Mario Brossoit à L’Express, un amphitryon hors pair!

Mario Brossoit, ici au pied de la lettre « L », au cœur de son équipe en 2016
Photo: Jean Aubry Mario Brossoit, ici au pied de la lettre « L », au cœur de son équipe en 2016

« Ma petite entreprise, connaît pas la crise,

épanouie, elle exhibe des trésors satinés,

 

dorés à souhait… »

Cette mélopée du grand Alain Bashung tourne en boucle depuis près de trois décennies. Difficile de s’en débarrasser. Le « vers pour l’oreille » — nettement plus poétique qu’un lombric pour pavillon — remettait ça cette semaine pour une entreprise qui, sur plus de quatre décennies cette fois, remet le couvert et exhibe dans les verres (pour la bouche en l’occurrence) des « trésors satinés, dorés à souhait… »

Oui, on y retourne en boucle, au chic bistrot L’Express, rue Saint-Denis à Montréal, et ce, depuis le 19 décembre 1980. Pourquoi ? Pour l’ambiance où se nourrissent les esprits libres et festifs, le service courtois et précis, la table bistronomique intemporelle et, et… pour vivre, par complicité interposée, la passion de son amphitryon. Ses pépites en cave suscitent autant les convoitises de vignerons de passage que d’amateurs finis de vin qui préfèrent boire à moindre coût sur place les meilleurs flacons de leur propre cave. Sans compter les autres clients, néophytes mais curieux, qui font confiance à Mario Brossoit pour leur ouvrir les portes intimes de leur imaginaire. Je le rencontrais récemment devant un verre de bourgogne pour causer de la crise, de la vie, mais surtout de la vie sans la crise.

Je ne suis pas à l’aise avec l’idée d’un sommelier intimidant ;  j’ai toujours voulu casser le moule en cernant au plus près les goûts du client pour lui faire une proposition honnête

La crise ? Connaît pas.

Soyons clairs, je ne suis pas impartial, bien qu’éthiquement réaliste. Je dépensais déjà sur place le fruit de mes pourboires lorsque j’étais sommelier sans tablier à quelques encablures du chic bistrot, en 1980. Toujours j’y venais, piqué, comme plusieurs d’ailleurs, par la découverte d’une perle à ajouter au collier d’une longue série de dégustations, alors que Mario officiait déjà à la boutique Les Millésimes attenante à L’Express, où il s’approvisionnait en importations privées. Une époque d’ailleurs où ces dernières n’existaient pratiquement pas au Québec alors qu’elles foisonnent aujourd’hui sur toute carte qui se respecte.

« C’est ma sœur qui m’invite à me joindre à l’aventure au tout début, alors que je me destinais au monde de la communication », relate Mario qui, aujourd’hui, s’affaire aux destinées du célèbre établissement. Cave à vins comprise. « J’ai démarré en salle comme commis avant de recevoir la clientèle à titre de maître d’hôtel pendant une vingtaine d’années. Je suivais parallèlement une formation sur le vin avec Jules Roiseux, car il n’y avait pas de sommelier dans la restauration comme il y en a aujourd’hui. »

De grosses pointures comme Patrick Bardoul (pour les vins) et, bien évidemment, le légendaire monsieur Masson (le plus exquis baratineur de comptoir en exercice de ce côté-ci de l’Atlantique !) se joignent à lui à une période où L’Express, victime de son succès, doit composer avec une longue file d’attente (90 minutes top chrono) de clients massés à la réception. Ce ne sont pas moins de 5 caisses de champagne Laurent-Perrier par semaine qui moussent alors les esprits attablés aux 60 places (plus 15 au comptoir) de l’établissement. La crise ? Connaît pas !

Une rencontre honnête

1980-2023. Bientôt 45 ans d’activité. Une boucle se boucle, avec le départ des anciens, mais aussi en raison d’une pandémie qui a, comme ailleurs, disséminé les troupes sur le plan du personnel. Avec son corollaire voulant que de nouvelles formations soient requises pour autant de nouveaux candidats. Car L’Express, c’est aussi et avant tout une carte des vins, une carte modèle, encore et toujours parmi les plus dynamiques, éclectiques et humbles côté prix de l’industrie de la restauration actuelle. « J’essaie de poursuivre dans cette voie, mais les coûts explosent, que ce soit côté salaires ou marchandises, déplore Mario. Je reste sage, mais je ne peux pas tout absorber. »

Si notre amphitryon se fait un devoir d’être pertinent et innovant, il ne peut suffire seul à la tâche. « Je souhaiterais être un jour épaulé par une sommelière ou un sommelier pour m’assister dans la gestion de cave », dira-t-il.

« Je ne suis pas à l’aise avec l’idée d’un sommelier intimidant ; j’ai toujours voulu casser le moule en cernant au plus près les goûts du client pour lui faire une proposition honnête. Il faut à mon sens établir une rencontre entre le personnel et la clientèle en instillant une confiance mutuelle. J’irais même plus loin en disant qu’à choisir entre deux vins, j’aime à proposer le vin le moins cher au client qui vous demande votre avis. Les restaurants qui durent ont d’autres valeurs que d’imprimer des billets de banque, à ce qu’il me semble. » Voilà qui est dit. Et bien dit.

« Et puis, il y a des familles dont on sert la deuxième, voire la troisième génération. Ce serait indélicat de briser ce lien de confiance… » Je parie que Mario leur proposera alors ce bon bourgogne servi lors de notre entrevue et dont il a raflé la totalité des stocks pour en faire son rouge de la semaine. C’est qu’il a rudement du flair, notre amphitryon !

À grappiller pendant qu’il en reste !

Sauvignon blanc 2022, Los Vascos, Chili (18,25 $ – 14727770). La baronnie des Rothschild de la branche Lafite s’y connaît tout de même en matière de sauvignon blanc. Le voici révélé avec ses notes fraîches de poivre blanc, de groseille et de citron sur un ensemble savoureux, tonique, de belle longueur. Le ceviche demeure un accord de premier choix. (5) ★★1/2

Muni Bianco 2021, Daniele Piccinin, Vénétie, Italie (24,35 $ – 14491091). Ce blanc sec nature atteint ici un sommet d’intégrité, voire de cohésion parfaite entre cépages. Chardonnay, pinot gris et durella s’amplifient l’un l’autre derrière une robe plein or. Des arômes irrésistibles de nougat, de pralines et de citron confit et d’une bouche presque « grasse » de textures, dotée d’un perlant quasi invisible qui lui confère fraîcheur, expression et personnalité. Bref, une cuvée à découvrir, sur une salade de légumes grillés ou de poulet à peine épicé aux agrumes. (5) ★★★

Chardonnay 2021, Loubejac, Vallée de la Willamette, Oregon, États-Unis (25,65 $ – 13003201). À bon prix, un blanc sec à cheval entre les vins canadiens de la Colombie-Britannique et ceux de la Napa Valley aux États-Unis en raison de son tonus naturel et de l’expression de son fruité évoquant le gâteau aux pêches sur fond de boisé tendrement vanillé. Un chardonnay de charme, expressif, harmonieux, lumineux, simple et digeste. (5) ★★★

Ribolla Brda Classic 2020, Marjan Simčič, Slovénie (27,60 $ – 14214561). Je crois avoir dégusté de la ribolla gialla pour la première fois au restaurant Le Latini au tout début des années 1980. Une révélation. Elle était du Nord-Est italien et non de Slovénie, mais elle avait tout de même cette robe gialla soutenue et pourvue de parfums amples et exotiques, tout ce qu’il y a de singulier. Un blanc sec de texture avec une acidité en retrait, mais pourvu d’extraits secs qui ajoutent au relief. C’est palpable, pas très puissant, légèrement amer, de belle longueur. À découvrir ! (5) © ★★★

Tatú 2020, Mendoza, Argentine (27,65 $ – 14969971). Attention, la barre est haute ici avec ce cabernet sauvignon nature dont l’expression fraîche, poivrée, herbacée et animale culmine sur un fruité de petites baies noires qui ne donnent pas leur place côté sapidité. Beaucoup de vigueur, d’intensité ici, le tout demeurant de grande buvabilité malgré la puissance sous-jacente. Oui, il y a un pet de volatile et de brettanomyces ici, mais l’équilibre d’ensemble n’est pas rompu pour autant. Fréquentable, surtout sur les protéines d’une viande grillée. (5) © ★★★

Le Coccinelle 2020, Agricola Brandini, Langhe, Piémont, Italie (29,35 $ – 15077457). Cette maison, qui nous offre un Barolo 2017 des plus fins (62,75 $ – 14505843 – (5+) êêê1/2) et dont nous avions fait mention ici même, propose aussi un rare blanc piémontais où le viognier domine en complément de sauvignon blanc et d’arneis. Un blanc sec original à la robe soutenue, opulent et riche sur le plan de la texture, au goût de melon et d’agrumes confits, doté d’une amertume qui le tonifie sur la finale. Un régal accompagné d’une salade d’endives, d’agrumes et de mangue. (5) ★★★ 1/2

Crognolo 2020, Tenuta Sette Ponti, Toscane, Italie (29,50 $ – 11915038). Le sangiovese s’offre tout de même de nombreux visages en Toscane. Le voici interprété dans son costard de velours, à la fois souple et fougueux, serré à la taille sous d’abondants tanins fruités, d’une fraîcheur de coupe que vient rehausser un élevage barrique fort sophistiqué. Bref, passera à table sur une belle escalope de veau aux dés de tomate. À bon prix et en format magnum s’il vous plaît, ce Crognolo 2016 (63,75 $ – 11635757 – (5) ★★★ 1/2) demeure non seulement une affaire, mais permettra à une tablée entière d’apprécier ces mêmes tanins de velours et cette palette détaillée de flaveurs qui prolongent longuement la finale. Une maison qui a et met les moyens pour styliser des rouges toscans modernes, à peine racoleurs, tous tirés à quatre épingles. (5) ★★★ 1/2

Mediterra 2021, Poggio al Tesoro, Toscane, Italie (30,25 $ – 14041321). Ces toscans que l’on dit «supers» parce qu’ils assemblent merlot, syrah et cabernet sauvignon rendent ici fort palpables les terroirs frais du côté de Bolgheri. Celui-ci offre de la puissance derrière une formidable tension de sève, se partageant un fruité de prune, de cacao, de figue et de café à peine torréfié. L’ensemble structure le palais, l’accompagnant longuement, sur des notes fumées/boisées persistantes. (5+) © ★★★1/2

Chardonnay 2019, Hartford Court, Russian River Valley, Californie, États-Unis (40 $ – 14731736). Il arrive tout de même qu’un bon verre de chardonnay s’impose, tels une récompense, un moment d’abandon, un plaisir coupable capable de combler sans avoir à tout intellectualiser. Surtout sur une cuisine riche et exotique où les agrumes mûrs et les mangues dominent. Cette maison familiale vous en propose une telle version, avec son fruité riche et onctueux où poire, pêche, vanille et caramel au beurre s’affichent avec fraîcheur et longueur. Une sélection de vignobles maison dont on a greffé ici quelques parcelles du voisinage pour illustrer ce dont la Russian Valley est capable de livrer. (5) ★★★1/2

Barolo 2018, Giacomo Fenocchio, Piémont, Italie (57,75 $ – 15101306). Ce barolo se glisse en vous comme un chat patient devant une proie qui ne se doute pas encore de son futur immédiat. Moment de tension fine, de sens en attente de ce moment floral où rose et lavande (eh oui !) tracent déjà la voie à des tanins finement brodés, au goût de prune et de sous-bois. Un nebbiolo introverti qui se laisse approcher, toutes griffes rentrées. Se déguste merveilleusement bien maintenant. (5) © ★★★1/2



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