Pas de zones grises pour le verre noir

Déguster un vin dans un verre noir est tout aussi insondable que le mystère de la Vierge Marie.
Photo: Jean Aubry Déguster un vin dans un verre noir est tout aussi insondable que le mystère de la Vierge Marie.

La dégustation est affaire de contexte. Le même vin dégusté en même temps sous 43 fuseaux horaires différents par un nombre égal de participants a toutes les chances d’être diversement interprété. Même produit, même verre, même température de service. Pourtant, des perceptions qui peuvent parfois s’avérer diamétralement opposées.

Imaginez maintenant le même scénario, à la différence près que la dégustation se déroule cette fois avec un verre noir (utilisé en dégustation géosensorielle) à la place de l’instrument transparent habituel. Comme toute occasion est bonne pour faire avancer le schmilblick, j’ai profité dernièrement — avec la participation bien involontaire d’Hydro-Québec — de 78 heures confiné dans un noir d’encre pour sortir mon verre noir du placard. Éclairant à plus d’un titre.

Un texte citant les auteurs Boltanski et Thévenot (De la justification. Les économies de la grandeur) rédigé par le professeur Dany Baillargeon dans le tout dernier Devoir de philo allait bien malgré moi orienter sous de nouveaux auspices ma dégustation doublement à l’aveugle dans ce fameux verre noir. En effet, l’intelligence artificielle (IA) dont il est question dans ce dernier texte peut-elle interpréter le vin contenu dans un verre opaque comme le ferait un humain, « sans toutefois être digne de l’investissement propre à la création soit : l’amour, la passion, l’inquiétude, le doute, le désir de créer » ? Il est permis d’en douter.

Verre noir c. IA

Soyons clair : déguster un vin dans un verre noir est tout aussi insondable que le mystère de la Vierge Marie, que l’on soit un humain ou un robot programmé par un humain (lui-même sans doute déjà dépassé par sa création).

Oublions derechef la perception visuelle, qui, pour le cortex cérébral, compte pourtant pour 15 à 17 % de la superficie liée à l’information. Pas de visuel et pas de mécanisme de salivation activé, donc, que l’on soit fait de chair ou d’entité virtuelle nettement moins charnelle. Compte égal ici, soit 0 à 0.

Ça se corse (ou ça se simplifie) déjà un peu plus sur le plan olfactif. Dans son dernier ouvrage, Mille vignes (Hachette Vins), Pascaline Lepeltier avance que « nous disposons de 400 récepteurs olfactifs différents, très sensibles, qui seraient capables de distinguer les contours de plusieurs milliards d’odeurs ». Soit. Elle poursuit — et je la résume pour abréger — en expliquant que les effluves convergent vers l’épithélium olfactif, qu’ils sont encodés au niveau du bulbe olfactif, puis transmis au cortex piriforme (responsable des perception et mémoire olfactives), où ils sont reconnus.

Un nouveau décompte s’impose : 1 à 1. À ce stade, humain et robot assurent. La suite précipite cependant les choses. En effet, du cortex piriforme déjà mentionné, cette reconnaissance des odeurs transite par le cortex orbitofrontal — notre centre d’intégration multimodal —, qui l’intègre à d’autres dimensions sensorielles pour lui attribuer une valeur HÉDONIQUE (les majuscules sont de moi). Enfin, toujours pour citer Lepeltier, l’information est aussi transmise en parallèle au centre des ÉMOTIONS, soit l’amygdale, qui génère une réponse émotionnelle. Pour paraphraser cette fois Dany Baillargeon sur ChatGPT, nous opposons ici l’IA vue comme « l’efficacité et la performance d’une routine méthodique » au « jaillissement spontané, imprévisible, qui s’éprouve sans mesure » de l’homme fait de chair, d’os et de… passion. Et pour faire les comptes : IA 1, humain 2.

Sur le plan gustatif, il va de soi que l’IA et l’humain sauront reconnaître les cinq saveurs élémentaires que sont (pour le moment) le sucré, le salé, l’acide, l’amer et l’umami. Une opération qui nécessite tout de même plus de 3000 protéines générées par les glandes salivaires pour visualiser à la fois la configuration des tanins et de leur impact sur ce fameux « toucher de bouche » qui en trace le profil. L’IA serait-elle toutefois capable d’évaluer ces fameux seuils de perception — éminemment variables chez l’homme, qu’ils soient olfactifs ou gustatifs —, tout en s’entichant de ces précieux équilibres qui génèrent et font jaillir chez les humains ni plus ni moins qu’un véritable feu d’artifice émotionnel ?

Ce que révélait mon verre noir à la dégustation de ce Vouvray sec 2020 de Philippe Foreau au Clos Naudin (57,75 $ – 15095356 – (5+) © ★★★★) avait tout pour confondre, même un robot. Ce dernier tombera pile poil sur des thiols (goûts fermentaires) de type méthionol ou furfurylthiol, des esters (goûts miellés) de type acétate de phénétyle ou de vanillate d’éthyle ou encore des composés terpéniques (goûts d’agrume) où voisinent le linalol et le géraniol. Un champion de précision, que ce robot ! Quant à l’hédoniste impénitent que je suis, à l’image de notre grand barde Daniel Bélanger, j’éprouvais simplement la possibilité de… Rêver mieux. L’IA est-elle disposée à le faire ? Si c’était le cas — je dis bien si c’était le cas —, le décompte final serait de 2 à 2.

À suivre, car le match ne fait que commencer !

À grappiller pendant qu’il en reste !

Monólogo P24 Arinto 2022, Vinho Verde, Portugal (18,45 $ – 14296666). Le ton est donné, mais c’est surtout à coups de trompette que cette cuvée à base du cépage arinto vous interpelle par l’intensité de son fruité. Une petite merveille à servir avec vos ceviches, palourdes ou crevettes sautées un rien épicées, en raison de sa vivacité et de sa pointe de sucrosité qui harmonise habilement le tout. Original, mais surtout fort convaincant. (5) ★★1/2

Château Lamartine « Cuvée particulière » 2019, Cahors, Sud-Ouest, France (22,60 $ – 862904). Entre tradition et modernité, comme le veut la formule éculée, ce beau malbec semble briller depuis l’éternité sur les tablettes. L’assurance d’un fruité net, bien frais et de belle maturité complétée par des tanins denses mais arrondis, qui retiennent tout de même cette mâche typique de l’appellation. Le cliché, maintenant, serait de l’accompagner d’un cassoulet fumant. Au diable les clichés ! (5) ★★★

Morgon V.V. 2021, Stéphane Aviron, Beaujolais, France (20,45 $ – 12898516). Voilà un cru fort accessible issu de sélections parcellaires, le tout vinifié sur le fruit, avec une fraîcheur et une souplesse exemplaires. Certes pas la profondeur des meilleurs, mais se tire fort bien d’affaire à ce prix. (5) ★★1/2

Château Falfas 2017, Côtes de Bourg, Bordeaux, France (26 $ – 13105346). J’ai une petite pensée pour ce Château le Puy de la famille Amoreau, du côté de Saint-Cibard, en dégustant ce vin où sont appliqués les principes de la biodynamie. Même intensité aromatique où les merlots font la fête avec un sens du rythme, d’une dynamique et d’une sapidité qui en rehaussent l’expression. Une signature où la femme et le terroir ne font qu’un, mais surtout cette impression que le vin touche au coeur, dégageant un fruité de cerise noire, de cassis et de prune, mais aussi ce caractère animal typique des rouges de cette appellation. Des cabernets bien mûrs complètent le tableau. C’est vivant, bien net, étoffé, déjà prêt à boire. 24 succursales en détenaient au moment où ces lignes étaient écrites. À découvrir ! (5) © ★★★1/2

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