Le logement dans l’angle mort

La saison politique automnale est déjà bien lancée, et la Coalition avenir Québec (CAQ) comme les partis d’opposition de l’Assemblée nationale tentent de nous convaincre que leur préoccupation pour le coût de la vie est la plus sincère et la plus porteuse de solutions.

François Legault nous a même raconté un moment de son histoire familiale, ce week-end, dans une publication Facebook rendant hommage aux stratégies d’économie domestique de sa mère, dans les années 1960. Il a ensuite étayé les mesures que son gouvernement a adoptées depuis cinq ans pour « remettre plus d’argent dans [nos] portefeuilles ».

Le premier ministre nous rappelle bien sûr les différents « chèques » envoyés aux ménages durant la dernière année, la hausse des allocations familles, la baisse des prix des stationnements dans les hôpitaux, entre autres.

Pour bien comprendre un texte comme celui-ci, il est important de déceler ce qui n’y est pas mentionné. Le grand trou dans le bilan de la CAQ pour soutenir les Québécois écrasés par la hausse du coût de la vie, c’est le logement. Ce n’est pas moi qui le dis : c’est le premier ministre qui (ne) le dit (pas) lui-même.

Aucune mesure touchant le logement n’a été vantée par François Legault en pensant à son action des cinq dernières années. Pourtant, c’est une évidence : le logement est de loin le  poste de dépense le plus important pour les ménages canadiens. Le texte du premier ministre mentionne certes l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur les paiements d’hypothèque des propriétaires, mais aucune mesure de son gouvernement pour endiguer la crise de l’immobilier.

Comprenons-nous bien : la plupart de ceux qui sont affectés par la hausse du coût de la vie au point d’avoir de la difficulté à payer leur épicerie sont des locataires. Et quel est le dernier engagement de Québec les concernant ? Rien de moins qu’un projet de réforme du droit au logement qui viendrait affaiblir les cessions de bail, soit l’un des seuls outils dont ils disposent encore pour limiter la hausse des loyers.

Qu’a fait encore la CAQ pour favoriser la disponibilité des logements accessibles aux moins fortunés ? Mettre fin au programme AccèsLogis, qui facilitait la construction de logements sociaux et communautaires, c’est-à-dire hors du marché privé, telles les coopératives d’habitation.

Le programme était certes imparfait, mais plutôt que de chercher à l’améliorer, comme le réclamaient les acteurs du secteur communautaire, on a laissé la situation s’aggraver pour mieux justifier politiquement de s’en débarrasser.

Par quoi Québec a-t-il remplacé AccèsLogis ? Par le Programme d’habitations abordables Québec (PHAQ), qui offre aussi des subventions aux promoteurs privés pour des logements dits abordables — la définition du terme est souvent très élastique — et qui, à moyen terme, peuvent faire l’objet du même type de spéculation que le reste du parc immobilier. Pourtant, si la logique marchande était la bonne pour garantir le logement comme droit pour tous et non comme « opportunité d’investissement », on le saurait.

On le saurait, notamment, parce que le Règlement pour une métropole mixte (RMM) adopté par la Ville de Montréal en 2021 se serait soldé par autre chose qu’un échec total. Le règlement dit « 20-20-20 » devait garantir l’inclusion de 20 % de logements sociaux, 20 % de logements familiaux et 20 % de logements « abordables » dans les projets d’envergure.

Or, si la Ville en avait promis un bilan au début 2023, aucun rapport n’a été publié. Une enquête de Pivot a révélé que, depuis l’adoption du règlement, les promoteurs privés ont préféré verser une compensation financière à la Ville plutôt que de construire des logements sociaux dans 97 % des cas. Depuis, on continue de réduire au minimum les communications sur ce qui était pourtant un engagement phare de Projet Montréal.

À Ottawa, l’échec à construire hors du marché privé est tout aussi retentissant. En avril, un rapport du Conseil national du logement a conclu que 30 ans d’absence du fédéral en matière d’investissements dans le logement social et communautaire ont contribué significativement à la crise actuelle. On attend encore, à Ottawa, une réaction à ce rapport qui s’accompagne d’un véritable changement de cap stratégique. Au fond, en replaçant AccèsLogis par le PHAQ, Québec s’engage dans la voie qui a mené le fédéral droit dans le mur.

Si la crise du logement était un peu moins mauvaise au Québec que dans bien des provinces, c’est aussi parce qu’il y avait un écosystème particulier qui favorise la création de coopératives d’habitation, ou la réglementation autour des cessions de bail qui a donné au Québécois des outils qui manquaient ailleurs. Cet écosystème est en voie d’être affaibli par la CAQ. Et la solution mise en avant par une ville comme Montréal, quand on y regarde de plus près, est si conciliante avec les intérêts du privé qu’elle s’apparente à des coups d’épée dans l’eau.

On le sait, la crise du logement est complexe, et les trois ordres de gouvernement devront collaborer pour lui dessiner une véritable voie de sortie. Or, on a plutôt l’impression qu’on rivalise de part et d’autre pour contribuer au problème.

Mercredi, le ministre des Finances Eric Girard annonçait que la saison des « chèques » était terminée et que des « mesures ciblées » pour le logement seraient annoncées dans le cadre de sa mise à jour économique de l’automne. L’action de Québec est plus que bienvenue dans ce dossier crucial pour s’attaquer à la question plus générale de la hausse du coût de la vie.

On se demande toutefois si l’approche préconisée par la CAQ aidera véritablement les ménages les plus vulnérables. Si on choisit de prioriser les intérêts du privé avec une réglementation et des programmes si « souples » qu’on donne aux promoteurs à peu près le champ libre pour ne construire que ce qui est le plus profitable, on continuera à travailler dans le vide ou, pire encore, à nuire.

Anthropologue, Emilie Nicolas est chroniqueuse au Devoir et à Libération. Elle anime le balado Détours pour Canadaland.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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