La danse collée aux yeux qu'est «Koros»

« Koros VR » est une expérience immersive en réalité virtuelle qui offre trois programmes de danse contemporaine.
Photo: Do Phan Hoi « Koros VR » est une expérience immersive en réalité virtuelle qui offre trois programmes de danse contemporaine.

L’Agora de la danse devient, et c’est une première, productrice de réalité virtuelle. Assis sur une chaise pivotante, un casque Meta Quest 2 sur la tête, le spectateur se retrouve, pour Koros, avec la danse collée aux yeux. Il voit et vit, en un intense 35 minutes, trois extraits de répertoire. Margie Gillis (A Complex Simplicity of Love, 2003), Andrea Peña (6.58: manifesto, 2021) et Hélène Blackburn (Allegro Barbaro, 2022) signent le triptyque d’une expérience qui, parce qu’elle est probante, soulève mille questions.

Koros prouve sans l’ombre d’un doute que le maillage entre la danse contemporaine et la réalité virtuelle est fructueux. Ainsi, Andrea Peña et Hélène Blackburn profitent des possibilités formelles, en posant le spectateur au centre de leurs groupes de danseurs. Un emplacement privilégié.

Hélène Blackburn rejoue ses matériaux signatures : verticalité, mouvements tranchés sinon agressifs, corps jeunes aux normes de la beauté, pointes pour une danseuse, présence archi-frontale et imperméable, choeur qui observe un solo ou un duo, marches de groupe.

Andrea Peña propose une gestuelle qui tient du somatique, portée par des corps plus diversifiés, pratiquement nus, et soutenue par les longues notes d’une soprano qui apportent vibration et mystère. Le poids se fait sentir, comme l’intention de s’ancrer aux creux des pulsions et des relations différentes de duo en duo. On retrouve cette touche de soft sexu crue si fréquente en danse contemporaine, comme un style, rarement un réel propos.

Or, la lunette de réalité virtuelle, si elle permet de regarder autour de soi et de regarder l’action qui se passe hors champ, empêche le regard périphérique et le recul, même léger, du spectateur. Et de ces deux propositions où les images des danseurs entourent le spectateur de tout près, jusqu’à singer le toucher, où bien sûr les danseurs ne s’ajustent pas aux replis ou aux ouvertures du spectateur, émerge la question de la différence entre proximité et intimité. Car il ne peut y avoir là, comme en art vivant, de relation d’être (le spectateur) à être (le danseur). Seulement une relation d’être à l’image.

Naît de là toute une réflexion sur la politique de la proximité. La question du consentement du spectateur revient aussi — pourtant très développée dans les préoccupations de plusieurs jeunes chorégraphes. Et la dilution de l’empathie face aux images devient un enjeu. L’impatience est plus vive, plus violente si un moment de danse virtuelle ne fait pas mouche, là où la présence d’un humain de chair et d’os la tempère et la retarde.

Ce qu’il faut pour recevoir

Margie Gillis, trésor national et interprète exceptionnelle de générosité, apporte, autant dans sa présentation que dans son choix chorégraphique d’un soyeux et voltigeant trio, la douceur envers le spectateur, le souci d’inclusion et aussi une distance qui aident à s’abandonner à toutes les nouveautés de cette forme neuve de présentation de la danse. Si la chorégraphie n’étonne pas, elle sert entièrement, et très bien, l’expérience.

On y effleure aussi, trop rapidement, l’interactivité. Le potentiel est là, on sent qu’il est grand, autant pour documenter des classes de maîtres de la danse que pour faire bouger les corps des spectateurs.

Car telle qu’en Koros, l’expérience de la danse en réalité virtuelle est foncièrement individuelle. Exit le rituel social et la respiration collective des spectateurs entre eux et avec les danseurs. Ce pourra être un plus pour certains spectateurs. L’Agora de la danse a d’ailleurs pensé un enrobage scénique plus théâtral que nécessaire, à la fois pour créer de l’intimité et pour garder les habitudes et coutumes des représentations « traditionnelles ».

Koros est aussi une expérience très forte pour le système nerveux. Un avantage ? Oui, mais votre journaliste l’a terminée, après quelques vertiges considérables, avec un mal de tête et une vague nausée qui n’ont pas empêché l’appréciation, mais qui ont nécessité une vingtaine de minutes de « retour au sol » avant de sortir de la salle. L’accueil attentif et chaleureux des médiateurs, qui valait quatre étoiles lors de la présentation aux médias et dont on assure qu’il sera de la même eau pour le grand public, est essentiel.

On le répète : c’est parce que Koros fonctionne, et très bien, que toutes ces questions apparaissent et que la réflexion désire s’arrimer, déjà et fortement, à cette nouvelle forme, à cette recherche, à ce qu’elle éclaire et à ce qu’elle trouble. Koros propose l’alliage danse et numérique le plus réussi auquel on ait assisté à ce jour. C’est à voir, c’est à vivre. C’est à penser.

Koros. Une expérience virtuelle en danse contemporaine

Comprenant un trio de et avec Margie Gillis, une pièce pour huit danseurs et une chanteuse d’Andrea Peña, et une pièce pour dix danseurs d’Hélène Blackburn.

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