«Fantômes» fait corps avec le temps

Les danseurs de la compagnie Système Kangourou lors du spectacle « Fantômes », au théâtre Aux Écuries, interprété avec, en fond sonore, des morceaux de l’album « Archives » de Cédric Dind-Lavoie
Photo: Camille Gladu-Drouin Les danseurs de la compagnie Système Kangourou lors du spectacle « Fantômes », au théâtre Aux Écuries, interprété avec, en fond sonore, des morceaux de l’album « Archives » de Cédric Dind-Lavoie

Jusqu’au 25 mars, la compagnie Système Kangourou présente Fantômes, sa toute dernière création au théâtre Aux Écuries. Interprétée par sept artistes de 12 à 75 ans, cette oeuvre sans paroles nous plonge dans un univers doux et vaporeux, où le passé, le présent et le futur se côtoient pendant un temps suspendu. Mais attention, celui-ci peut aussi se transformer en lassitude.

Eh non, les fantômes du spectacle sont loin d’être effrayants. Bien au contraire, ils ne livrent que tendresse, souvenirs et traces du passé incorporés. Dans des déambulations simples et répétitives, les sept interprètes dessinent l’espace avec leurs corps, racontent des histoires vécues tout en restant silencieux.

Grâce à une lumière élaborée, ils se détachent de leurs corps et deviennent des ombres, se meuvent dans une lenteur envoûtante ou, encore, paraissent comme des personnages du passé, qui dansent sur l’enregistrement d’une vieille cassette vidéo. En effet, la scénographie est simple. La scène est le plus épurée possible. Tout se joue dans les personnages qui se présentent devant nous, toujours vêtus de manière différente, toujours prêts à entrer dans un corps de différentes manières. Les mouvements sont fluides, bâtis sur une gestuelle quotidienne. Lors de certains tableaux, les artistes créent leur propre environnement, dans leur imaginaire et à travers la chorégraphie de leurs mains. Avec ou sans interactions avec les autres, ils constituent leur bulle, délimitent les lignes qui les entourent et les éléments qui s’y trouvent. Des moments très agréables à observer, nous-mêmes essayant de décrypter ce qu’ils sont en train de bâtir symboliquement sous nos yeux.

Tout au long de la pièce jouent des morceaux de l’album Archives de Cédric Dind-Lavoie. Musiques et chants traditionnels, enregistrés dans les années 1940 et 1950, nous ramènent alors dans le passé. Un passé d’ici, où sons de gigue et accents bien marqués amènent un sourire, une nostalgie pour certains. Sans se connaître peut-être, sans avoir le même âge ni le même vécu, les artistes se retrouvent dans ce passé, chacun à leur façon, chacun dans leur corps et leur ressenti. Celui-ci les hante ou bien sont-ce eux qui hantent le passé ? Toujours dans la pénombre, Fantômes laisse libre cours à beaucoup d’interprétations.

Doux esprits, mais…

Loin d’être funèbre, la veillée qui se déroule sous nos yeux est très douce. Pendant une heure, les interprètes défilent, à tour de rôle, parfois seuls, parfois ensemble. Leurs interactions restent alors simples, assez ponctuelles. La dramaturgie repose davantage sur un socle d’appartenance commun diffus que sur la création de réels liens entre eux. Un des éléments qui font aussi leur unité est la douceur. En effet, tout le long de la création, on se laisse transporter par la légèreté, le brouillard ambiant et les gestes calmes. Le temps devient suspendu, comme dans un rêve, accroché à des rituels réinventés, à l’imaginaire de chacun qui s’incarne dans les corps vivants devant nous.

Dans les êtres qui deviennent eux-mêmes mots, on décèle les traces des anciens, de celles et ceux qui nous accompagnent, qu’on le sache ou non. On comprend les bruits qu’ils peuvent laisser en nous et ce que nous léguerons à notre tour par la suite. C’est une certaine poésie qui se dégage de l’oeuvre. Originale, la démarche d’évocation de la mort et du passé est ici prise avec subtilité, telle une célébration affectueuse et non appuyée sur l’aspect traumatique et les grandes peines qu’elle peut aussi engendrer.

Bien que le moment soit agréable, le manque de liant entre les personnages et les tableaux a créé une certaine cadence parfois monotone, voire somnolente. De plus, la surutilisation de costumes n’ajoute rien aux propos, au contraire. Elle déconcentrait peut-être l’oeil, le dirigeant dans un ailleurs inutile. Enfin, la pureté et la simplicité des gestes auraient aussi pu laisser parfois place à plus de nuances, plus de rythmes et d’originalité. Certains passages semblaient trop proches d’une ébauche et auraient pu être creusés pour illuminer davantage le spectateur, le surprendre un peu.

Fantômes

Création d’Anne-Marie Guilmaine. Mise en scène d’Anne-Marie Guilmaine et Claudine Robillard. Une production de Système Kangourou. Au théâtre Aux Écuries jusqu’au 25 mars.

À voir en vidéo