Au-delà de la parité

C’est un débat entre féministes qui a le plus souvent une portée, disons-le d’emblée, intergénérationnelle.

D’un côté, il y a les femmes (pour la plupart plus âgées) qui se sont battues pour briser les plafonds de verre et avoir accès à une maigre représentation dans les lieux de pouvoir. Ce sont elles qui ont fondé la quasi-totalité des organismes qui oeuvrent à augmenter la proportion de femmes en politique, dans le milieu des affaires, dans les emplois traditionnellement masculins. Elles qui ont vécu la plus grande émotion en suivant les carrières d’une Hillary Clinton ou d’une Pauline Marois. Leur mot-clé, leur combat : la parité.

De l’autre côté, il y a les féministes (pour la plupart plus jeunes) qui ont eu le privilège de tenir pour acquise au moins une certaine représentation des femmes dans les lieux de pouvoir… et qui voient bien que la planète continue de brûler (si vous me permettez de caricaturer ainsi). En gros, parce qu’on sait bien que même si les obstacles demeurent importants, il n’est plus impossible pour les femmes d’aller en politique, on se permet de pousser la réflexion plus loin. Est-ce que la dernière élection albertaine, par exemple, qui a été remportée par la conservatrice Danielle Smith qui affrontait la néo-démocrate Rachel Notley, est une victoire féministe ? Est-ce que, avec deux femmes cheffes de partis, le patriarcat a automatiquement reculé dans l’Ouest ?

Le débat cesse d’être abstrait lorsqu’on s’intéresse au renouveau dans les organismes qui militent pour la parité, au Québec ou ailleurs au pays. Le plus souvent, on est non-partisan et on cherche à offrir des formations qui prépareront les aspirantes candidates à remporter des élections dans tous les partis politiques, de gauche comme de droite. Ailleurs au pays, la manière de fonctionner a fini par susciter de vifs débats. D’une part, on se demande comment il pourrait être féministe de travailler à l’élection de femmes socialement conservatrices, opposées au droit à l’avortement, par exemple, simplement parce qu’elles sont femmes.

D’autre part, une lecture plus intersectionnelle du féminisme vient encore compliquer les choses. Pourquoi le succès électoral d’une femme qui s’en pendrait aux droits des femmes immigrantes ou qui se fiche des droits des femmes autochtones devrait-il être célébré par toutes les femmes ? Pourquoi soutenir automatiquement une femme qui refuserait d’augmenter le salaire minimum alors qu’on sait bien que c’est une majorité de femmes qui en vivent ? Ce sont là des exemples du genre de questionnements épineux qui a éloigné bien des jeunes féministes du combat pour la parité.

Comme dans la plupart des débats (notamment) intergénérationnels, tout le monde a un peu raison. Il ne peut y avoir de politique féministe sans femmes. Mais la seule présence de femmes ne garantit pas le féminisme.

 

À Québec solidaire, on semble être arrivé à cette même conclusion, qui rassemble les deux perspectives. Sauf que comme avec les organismes « non partisans », c’est dans l’exécution des principes qu’on arrive aux questions épineuses. Alors que le caucus solidaire est désormais composé de huit hommes et de quatre femmes, l’exécutif du parti ainsi que plusieurs élues et ex-candidates poussent pour qu’une femme remporte la course à l’investiture dans Jean-Talon, une circonscription de Québec où la CAQ, le PQ et QS sont au coude-à-coude. La situation crée bien sûr un malaise, alors que la première candidature déclarée est venue d’Olivier Bolduc, qui était le candidat local lors de la dernière élection générale. Christine Gilbert, ancienne candidate dans Lotbinière-Frontenac, s’est aussi lancée dans la course mercredi.

Pour expliquer les encouragements à voter pour une femme, on répète que Québec solidaire peut difficilement se targuer d’être un parti féministe si des efforts ne sont pas faits pour que les femmes soient bien représentées au caucus. La logique tient la route. Il resterait à la compléter. Pourrait-on mieux communiquer au grand public ce que ça change, tant sur le plan des idées défendues que sur celui de la culture politique interne, d’avoir plus d’élues ? Pourrait-on poser des questions aux hommes et aux femmes qui se présenteront à l’investiture sur le féminisme qu’ils et elles défendent ? Pourrait-on, en d’autres termes, rappeler aussi la substance du débat, plutôt que les seules statistiques ?

Au fédéral, le gouvernement libéral peut nous fournir plusieurs exemples de ce qui advient lorsqu’on se concentre sur l’optique paritaire en oubliant de communiquer sur le fond. Encore hier, un remaniement ministériel nous garantissait le maintien de l’égalité homme-femme au gouvernement, avec 18 hommes et 18 femmes. C’est tant mieux, soulignons-le.

Par ailleurs, il faudrait aussi rappeler que c’est un conseil des ministres tout aussi paritaire qui avait produit la Politique d’aide internationale féministe (PAIF) en 2017. En grande pompe, on avait annoncé que le féminisme faisait partie des valeurs de ce gouvernement, et qu’il était impératif que ces valeurs teintent le rôle du Canada dans le monde. Ce printemps, la vérificatrice générale Karen Hogan (aussi une femme, donc) avait conclu dans un rapport que 24 des 26 indicateurs de progrès mis de l’avant par le ministère des Affaires mondiales ne donnaient pas de résultats mesurables.

En gros, on ne sait pas si le gouvernement du Canada a quelque impact que ce soit sur l’avancée de la condition des femmes et des filles à travers le monde, et en Afrique subsaharienne en particulier. Depuis le début de la guerre en Ukraine, particulièrement, on peine à trouver une seule mention de la PAIF dans les communications les plus visibles du gouvernement. Ajoutons que la seule présence de femmes en journalisme politique n’a pas en soi garanti qu’on poserait des questions au gouvernement Trudeau ou à la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, (toujours une femme) sur les efforts réels de solidarité du Canada envers les femmes africaines.

C’est là, au fond, la différence entre « les femmes » et « le féminisme » en politique : il faut toujours veiller à ce que le fond suive la forme.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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