La quête de l’altérité en automne

L’art est le miroir du monde, forcément. Même quand divertir semble le but visé, les courants du jour finissent par alimenter les spectacles. Question de force d’attraction.

Sur le menu de la rentrée automnale, au hasard des listes, j’ai vu se profiler des thèmes chauds à l’assaut du public après infiltration dans l’air ambiant. La culture québécoise, moins arrimée à la quête collective qu’autrefois, se penche beaucoup sur l’individualité de tâtonnement. La différence devient le maître mot. Puisse-t-elle mener à la courtoisie, à l’heure où chacun s’apostrophe, en ligne ou pas, l’écume aux lèvres. Tant d’enjeux actuels divisent les gens. Autant les affronter sur la scène et à l’écran. Le milieu culturel s’y déploie. Façon woke en général, souvent dans le bon sens du terme, avec un esprit d’ouverture qui n’exclut pas l’exploration des racines.

Signe des temps, la cinéaste Sophie Dupuis offre à son acteur fétiche, l’exceptionnel Théodore Pellerin, un rôle de drag queen dans son film Solo, qui sort la semaine prochaine. L’interprète, tantôt vêtu en homme, tantôt en femme, campe avant tout un artiste sensible qui cherche une identité à travers son personnage.

Au théâtre et à l’écrit, Michel Tremblay avait ouvert la voie à toutes les Hosanna du red light de Montréal, sans faire fondre les préjugés tenaces à leur endroit. D’autres créateurs en remettent une couche à l’automne. René-Richard Cyr avec son musical rock Hedwig et le pouce en furie, adapté du film de John Cameron Mitchell, jouera au TNM sur la frontière des genres avec un personnage ni elle, ni lui et peut-être iel un coup parti.

Les êtres hors du sillon sont souvent des humains attachants, glorieux et fragiles. Ceux qui proviennent d’autres cultures également. Ça se crie. Ça se chante. Ainsi, Elisapie lance-t-elle l’album Inuktitut, reprises dans sa langue maternelle de chansons pop, rock ou romances signées Leonard Cohen, Les Rolling Stones, Metallica et autres Cyndi Lauper. Vrai pont de glace et de feu en traversée de frontières musicales.

Le roman Ru de Kim Thúy explorant son passé vietnamien, ses cauchemars de boat people et l’accueil chaleureux des Québécois sur fond d’écriture salvatrice, porté au cinéma par Charles-Olivier Michaud, gagne les écrans le 24 novembre.

Également à la rencontre de « l’autre », versant américain, Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese, en salle le 6 octobre, se révèle une des propositions les plus achevées du cinéaste de Taxi Driver et de Mean Streets. Le film brosse le destin tragique des Osages de l’Oklahoma, communauté autochtone à moitié décimée cent ans plus tôt par des Blancs véreux assoiffés de pétrole.

Scorsese a entretenu un lien étroit avec cette nation. À Cannes, où le film fut lancé, il témoignait de son profond respect pour les us, coutumes et croyances de ses hôtes. Ce grand western poético-tragique prend l’affiche le 6 octobre.

Il y aura de tout, en cette rentrée automnale. Les Québécois adorent rire, mais quand c’est l’acide et brillant Daniel Lemire qui monte sur scène du haut de ses 40 ans de carrière, le spectacle devient aussi un réveille-consciences en parcours sur plusieurs scènes du Québec.

Courville de Robert Lepage, après lancement au Diamant de Québec, arrive au TNM. Ce solo (Olivier Normand en compagnie de marionnettes Bunraku), s’offre la toile d’une adolescence dans le Québec turbulent des années 1970. Veine autobiographique qui avait su féconder à merveille La face cachée de la lune et 887.

Oui, il y aura beaucoup de femmes à la proue ou à la barre des spectacles, films et expositions. D’ailleurs, Anatomie d’une chute de la Française Justine Triel (Palme d’or à Cannes), bijou en forme de jeu de piste, gagnera bientôt nos cinémas.

Au théâtre Espace Go, Alexia Bürger montera corde. raide, une dystopie de Debby Tucker Green (traduite par Fanny Britt). Cette histoire de femme noire victime d’un crime violent, forcée par un règlement du futur à infliger sa sentence à l’agresseur, se veut mordante et satirique. Quant au très punk groupe féminin Pussy Riot, il prendra d’assaut le Rialto le 1er novembre dans un spectacle multimédia au festival Pop Montréal.

En doublé, le Musée d’art contemporain accueillera à Place Ville Marie dès le 25 octobre l’exposition Velvet Terrorism : Pussy Riot’s Russia. Les féministes militantes rueront dans les brancards. 

À contre-courant, Denys Arcand avec son film Testament, à l’affiche le 5 octobre, promet de tordre un bras aux diktats de la rectitude politique. Son héros en perte de repères (Rémy Girard) refuse l’effacement de ses valeurs et grogne à souhait. Ça tombera à pic. On a besoin d’entendre tous les discours.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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