«C’est maintenant ou jamais» pour transformer le monde, prévient le GIEC

Il est plus urgent que jamais de réduire immédiatement et de façon « draconienne » les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Pour y parvenir, il faudra non seulement tourner le dos aux énergies fossiles, mais aussi transformer en profondeur nos villes, nos modes de transport et notre régime alimentaire, conclut le nouveau rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).

« Sans une réduction immédiate et draconienne des émissions dans tous les secteurs, limiter le réchauffement à 1,5 °C est hors d’atteinte », a prévenu lundi le président du GIEC, Hoesung Lee, en présentant le nouveau rapport consacré aux moyens de s’attaquer à la crise climatique.

Concrètement, il faut que les émissions mondiales de GES plafonnent d’ici 2025, avant de diminuer d’au moins 43 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 2019. Ce virage sans précédent depuis le début de l’ère industrielle est essentiel pour espérer respecter les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Or, les engagements actuels nous conduisent vers une croissance d’au moins 14 % des émissions d’ici la fin de la décennie.

« Nous sommes à la croisée des chemins. Les décisions que nous prenons maintenant peuvent nous assurer un avenir viable. Nous avons les outils et les connaissances pour limiter le réchauffement », a d’ailleurs ajouté Hoesung Lee, au terme d’une session de négociations difficiles pour les 195 gouvernements membres du GIEC.

Énergies fossiles

 

Le nouveau rapport met en lumière la nécessité de mettre en œuvre « des transformations majeures dans le secteur de l’énergie. Cela impliquera une réduction substantielle de l’utilisation des énergies fossiles, une électrification à grande échelle, une bonification de l’efficacité énergétique et une utilisation des carburants alternatifs, comme l’hydrogène ».

À moins de pouvoir compter sur des projets efficaces de réduction des émissions de GES dans l’industrie (comme la technologie expérimentale de capture et de stockage du carbone), le GIEC évalue qu’il faut éliminer le recours au charbon d’ici 2050, mais aussi réduire notre utilisation du pétrole d’au moins 60 % et notre utilisation du gaz naturel de 70 %.

Dans ce contexte, les nouveaux projets de développement de l’industrie, dont ceux qui existent au Canada, risquent de nous imposer des émissions de GES qu’il faudrait éviter. Dans un rapport publié l’an dernier, l’Agence internationale de l’énergie soulignait déjà la nécessité d’abandonner tous les nouveaux projets d’exploitation d’énergies fossiles.

La transformation du paysage énergétique nécessitera des investissements sans précédent, alors que les énergies fossiles représentent toujours plus de 80 % du mix énergétique mondial. Heureusement, les coûts de déploiement des énergies renouvelables sont plus bas que jamais. Malgré cela, à l’heure actuelle, « le financement public et privé en faveur des énergies fossiles est toujours plus important que celui consacré à l’adaptation et à la mitigation ».

Le rapport publié lundi constate en outre le besoin de « changements dans nos modes de vie » afin de lutter contre les bouleversements du climat. Cela passe par une réduction des besoins en transports motorisés (dont les voyages en avion), mais aussi par l’aménagement des villes, qui doit impérativement permettre de « réduire la consommation d’énergie » et de ressources.

Des villes adaptées à nos objectifs climatiques supposent de permettre les déplacements en transports collectifs, mais aussi à pied ou à vélo. Le GIEC souligne également que « les réseaux de parcs, les milieux humides et l’agriculture urbaine peuvent réduire les risques d’inondations et les îlots de chaleur ».

Le rapport de plus de 2900 pages insiste aussi plus globalement sur le besoin de restaurer les forêts et d’autres écosystèmes (milieux humides côtiers, prairies, tourbières, savanes) afin de bonifier les structures naturelles qui permettent de stocker du carbone. La réduction de la déforestation dans les régions tropicales est elle aussi essentielle.

Les scientifiques mettent par ailleurs en lumière le besoin de transformer notre régime alimentaire, qui comprend toujours un apport important de produits d’origine animale. Le « Résumé à l’intention des décideurs » qui a été produit par le GIEC souligne ainsi la nécessité d’un changement vers une « diète saine », soit un régime alimentaire comprenant des aliments « à base de plantes » et d’autres d’origine animale, mais produits dans un contexte « durable » et de « faibles » émissions de GES.

« Le changement climatique est le résultat de plus d’un siècle d’utilisation non durable de l’énergie et des terres, des modes de vie et des modes de consommation et de production », a résumé lundi Jim Skea, vice-président du groupe de travail du GIEC. « Le rapport nous montre comment agir maintenant peut nous conduire vers un monde plus équitable et plus soutenable. »

Années critiques

 

Pour le moment, le monde est cependant toujours sur une trajectoire climatique dangereuse, rappelle le document du GIEC, qui a été rédigé par 278 auteurs provenant de 65 pays, en plus de 354 contributeurs.

« Les émissions sont toujours à la hausse. Elles sont à leur niveau le plus élevé jamais atteint », a d’ailleurs fait valoir une co-autrice du rapport, Céline Guivarch, lors d’une présentation lundi matin. « Le monde n’est pas sur la bonne trajectoire pour limiter le réchauffement climatique et éviter ses effets les plus graves. Seules des mesures immédiates et ambitieuses dans tous les secteurs sont à même de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre. »

« Je suis encouragé par l’action climatique mise en œuvre dans plusieurs pays. Il y a des politiques, des réglementations et des instruments du marché qui démontrent leur efficacité. S’ils sont bonifiés et appliqués plus largement et équitablement, ils peuvent mener à des réductions majeures des émissions et stimuler l’innovation », a toutefois souligné Hoesung Lee.

« Pour le bien de la prochaine génération et l’avenir de la planète, nous exhortons tous les membres, en particulier les principaux émetteurs, à répondre à ce rapport en mettant en œuvre les promesses et engagements pris » dans le cadre de l’Accord de Paris, a plaidé pour sa part Patricia Espinosa, secrétaire générale de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. À moins de progrès concrets importants d’ici le prochain sommet climatique de l’ONU (COP27), ces engagements pris à Paris en 2015 seront hors d’atteinte.

Des cibles en deçà des recommandations

Le GIEC indique dans son nouveau rapport que, pour espérer limiter le réchauffement planétaire à une moyenne de 1,5 °C, il faudrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de 43 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 2019.

 

Le Canada a choisi une cible de réduction de 40 % d’ici 2030, par rapport à 2005. Cela signifie que le pays devrait alors émettre 443 millions de tonnes (Mt) de GES. Si on appliquait ici la cible inscrite dans le rapport du GIEC, les émissions devraient atteindre 416 Mt en 2030. La différence, soit 27 Mt, équivaut aux émissions annuelles de 11 millions de voitures.

 

Le Québec a opté pour une cible de réduction de 37,5 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 1990. Cela devrait ramener les émissions annuelles de GES à 54 millions de tonnes en 2030. Si on appliquait ici la cible inscrite dans le rapport du GIEC, les émissions devraient atteindre 48 Mt en 2030. La différence, soit 6 Mt, équivaut aux émissions annuelles de 2,4 millions de voitures.



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