Et le droit des enfants?

Si ce n’était pas aussi dangereux, on pourrait prendre le temps de trouver ridicule, voire pathétique, que les stratégies conservatrices canadiennes ne consistent si souvent qu’à importer les mauvaises idées américaines, avec quelques années de décalage.

Cette semaine, Pierre Poilievre nous a offert une excellente démonstration du phénomène. Après qu’un nombre record de lois limitant les droits des enfants LGBTQ+ ont été adoptées aux États-Unis, le chef du Parti conservateur du Canada a déclaré, lors d’un discours, que les écoles devraient « laisser les discussions sur les enjeux LGBTQ aux parents ».

La sortie survient dans le contexte où plusieurs provinces dirigées par des gouvernements conservateurs font reculer les droits des enfants trans et non binaires par le truchement des écoles, à l’imitation de plusieurs États républicains au sud de la frontière.

Le Nouveau-Brunswick a d’abord révisé cet été sa politique 713, qui exige désormais que l’école informe immédiatement les parents lorsqu’un enfant de moins de 16 ans souhaite qu’on l’appelle par un nouveau prénom ou pronom. La Saskatchewan a emboîté le pas cette semaine et le gouvernement de l’Ontario entame une réflexion similaire.

Tout comme aux États-Unis, l’attaque contre les droits des enfants trans et non binaires est présentée comme une défense du « droit parental » de déterminer ce qui est bon pour l’enfant. C’est au nom des droits parentaux, par exemple, que plusieurs États américains souhaitent bannir la seule mention des réalités LGBTQ+ dans les écoles.

Le terme qui est complètement absent de la présentation de ces réformes scolaires : le droit de l’enfant. Parce que c’est, bien sûr, de cela qu’il est question : le droit de l’enfant, notamment à la sécurité.

Si un enfant non binaire ou trans vient d’une famille où il se sent en sécurité, il ne devrait pas avoir de problème à parler de lui-même à ses parents de sa volonté d’essayer un nouveau prénom ou pronom. Ou alors, des parents qui se questionnent sur l’identité de genre de leur enfant peuvent tout à fait, d’eux-mêmes, ouvrir cette discussion avec leur enfant.

Mais lorsqu’un jeune non binaire ou trans évolue dans une famille qui n’accepte pas son questionnement ou son évolution identitaire, l’école est souvent le seul espace un tant soit peu sécuritaire qui lui est accessible. Si les enfants ne peuvent plus parler aux adultes de confiance de leur école sans crainte que leurs parents soient tout de suite mis au courant, plusieurs décideront de se taire, au détriment de leur santé.

On le sait, et c’est démontré étude après étude, il y a une forte corrélation entre la santé mentale d’un enfant ou d’un adolescent LGBTQ+ et son accès à un environnement où il peut être lui-même. Les conséquences de l’homophobie, de la queerphobie et de la transphobie sur les jeunes passent par l’anxiété, la dépression, les idéations suicidaires, et parfois plus. Il y a encore une proportion démesurée de jeunes trans, par exemple, qui se retrouvent à la rue parce que leur famille n’a pas su accepter qui ils étaient.

Il est plus rare de nos jours que des jeunes soient rejetés par leur famille à cause de leur orientation sexuelle, même si ce type de violence n’est pas encore disparu de nos sociétés. Mais lorsqu’il est question d’identité de genre, il est encore acceptable de véhiculer de la désinformation sur la place publique, et les préjugés sont très répandus au sein de la société.

Bref, par « droits parentaux », on veut ici parler d’un droit parental à des préjugés qui entrent directement en conflit avec le droit de l’enfant à la santé et à la sécurité. En faisant semblant, dans le discours politique, que les parents ont toujours raison, on masque une réalité pourtant indéniable : une des expériences traumatiques les plus communes pour les personnes LGBTQ+ est celle du rejet et de la violence familiale.

Depuis plusieurs années, les ressources communautaires se multiplient pour outiller les familles qui souhaitent accompagner leur enfant dans son affirmation de genre. Et puisque l’immense majorité des parents tiennent plus fort au bien-être de leur enfant qu’à leurs idées reçues, les mentalités évoluent assez rapidement aussi.

L’État a toutefois un rôle de protection de l’enfance, notamment à travers son système de santé, ses services sociaux et ses écoles. Et la moindre des choses que l’école peut faire pour non seulement protéger, mais respecter les enfants, c’est de les laisser aller vers leurs parents à leur rythme, selon leur évaluation de leur sentiment de sécurité, sur les questions de genre.

L’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) prépare un recours judiciaire contre la directive du ministère de l’Éducation de la Saskatchewan. En gros, il est déjà courant pour un enfant de demander qu’un prénom différent soit utilisé pour s’adresser à lui. On peut penser à un William qui veut qu’on l’appelle Bill, à une jeune fille qui préfère son deuxième prénom ou à un élève fatigué qu’on massacre son prénom à consonance étrangère. Puisqu’il n’est pas question d’avertir les parents de tous les changements de nom d’usage, mais seulement lorsqu’on soupçonne un questionnement de genre, l’ACLC croit pouvoir démontrer que la politique s’appuie clairement sur une discrimination.

Rappelons que l’identité de genre constitue un motif de discrimination protégé par la Charte des droits et libertés canadienne depuis 2017. En matière d’évolution des mentalités, 2017, c’est hier. C’est pourquoi il faudra se méfier des sondages qui continueront à être publiés sur la question dans les prochaines semaines. Il se peut que cette notion de « droits parentaux » qui évacuent les droits des enfants résonne auprès d’une partie non négligeable de la population. On pourrait être tenté d’oublier que c’est justement lorsque les droits d’une minorité ne sont pas populaires qu’ils doivent être le plus fortement défendus par les institutions publiques.

Anthropologue, Emilie Nicolas est chroniqueuse au Devoir et à Libération. Elle anime le balado Détours pour Canadaland.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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