Le pop art à toutes les sauces

Qu’est-ce que le pop art ? Un mélange d’éléments incongrus. Des images archiconnues issues de la pub, de l’affichage, de la photo, des médias de masse, des étiquettes commerciales, se transforment, deviennent des jouets, des pictogrammes médiatico-culturels à consommer vite fait.

Le roi américain du genre, Andy Warhol, issu d’une famille venant de l’Europe de l’Est, connaissait fort bien le pouvoir de l’icône religieuse. Comme artiste, il en aura prôné le détournement en remplaçant les images pieuses par des figures d’objets familiers ou des portraits de vedettes.

Sous sa griffe, Mao, servi sur le même plan que Marylin, se transformait en objet inoffensif de culture populaire. Sur des mises en garde mal comprises, Warhol éclairait par ses oeuvres les nouveaux cultes profanes, profils de modernité évanescents comme des bulles de champagne. Pop ! Pop ! Pop !

Ce courant artistique n’a jamais fini de prospérer. Sans doute le pop art existait-il déjà avant de s’afficher. Car le kitsch n’a pas d’époque. Tantôt ironique, tantôt manié avec une mauvaise foi alarmante, plus vivant qu’hier, en somme.

Aujourd’hui, sur la Toile, les images transformées par l’intelligence artificielle semblent émerger de la Factory new-yorkaise de Warhol trois générations plus tard. Les médias sociaux jouent du violon, du pop et du kitsch pour faire dire aux images chocs ce que bon leur semble. Des complotistes et des puissants les utilisent à leur profit.

Ainsi le fameux mugshot de Donald Trump dans la prison d’Atlanta. L’ancien président américain y copiait — après s’être exercé devant un miroir — le regard noir en biais de Winston Churchill sur le cliché iconique de Yousuf Karsh. Ce photographe venait de lui arracher son cigare de la bouche en 1941, d’où le courroux du bouledogue anglais. L’image devint célébrissime, pop avant la lettre. Et, par sa force de frappe, appelée à faire des petits.

Trente ans plus tard, le cinéaste Stanley Kubrick, pour un plan phare du héros de son film Orange mécanique (Malcolm McDowell, aux yeux très maquillés), s’était lui aussi, dit-on, inspiré du fameux cliché de Churchill furibond. Le visage de son jeune révolté tapissa les affiches du film à sa sortie, en flashant à son tour. Trump rameute la même expression de colère en détournement cynique, quoi d’autre ?

Transformer un cliché d’infamie en argument électoral comme en campagne de financement relève du coup de baguette pop : un sorcier noir à muer en martyr. Trump a fait reproduire sur des t-shirts, des autocollants et des surfaces diverses sa mine d’enragé afin de la vendre en effigie. Sur le mode trumpien, ça révolte. L’ancien champion de la téléréalité n’a certes rien d’un artiste, mais il sait manipuler les images comme nul autre. Cette photo sur supports divers se vend et se vendra au-delà des limites de sa base. Le pop est un art qui peut s’encanailler.

Cette longue introduction à travers les splendeurs et misères du genre m’entraîne à vous parler de l’expo Pop la vie ! au Musée des beaux-arts de Montréal. On ne parle pas d’une exposition foisonnante, 70 oeuvres environ, tirées des collections de la boîte. Mais elle tombe pile en abordant la révolution artistique du pop art, qui changea nos perceptions du monde pour le meilleur et pour le pire.

La plupart des oeuvres, souvent issues des années 1960, 1970 et 1980, sont le fruit d’artistes masculins. Nombre d’entre elles célèbrent les archétypes féminins éculés de la vamp ou de la ménagère. Mais on y trouve aussi le Mao d’Andy Warhol, une étude pour Mouth, en langue et en courbes, de Tom Wesselmann.

On admire le sandwich jambon-fromage en terre cuite émaillée de David Gilhooly, avec son cochon entier à croquer entre deux tranches de pain. Un cactus portemanteau en polyuréthane côtoie les objets robots et les fusées des années de quête de l’espace.

Le pop art s’arrime à une esthétique de bande dessinée, aux percées technologiques, au glorieux plastique désormais roi du monde. Des photos de manifestations contre la guerre au Vietnam ou des parodies des années FLQ invitent à regarder plus loin que la représentation. Si possible avec un esprit critique. L’oeuvre icône réductrice, superficielle, comique ou remplie de points d’interrogation défie les visiteurs de ses masses colorées faussement anodines.

Plusieurs artistes québécois, comme Pierre Ayot, Gilles Boisvert, Guy Montpetit, Joyce Windland, sont du bal pop au MBAM. Edmund Alleyn, à travers une installation particulièrement complexe, The Big Sleep (1968), écorche le mariage entre l’être humain et la machine. Et l’anxiété que ses mécanismes inspirent renvoie à nos temps présents connectés, électrocutés.

On peut suivre cette expo comme un parcours ludique ou comme un avertissement crypté : les icônes sont parfois traîtresses. Ou lourdes de menaces. Attention, danger !

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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