Les merlots sont rois !

Bélair-Monange 2010. La toute dernière bouteille de ma cave. Je pleure ou je la bois ?
Photo: Jean Aubry Bélair-Monange 2010. La toute dernière bouteille de ma cave. Je pleure ou je la bois ?

Bordeaux, Saint-Émilion et, pour ajouter à la beauté, pour ne pas dire à la débauche sophistiquée des sens… Pomerol. Certaines maisons brillent et se distinguent dans ces appellations depuis 1937, à titre de négociant d’abord puis de métayer et de propriétaire récoltant. Ajoutez le titre de commis voyageur, et vous avez là la carte de visite complète des Établissements Jean-Pierre Moueix, basés à Libourne.

Depuis 20 ans maintenant, appliqués à l’exercice d’une indéfectible relation humaine (et non « publique »), les Moueix viennent présenter chez nous les derniers-nés d’une batterie de propriétés à faire baver un phoque devant un banc de morues. C’est Jean, fiston de Laurent Navarre (désormais consacré à la retraite pour jouir de vieux flacons de La Fleur-Pétrus, de Trotanoy, d’Hosanna et d’autres trucs tous aussi moches), qui rencontrait récemment la presse, afin de partager quelques belles pépites prochainement sur les tablettes. Exercice fastidieux je sais, de les déguster tous, mais quelqu’un quelque part doit faire le boulot. Fais ce que bois ! dit le dicton.

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C’est le nombre d’années depuis lesquelles les Moueix viennent présenter chez nous les derniers-nés délectables de leurs propriétés.

Des vins fiables, que l’on peut acheter les yeux fermés, à l’image de ces bourgognes où la source, le nom du vigneron priment avant tout. Parmi les 17 vins proposés, 7 sont actuellement disponibles, dans d’excellents millésimes. Sur ce point, le Bordelais semble bénéficier, à l’image de la trilogie 2008, 2009 et 2010, d’une même concordance qualitative avec les 2018, 2019 et 2020, ce dernier se situant dans ce profil « chaud », qui semble avoir bénéficié aux merlots la Rive Droite. Pour éviter la redondance, je vous épargne les termes de « châteaux ». Les vins, non dégustés à l’aveugle, sont ici commentés dans l’ordre de dégustation.

Christian Moueix 2019, Bordeaux (17,15 $ – 13734337). Je ne me lasse pas de cet assemblage toujours d’une étonnante constante qualitative. Le profil type du beau bordeaux, simple, sapide, équilibré. (5) ★★1/2

Jean-Pierre Moueix 2019, Saint-Émilion (24 $ – 14204565). Merlots bien mûrs, fournis, framboisés. (5) ★★★

Jean-Pierre Moueix 2020, Pomerol (34,75 $ – 739623). La griffe chaude et lascive du millésime se fait sentir ici. Volume riche et expansif sans sacrifier à la fraîcheur. Belle affaire à ce prix. (5+) © ★★★1/2

De Bel-Air, Lalande de Pomerol 2015 (40 $ – 12963226 – à venir en octobre). Ce terroir de graves jouxte Pomerol et livre un rouge svelte et expressif malgré la saison chaude et sèche. Vigueur et précision. (5) ★★★1/2

Morillon, Saint-Émilion Grand Cru 2016 (34,50 $ – 14228874). Les argiles étaient utiles en 2016 pour prévenir le stress hydrique. Ce Morillon s’en sort de justesse, déjà ouvert et prêt à boire. (5) ★★★

Haut Roc Blanquant Saint-Émilion Grand Cru 2016 (59,25 $ – 14205921). Ce 3e vin de Bélair-Monange à 100 % merlot issu d’une parcelle historique témoigne de la race innée du terroir. Du cousu main. (5) © ★★★1/2

Chantalouette, Pomerol 2016 (60,25 $ – 12127279). Le second du vaste Château de Sales (en superficie) offre ce petit côté vieux jeu, un brin nostalgique, où les notes de moka, d’encens et de cuir flirtent avec des tanins fins et dodus. Plaisir… (5) ★★★1/2

Primeurs 2020 achetés par la SAQ à venir en mai

La Serre, Saint-Émilion Grand Cru Classé (88 $ – 14800113). Les D’Arfeuille travaillent bien ce vignoble de 7 hectares « enserré » plein sud avec des cabernets francs (15 %) qui redressent des merlots abondants de fruit, éloquents de sève. (10+) © ★★★★

Lagrange, Pomerol (52 $). Une valeur sûre de l’écurie Moueix en raison d’un fruité dense et juteux, enhardi par le grillé, l’épicé et de notes délicates de noix de coco. On se régale. (5+) ★★★1/2

Lafleur-Gazin, Pomerol (59 $). En métayage depuis 1976, ce pur merlot aux flaveurs de mûre, d’encre et de réglisse offre amplitude et longueur. Bien élevé avec ça. (5+) ★★★1/2

Bourgneuf, Pomerol (88 $). Situation exceptionnelle en pied de côte, sous Trotanoy, ce cru a de la gueule avec ses tanins, serrés, ronds et enrobés et ses notes de menthe qui ajoutent à la fraîcheur. Valeur sûre. (10+) © ★★★★

Latour à Pomerol (127 $). En fermage depuis 1962, ce cru qui jouxte l’église de Pomerol multiplie les textures avec un grain très fin, évocateur, hautement séducteur. Une bénédiction. (10+) © ★★★★ 

Certan de May, Pomerol (210 $). Les cabernets (35 %) raffolent ici des graves qui « illuminent » la forme, comme le fond de ce cru aux tanins de soie. Mystère et sensualité combinés. (10+) © ★★★★1/2 

Hosanna, Pomerol (195 $). Le Pétrus du pauvre ? Certains le pensent. Hélas, moins de 5 hectares pour nourrir la planète entière ! Grande sève, riche, profonde et détaillée avec expression sublime des cabernets francs. Dense sans être lourd. (10+) ★★★★1/2 ©

La Fleur-Pétrus, Pomerol (365 $).Rencontre au sommet des merlots (ici à 93 %) et d’un sous-sol de graves et d’argile du plateau de Pomerol. C’est ici multipiste sur le plan exploration, jubilatoire sur celui de la catharsis provoquée. Vous suffoquerez de bonheur dans 20 ans ! (10+) © ★★★★1/2

Trotanoy, Pomerol (395 $). Est-il besoin de le dire ? Complet, en tous points, mais surtout exemplaire en raison de la fusion parfaite entre puissance et volupté, rigueur et sensualité, race et, oui, masculinité assumée… même si le mot peut dorénavant choquer. Le plus grand de la planète merlot ? LE vin. (10+) ★★★★★

Bélair-Monange Saint-Émilion Premier Grand Cru Classé (270 $). Depuis 2008, les Moueix bichonnent sans ménagement ce cru de 23,5 hectares qui a avalé à la fois Bélair et Magdelaine. L’éclat, l’élégance, la droiture de sève priment ici un ensemble certes discret, mais défiant les décennies à venir. (10+) © ★★★★1/2 

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