Savez-vous ce que vous buvez?

« Mille vignes. Penser le vin de demain », pour votre ado qui a tourné le dos à son verre de lait !
Photo: Jean Aubry « Mille vignes. Penser le vin de demain », pour votre ado qui a tourné le dos à son verre de lait !

Si vous lisez cette chronique, c’est que vous buvez du vin, pas un verre de lait. Comme le disait si justement Gabin : « Je boirai du lait quand les vaches boufferont du raisin ! »

Alors oui, du vin. Mais que contient-il, justement, ce verre de vin ? C’est ce que commente, entre autres sujets, Pascaline Lepeltier, sommelière émérite, restauratrice, autrice et ex-candidate au concours de meilleur sommelier du monde 2023, où elle s’est tout dernièrement classée en quatrième position.

Cette dame est surtout une femme intense et passionnée, d’un commerce agréable, d’une curiosité sans bornes et dont l’ouvrage Mille vignes. Penser le vin de demain (Hachette Vins) est une véritable caverne d’Ali Baba d’informations, d’observations et de points de vue mis en lumière avec une rigueur doublée d’un professionnalisme incontestable. Un livre de référence pour celles et ceux qui ont fait leurs classes, mais qui instruira aussi cette nouvelle génération qui a depuis tourné le dos au verre de lait pour mieux plonger dans le vin de demain.

Pour le dire simplement : une suite plus que pertinente aux ouvrages du grand Émile Peynaud (Le goût du vin, Connaissance et travail du vin ou encore Le vin et les jours, tous parus aux éditions Dunod), qui m’ont jusqu’à ce jour personnellement servi de biberon.

L’un des chapitres de ce livre arrive à point nommé. Il croise justement cette question qui taraude bon nombre d’entre vous, à savoir ce que contient le verre de vin que vous buvez. Les idéalistes n’y verront que le résultat d’un jus de raisin fermenté, bien leur en fasse. Les chimistes, eux, y décèleront un cocktail d’éléments qui, sans être nocif pour la santé (quoique…), cache une réalité que les avancées de l’oenologie moderne repoussent plus loin encore. Le savoir-faire empirique d’initiés penchés sur leurs cuves, tels des sorciers répétant les mêmes gestes sans en comprendre la signification profonde laisse place aujourd’hui à une science oenologique « à la carte » qui, transposée sur le plan littéraire, se rapprocherait de ChatGPT.

Mais, se demande Pascaline Lepeltier, cette oenologie ne dénaturerait-elle pas le vin en recourant à des technologies toujours plus avancées ? « Elle est techniquement capable aujourd’hui de changer la composition moléculaire du vin, d’en extraire des constituants, de les rassembler à sa guise pour garantir une consistance et pallier les variations dans une logique agro-industrielle. Elle peut aussi recourir à des produits exogènes toujours plus nombreux. »

Rassurez-vous tout de même. Il existe un code des pratiques oenologiques régulièrement mis à jour par l’OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin), un organisme sérieux, qui propose une liste contraignante de 102 produits passés en revue par des experts de tout acabit.

Mais, comme le souligne justement Pascaline Lepeltier, « alors que le vin est un des produits alimentaires les plus contrôlés, de sa production à sa commercialisation et à sa consommation depuis 1889 et la loi Griffe, il est paradoxalement un des rares qui échappent à l’étiquetage de ses ingrédients ». Seulement neuf mentions y sont obligatoires, dont entre autres le degré d’alcool par volume, la provenance, la présence d’allergènes (sulfites, lait, oeuf) et le volume.

Pour le reste, la contre-étiquette nécessiterait un code QR pour colliger la liste entière de tous les ingrédients que contient votre bouteille de vin, surtout si on fait référence aux pratiques dites « conventionnelles » ou à haute valeur environnementale (HVE). Ainsi, phosphate diammonique, polyaspartate de potassium, gomme arabique, dichlorhydrate de thiamine, citrate de cuivre, bêta-glucanases, ovalbumine et autres extraits protéiques de levures ne sont que la pointe de la pipette émergeant du foudre contenant une liste d’ingrédients à vous faire dresser les cheveux à même vos propres papilles.

Est-ce à dire que le vin biologique est plus catholique que le pape ? Pas dans ses burettes, du moins. Bien sûr que les doses de dioxyde de soufre admises sont ici respectivement de 100 milligrammes par litre (mg/l) pour les rouges et de 150 mg/l pour les blancs (contre moins de 30 mg/l pour le vin nature), mais la liste citant d’autres intrants — même autorisés — est aussi particulièrement gratinée.

Le bio n’est pas non plus sans vices de forme. Par exemple, une propriété qui revendique le bio, mais dont les parcelles jouxtent un vignoble traité en « conventionnel » ou qui fiche en terre des tiges de fer galvanisé (au lieu de piquets d’acacias) diffusant lentement mais sûrement en sous-sol des métaux lourds (dont l’arsenic n’est pas le moindre), est-elle en ce sens au-dessus de tous soupçons sanitaires ? Il ne faut pas boire tout ce qu’on croit. Même si on ne sait pas tout ce qu’on boit.

À grappiller pendant qu’il en reste !

Vinho Verde 2021, Casa Santa Eulália, Portugal (17,55 $ – 14486371). Et par ici, piballes et autres petites fritures, car le cépage avesso aura raison ici de votre peau, même croustillante. Le registre est d’équerre, voire vertical, aussi tonique que tenace, pourvu de notes citronnées à vous décaper bien d’autres fritures encore, car il fait soif avec ce léger blanc sec. (5) ★★½

Saint-Chinian 2021, La Croix d’Aline, Languedoc-Roussillon, France (17,60 $ – 896308). Le Languedoc-Roussillon, c’est l’abondance au pays des syrahs et grenaches noirs. C’est aussi s’entourer de garrigues pour les parfums, ainsi que d’énergie solaire et minérale pour la tension, ce réconfort sur le plan épicé et fruité qui plaît tout autant à la cuisine méditerranéenne qu’au plus grand nombre attablé pour la célébrer. Vin de nez et de texture de bouche, souple et de belle fraîcheur, sapide et invitant. (5) ★★½

Muscadet Sèvre et Maine sur Lie « La Bregeonnette » 2021, Stéphane Orieux, Loire, France (20,30 $ – 14238511). Ce bio brille par son fruité vif, net et éclatant. Il vous file entre les dents comme s’il donnait l’impression de croquer dans un nuage, vaporisant le palais au passage avec sa touche saline, finement citronnée. C’est léger, vertical, simple, mais fort amical. (5) ★★½

Agterpaaie 2020, Afrique du Sud (20,60 $ – 15071477). Évidemment, une version différente du grand cépage touriga nacional, mais aussi un fruité riche, bien frais et linéaire qui ne donne pas sa place. Un rouge savoureux, un rien épicé, doté d’une texture lisse, d’un équilibre certain. Le carafer une bonne heure avant de le servir à 16 degrés Celsius en compagnie de côtes levées fumées. (5) ★★½

Champalou Vouvray Brut, Loire, France (29,40 $ – 13031973). Nous avons là un équilibre qui se satisfait de lui-même, comme si la balançoire sucrée-acide alimentait déjà un fruité plus que juteux de texture. On s’y maintient surtout sur l’étoffe d’un blanc ayant séjourné sur lattes pour mieux dérouler en bouche un discours nuancé qui se distingue. Une bulle à servir avec feuilletés au fromage et salade en entrée. (5) ★★★½

Pinot Gris « Les Jardins » 2020, Domaine Ostertag, Alsace, France (38,50 $ – 866681). La très fine touche de volatile ajoute déjà à la remarquable dynamique de ce blanc à la limite du sec-tendre (lire ici autour de 4 grammes de sucres résiduels par litre). L’envolée fruitée est ailleurs, profonde et soutenue, assumée à même une sève moelleuse et pénétrante. Un blanc qui interpelle et vous cause longuement du temps qui passe, mais surtout du temps que l’on s’octroie pour mieux en apprécier le sens. Le jambon pascal a dû sortir du placard avant l’heure pour régaler ce beau pinot gris. (5+) © ★★★½

Mille vignes. Penser le vin de demain

Pascaline Lepeltier, Hachette Pratique, 360 pages, 2023



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