«SOLO»: Un amour sidérant

Jean Marchand et Théodore Pellerin dans le film «SOLO», de Sophie Dupuis
Photo: Lou Scamble Jean Marchand et Théodore Pellerin dans le film «SOLO», de Sophie Dupuis

Maquilleur le jour, Simon mène la nuit une très épanouissante carrière parallèle en tant que drag queen. Il habite avec sa soeur Maude, une fée de l’aiguille, de qui il est très proche. Ses collègues au bar forment une seconde famille à laquelle vient de s’ajouter Olivier, dont Simon s’éprend follement. Or, sous ses dehors charmants, Olivier manipule, ment, trompe, en plus d’être un as du détournement cognitif.

Alors même qu’il tente de renouer avec sa mère, une cantatrice célèbre, Simon s’enfonce de plus en plus profondément dans un abîme de toxicité amoureuse. Retrouvant pour une troisième fois la cinéaste Sophie Dupuis, Théodore Pellerin livre dans SOLO, la meilleure — voire les deux meilleures — performance de sa jeune mais d’ores et déjà brillante carrière.

En effet, celui qui a épaté en frérot criminel aux tendances sadiques dans Chien de garde, puis en jeune mineur devenu aphasique suite à un accident dans Souterrain, incarne cette fois un protagoniste dédoublé. Dans sa vie personnelle, Simon est extraverti, mais on le découvre vite manquant d’assurance. C’est notamment perceptible dans son attitude adoratrice face à une mère biologique égocentrique (brève mais formidable Anne-Marie Cadieux), ainsi que dans son incapacité à reconnaître la violence psychologique que lui fait subir Olivier (Félix Maritaud, parfait de machiavélisme sous couvert de bienveillance).

Olivier met le doigt, pour mieux en jouer, sur chaque zone d’insécurité de Simon, qu’il attire dans sa toile avant de l’isoler. Il y a là un peu de All About Eve (Ève), version drag. C’est un spectacle enrageant, mais captivant.

Parlant de spectacle, à la scène, dans son personnage de drag queen, Simon n’a à l’inverse peur de rien ni personne. Il est incandescent, ou plutôt incandescente.

Ces deux facettes du protagoniste, Théodore Pellerin parvient à les concilier, à les faire cohabiter, puis enfin, à les fusionner. C’est que, comme le lui fera remarquer sa soeur (formidable Alice Moreault), la force du personnage scénique que s’est créé Simon n’émane de personne d’autre que de lui-même.

À ce propos, la fin, qu’on ne gâchera pas, est aussi galvanisante que conséquente.

Éloquence et style

Une chose est sûre : de l’assurance, Sophie Dupuis, elle, n’en manque pas. Après les apartés volontiers contemplatifs de Souterrain, qui agissaient comme des accalmies sourdes avant la tempête annoncée, Sophie Dupuis renoue avec l’énergie cinétique de Chien de garde.

Dans SOLO, sa caméra hypernerveuse, hyperattentive, mais jamais brouillonne, capte une myriade de détails révélateurs, qu’il s’agisse d’un regard surpris, d’un air désemparé, d’une moue agacée… On peut ainsi « lire » personnages et situations sans qu’un dialogue inutilement explicatif ait à faire le travail. Avec intelligence, la cinéaste sème des indices çà et là et tient pour acquis que le public saura tirer ses propres conclusions, par exemple par rapport au passé d’Olivier.

Chez Sophie Dupuis, c’est d’abord l’image qui parle, et ce, avec autant d’éloquence que de style.

Et du style, SOLO en a à revendre. L’univers dans lequel l’intrigue est campée y est certes pour quelque chose (un défilé de costumes de drags hallucinants, une trentaine de perruques sculptées spécialement pour le film, de la couleur, du glamour, des paillettes, alouette), mais il y a plus.

Si, lors des numéros, la caméra virevolte avec virtuosité avant de se poser juste dans le bon angle pour tantôt magnifier l’artiste, tantôt montrer une réaction en coulisses, les passages hors cabaret témoignent de leur côté d’un sens du mouvement et de la composition pareillement enivrant (chapeau à la direction photo de Mathieu Laverdière).

Virtuosité ahurissante

Impressionnante dans ses deux précédents longs, la maîtrise de la cinéaste est à présent ahurissante. Avec virtuosité, Sophie Dupuis multiplie les techniques pour évoquer, ici, l’hédonisme repu (succession de match cuts focalisées sur un Simon faisant la fête en différents lieux), là, l’isolement (effet d’obturation quand Simon se sent mis à l’écart d’une danse lascive entre Olivier et un collègue à eux)…

La poésie est également au rendez-vous, comme lorsque Simon, stone, contemple (et nous avec lui) l’averse de neige qu’éclaire la lumière orangée d’un lampadaire.

D’ailleurs, il ne faudrait pas croire que la mise en scène bouge sans arrêt : chez Sophie Dupuis, énergie ne veut pas dire frénésie. La cinéaste sait à l’évidence très bien que, parfois, des plages étales ou de flottement s’imposent. Cela, en phase avec l’état d’esprit du moment d’un Simon en état de sidération.

Ponctué de chansons d’ABBA, Donna Summer, Mitsou, Chaka Khan, et ROSE LA MATRAk, entre autres, SOLO s’avère une odyssée psychologique douloureuse, sensuelle, et surtout, richement émotionnelle.


François Lévesque est à Toronto grâce au soutien de Téléfilm Canada.

SOLO

★★★★ 1/2

Drame de Sophie Dupuis. Avec Théodore Pellerin, Félix Maritaud, Alice Moreault, Anne-Marie Cadieux, Vlad Alexis, Jean Marchand, Tommy Joubert, Marc-André Leclair, Roger Léger, Josée Deschênes. Québec, 2023, 101 minutes. En salle le 15 septembre.

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