août.

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