La crise du logement à Montréal au coeur d’un documentaire

Le documentaire donne uniquement la place à des locataires et à des itinérants au coeur de la tempête, dont les destins s’entrecroisent entre deux images de campements ou de manifestations captées sur le vif par les deux réalisatrices
Photo: Fraser Films Le documentaire donne uniquement la place à des locataires et à des itinérants au coeur de la tempête, dont les destins s’entrecroisent entre deux images de campements ou de manifestations captées sur le vif par les deux réalisatrices

Ma cité évincée. C’est le titre-choc d’un documentaire intimiste et touchant qu’ont tourné en pleine pandémie deux réalisatrices qui souhaitaient documenter la crise du logement à Montréal en accompagnant ses victimes dans la rue, ou encore dans leur chez-soi où planent les menaces d’éviction.

Montréal n’est peut-être plus vraiment « la dernière grande ville abordable en Amérique du Nord », comme le mentionne ce documentaire, réalisé par Priscillia Piccoli et Laurence Turcotte-Fraser, qui sera présenté en première vendredi lors du 12e Festival de cinéma de la ville de Québec. La hausse rapide des loyers et de la précarité depuis le début de la pandémie a fait gonfler le nombre de personnes en situation d’itinérance dans la métropole, où, en parallèle, de nombreux locataires sont évincés de leur logement dans un contexte de spéculation immobilière.

« Je pense que ça me rendrait malade, de déménager. » Ces mots, prononcés par une locataire âgée du Manoir Lafontaine, devenu un symbole de la résistance des locataires devant le phénomène des évictions, donnent un avant-goût de la détresse, mais aussi de la détermination qui ressortent des nombreuses entrevues réalisées pour ce documentaire, dont le tournage s’est étiré sur deux ans.

Initialement, Laurence Turcotte-Fraser souhaitait réaliser un documentaire sur la crise du logement en Colombie-Britannique, où la spéculation immobilière fait des ravages depuis des années. « Et là, je me suis rendu compte que le même phénomène se passait à Montréal, dans ma ville », raconte la réalisatrice, qui venait alors de boucler son premier long métrage, The End of Wonderland, en 2021.

« Je me suis dit : “Il faut faire quelque chose” », poursuit Mme Turcotte-Fraser, reconnaissant ainsi que son documentaire se veut « engagé », sans nécessairement être « politique ». « Les raisons pour lesquelles on a choisi les protagonistes, souvent, c’est parce que c’était des gens qui voulaient changer les choses dans leur milieu », poursuit la jeune réalisatrice.

Cette dernière s’est ainsi alliée avec la réalisatrice émergente Priscillia Piccoli, qui avait été bénévole au centre La Porte ouverte dans les mois précédant le tournage de ce documentaire. Ce refuge s’était retrouvé au coeur de l’actualité après la mort de Raphael André, un itinérant autochtone retrouvé mort de froid en janvier 2021 près des locaux de l’organisme, qui étaient alors fermés.

« Dans une grande ville comme Montréal, ça ne devrait pas arriver », soupire Mme Piccoli, qui a été surprise de voir comment la métropole québécoise a dû mettre en place de nombreux refuges d’urgence pendant la pandémie pour répondre à une demande croissante. « C’était nécessaire de documenter ça, et c’est ça qui nous a drivées », poursuit la jeune réalisatrice.

Au coeur de la tempête

 

Ce documentaire accorde ainsi une grande place aux personnes en situation d’itinérance, de plus en plus visibles dans les rues de Montréal. On y assiste notamment au démantèlement du campement de la rue Notre-Dame, puis à celui du boisé Steinberg, où la caméra accompagne le travailleur de rue Guylain Levasseur dans ses efforts pour venir en aide aux personnes qui, comme lui, sont dans une situation financière précaire.

Le documentaire ne comporte d’ailleurs aucune entrevue avec des experts ou des élus, même si la députée solidaire Manon Massé apparaît à plusieurs reprises dans des extraits de rassemblements organisés en soutien aux locataires du Manoir Lafontaine. Le film choral donne ainsi uniquement la place à des locataires et à des itinérants au coeur de la tempête, dont les destins s’entrecroisent entre deux images de campements ou de manifestations captées sur le vif par les deux réalisatrices, qui ont effectué à elles seules l’essentiel du tournage et du montage de ce long métrage.

« Souvent, un documentaire sur la crise du logement, on va s’attendre à des statistiques et à des entrevues avec des experts. Mais nous, on voulait voir ce qui est caché, ce qu’on ne veut pas nous montrer en arrière dans la crise du logement et, d’un autre côté, quels sont les impacts de la spéculation immobilière sur la vie des gens », explique Laurence Turcotte-Fraser.

Les deux réalisatrices estiment d’ailleurs que la proximité qui s’est créée au fil du tournage entre elles et les protagonistes a contribué à la richesse de ce documentaire. « Ce n’est pas parce qu’on a un masque sur le visage qu’on ne peut pas ressentir la détresse humaine. Je trouvais que c’était ça qui nourrissait l’environnement », relève Mme Turcotte-Fraser, qui a « ressenti beaucoup de chaleur » pendant le tournage de ce film, malgré le contexte sanitaire dans le cadre duquel celui-ci a eu lieu.

Les deux réalisatrices espèrent maintenant que leur documentaire contribuera à nourrir les débats à l’Assemblée nationale sur la crise du logement.

Ma cité évincée

Priscillia Piccoli et Laurence Turcotte-Fraser, Québec, 80 minutes. Présenté au Festival de cinéma de la ville de Québec le 15 septembre. En salle dès le 20 octobre.

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