«It Lives Inside»: samosas, pakoras, et sombre démon

Le réalisateur Bishal Dutta
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le réalisateur Bishal Dutta

Dans une ville de banlieue anonyme, Sam vit un moment charnière de sa jeune existence. Désireuse d’être comme la majorité des autres élèves de son école, l’adolescente tourne désormais le dos à la culture indienne dans laquelle elle a grandi, ainsi qu’à la religion hindoue, que pratique avec ferveur sa mère. Pour cette même raison, elle a délaissé celle qui était sa meilleure amie, Tamira. Quoique cette dernière affiche en cette rentrée des classes un comportement pour le moins bizarre. Sam l’ignore encore, mais le démon qui tourmente Tamira s’apprête à jeter son dévolu sur elle. Dans It Lives Inside, Bishal Dutta fait de la culture indienne une composante intrinsèque de l’horreur.

« J’ai toujours voulu que mon premier film soit un film d’épouvante avec des adolescents, du genre de ceux dont je me gavais moi-même à l’adolescence », explique le jeune réalisateur rencontré cet été à Fantasia.

« Mais je voulais aussi faire appel aux traditions indiennes, aux légendes et aux histoires de fantômes de mon propre passé. »

Quand Bishal Dutta fait allusion aux « fantômes de son passé », il est en l’occurrence presque littéral.

« Quand j’étais petit, mon grand-père m’a raconté comment, un jour, alors qu’il était un tout jeune homme en Inde, il rencontra une jeune fille qui parlait à un pot en verre vide qu’elle tenait serré contre elle. Lorsqu’il lui fit remarquer que le pot était vide, elle retira le couvercle et lança le contenu imaginaire au visage de mon grand-père. Il n’en fit pas de cas et rentra, mais peu après, il se mit à entendre des bruits étranges, la nuit. Sa nourriture s’est mise à disparaître. C’est devenu tellement inquiétant qu’il a quitté sa maison. »

Fasciné par cette histoire, Bishal Dutta se demanda longtemps ce qui était à l’origine de ces phénomènes. De recherches en bouts de scénario, il apprit l’existence dans la religion hindoue (et bouddhiste) d’une entité malveillante : Pishach. Le cinéaste trouva que les manifestations et les méfaits de Pishach avaient beaucoup de potentiel sur les plans cinématographique et horrifique.

« Pour ce qui est de la créature, j’ai toujours aimé la méthode Jaws [Les dents de la mer] et Alien, où le monstre est confiné aux ténèbres ou au hors-champ pour la majorité du film, et n’est révélé en entier que vers la fin. »

Le regard des autres

 

À cet égard, Bishal Dutta établit très tôt son approche en matière d’induction de frissons et de sursauts.

« Je suis d’avis qu’un bon film d’horreur doit varier les plaisirs. J’entends par-là qu’il faut alterner des moments où la tension monte lentement avec d’autres où le rythme est plus vif et où les sursauts sont plus nombreux. Il doit y avoir un équilibre. Comme réalisateur, j’essaie de me mettre à la place des spectateurs ; j’essaie d’anticiper leurs réactions. Je me demande où ils s’attendront à être effrayés, et je tente de les déjouer, par exemple en repoussant et en repoussant encore le choc, de façon à ce qu’ils finissent par se détendre pour — bam ! — les surprendre et les faire lever de leur siège. »

Bishal Dutta se demanda en outre longuement quel type de film d’horreur il voulait faire afin de générer davantage d’effroi.

Photo: Entract Films Mohana Krishnan dans une scène tirée du film «It Lives Inside»

« Je me suis demandé : “Qu’est-ce qui est le plus effrayant, lorsqu’on est adolescent ?” Pour ma part, je crois que ce qui nous terrorise le plus durant cette période, c’est le regard des autres. Nous voulons être acceptés par les autres, alors nous devenons surconscients de nous-même. La créature se nourrit de cette insécurité, de cette angoisse et de cette solitude. Si j’ai décidé de faire reposer l’histoire sur une héroïne et une majorité de personnages féminins, c’est parce que je pense que les jeunes femmes font face à ces épreuves à un degré beaucoup plus aigu que les jeunes hommes. Ou à tout le moins, de manière vraiment différente. »

Dans le film, Sam rejette son héritage culturel pour tous ces motifs. En parallèle, elle réprouve les comportements traditionnels de sa mère, qu’elle estime accrochée au passé.

« Je voulais que les personnages de la fille et de la mère soient l’antithèse l’un de l’autre. Au-delà de la dynamique conflictuelle, ça me permettait de les faire se rejoindre au milieu, à la fin, en une espèce d’alliance de leurs attitudes respectives, alliance dans laquelle elles trouvent de la force. Ni l’une ni l’autre n’a tout à fait raison ou tout à fait tort. »

De préciser Bishal Dutta : « Même si j’utilise ces personnages pour exprimer des points de vue d’ordre culturel, je n’ai pas fait un film intellectuel. Il est au contraire très émotionnel. »

Chaque histoire a besoin d’être arrimée à quelque chose de concret, de reconnaissable : un truc auquel tout le monde peut s’identifier. Ce besoin d’appartenance qui nous tenaille à l’adolescence, le conflit générationnel avec un parent… C’est universel.

C’est à travers son volet émotionnel que le film, aussi ancré dans la culture indienne soit-il, atteint une portée universelle.

« Chaque histoire a besoin d’être arrimée à quelque chose de concret, de reconnaissable : un truc auquel tout le monde peut s’identifier, souligne le cinéaste. Ce besoin d’appartenance qui nous tenaille à l’adolescence, le conflit générationnel avec un parent… C’est universel. »

Puiser en soi

 

À ce stade tardif de l’entrevue, Bishal Dutta se tait un instant. Après une hésitation, il reprend : « En réalité, j’ai énormément puisé dans mon propre vécu pour écrire le scénario. Pas pour le récit comme tel, mais pour tout un tas de détails. Par exemple, la peur qu’a Sam de sentir la nourriture indienne, ça m’a hanté pendant toute l’école secondaire. Maintenant, j’adore l’odeur de la cuisine indienne, surtout celle de ma mère, mais à l’époque, je percevais ça comme un obstacle à mon intégration. Heureusement, à partir du collège, la différence devient un peu la norme. À l’école primaire et secondaire, il y a aussi une énorme pression exercée sur les immigrants les poussant à tendre vers une “américanité” exacerbée. La tentation de renoncer à notre culture découle notamment de ça. C’est aussi pour ces raisons que je savais que mon premier film aurait des adolescents pour personnages principaux. »

Sur une note plus légère, une autre certitude qu’avait Bishal Dutta à propos du film qu’il voulait faire concernait justement la cuisine indienne. Pour l’avoir si cavalièrement traitée autrefois, le réalisateur désirait lui rendre hommage. D’où cette abondance de scènes qui mettent en appétit… entre deux séquences susceptibles de couper celui-ci.

Le film It Lives Inside prendra l’affiche le 22 septembre.

À voir en vidéo