Encore et toujours Alain Brumont (eh oui!)

Le coach Brumont et le receveur Veiry aux Domaines Brumont. Un savoir de passeur ne peut être sciemment passer sous silence.
Photo: Mathieu Garcon Le coach Brumont et le receveur Veiry aux Domaines Brumont. Un savoir de passeur ne peut être sciemment passer sous silence.

De bâtisseur, le voilà devenu passeur. Plus de 45 ans après l’acquisition des châteaux Bouscassé et Montus dans ce Grand Sud-Ouest gourmand où l’on fait bombance, Alain Brumont transmet les clés du savoir à son beau-fils Antoine Veiry, un jeune homme qui, du haut de ses 30 ans, est déjà parfaitement intégré à la dynamique, mais surtout aux aspirations particulièrement élevées que s’imposait déjà son beau-père lorsqu’il avait son âge.

Une transmission générationnelle à partir de laquelle le coach Brumont invite les membres d’une petite équipe à trouver leurs marques au domaine, cernant au plus près le potentiel de chacun. Il en résulte une cohésion forte, familiale et humaine, mais aussi une solution pertinente aux problèmes de succession (le taux de 80 % est avancé) qui affectent aujourd’hui tant de vignerons artisans. Un savoir de passeur ne peut être sciemment passé sous silence.

Brumont est de toute évidence en pleine forme ;  ses vins sont à mon avis bien supérieurs à ce qu’ils étaient avant

 

La passation se fait ici avec d’autant plus de succès que non seulement le fils de Laurence Brumont est un dégustateur hors pair, mais il possède déjà une solide expérience sur le terrain. Que ce soit dans l’Oregon, dans la Barossa Valley, dans le Languedoc (avec Hervé Bizeul au Clos des Fées), dans la maison Drouhin, en Bourgogne, ou dans celle des Carmes Haut-Brion, du côté de Bordeaux. Bref, il s’agit d’une relève fort outillée, nourrie à même l’instinct et la logique paysanne d’un ancien que le dur labeur n’a jamais effrayé, mais aussi d’une relève salutaire dotée d’une vision claire des enjeux à venir, ne serait-ce que sur les aléas d’une « cata » climatique déjà perceptible.

Nous avons amplement tracé en ces pages, au fil des années, le portrait de ce grand bâtisseur. Alain Brumont est tout simplement de l’ordre des géants, comme il y en a peu sur la planète vin. De la trempe, par exemple, des Marcel Guigal en Côte Rôtie, des Robert Mondavi en Californie ou des Jean-Pierre Amoreau au Château Le Puy. Le bon sens y brille sans le moindre compromis sur le plan de la qualité des vins comme sur celui des écosystèmes.

Les 120 hectares actuellement en production (sur un potentiel total de 200 ha entre Montus et Bouscassé), où règne le roi tannat — complété par les cabernets francs et sauvignons, pinot noir, petit courbu et autres gros mansengs —, forment un patchwork où s’insèrent l’agroforesterie, l’agriculture, l’élevage et autres surfaces en jachère participant à un environnement où « la flore auxiliaire, la mycorhization naturelle et la vie microbienne » sont autant de facteurs nourrissant une saine biodiversité.

Mon ex-collègue Jacques Benoit, à qui je faisais déguster cette semaine la gamme, a souligné très justement ceci : « Brumont est de toute évidence en pleine forme ; ses vins sont à mon avis bien supérieurs à ce qu’ils étaient avant. De costauds et plutôt unidimensionnels autrefois à concentrés et serrés en finesse aujourd’hui, sans compter qu’ils sont aussi fort élégants. » J’ajouterais que, bien qu’ils soient noirs comme une soutane de curé et d’une subtilité digne, dans l’épaisseur de leur texture, d’une page de l’édition de la Pléiade, leurs rouges sont naturellement pourvus d’une acidité admirablement intégrée, garante de la longévité des crus. Et quelle longévité !

Car l’irréductible tannat, désormais ennobli par Brumont, ne manque ni d’acidité ni d’anthocyanes. Il trouve aussi à se nuancer finement, selon qu’il est planté sur les terroirs de Montus (galets roulés abondants évoquant ceux de châteauneuf, mais en terrasses ici) ou sur le fameux lieu-dit La Tyre, parcelle pentue défrichée de 10 hectares et point culminant de l’appellation. C’est à se demander, tant l’illusion est confondante, comment des rouges aussi riches, denses et visiblement opaques à l’oeil nu peuvent offrir une lisibilité, voire un « toucher de bouche », aussi digne d’une Romanée-Conti… Rien de moins !

Nous sommes aussi ici au niveau de « vins matures », en ce sens que la maison tient absolument à mettre à la vente des flacons qui sont éduqués par un minimum de trois ans de barrique et de foudre. Une opération louable qui ajoute à la patine et à la nuance des vins. À noter que les vins ne sont ni chaptalisés, ni acidifiés, ni tanisés, ni collés. Quelques mots sur trois vins disponibles parmi la large gamme offerte. Les cuvées Prestige 2018, XL 2015 et La Tyre 2008 disponibles en importation privée sont référencées sur le site Web du Devoir.

Château Montus 2014, Pacherenc du Vic Bilh Sec (47 $ – 11017625). La quintessence du petit courbu ! L’amplitude d’un meursault, la finesse d’un puligny, la vitalité d’un chablis, avec ce petit quelque chose qui évoque le Doisy-Daëne sec du grand Denis Dubourdieu. Par sa sève brillante, ses flaveurs de cire, de citron confit et sa touche finement grillée. Le 2015 ((5) ★★★★) à venir est top ! (5) © ★★★1/2

Château Bouscassé 2017, Madiran (21,55 $ – 856575). Les cabernets complètent à merveille le tannat (60 %) dans ce millésime solaire, déclinant un rouge fondu, aux notes de prune, de sous-bois et de boisé léger (20 % neuf ici). À ce prix, tout bon restaurateur devrait le servir comme vin maison, à bon prix. (5) ★★★1/2

Château Montus 2017, Madiran (32 $ – 705483). À la hauteur d’un 21e ou d’un 3e grand cru de Bordeaux ? À vous de juger à la fois de la richesse, de la subtilité et de la fraîcheur des tanins mûrs abondants et très civilisés de ce magnifique tannat (80 %). Concentré tout en demeurant fort élégant. Belle affaire à ce prix. (5+) ©★★★★

Les cuvées mythiques d’Alain Brumont au château Montus

Ces trois cuvées fort recherchées seront disponibles sous peu en importation privée (Geneviève Roger, groger@markanthony.com). Nous sommes ici dans la haute couture. Avec les prix en conséquence. De grands crus tirés à quatre épingles, découpés dans des patrons précis et drapés à même un sergé de coton-soie-velours aussi souple que résistant. Quelques mots sur chacune de ces cuvées…

Château Montus Cuvée Prestige 2018 (167,75 $). Sur quatre hectares de pente orientés plein sud, ce pur tannat vieilles vignes élevé 24 mois en fût neuf commence à peine à suggérer l’immense potentiel organoleptique livré par la corrélation parfaite cépage/terroir. Tout est envoûtant derrière la robe encore jeune et soutenue, avec ses nuances florales de pivoine et de lavande. Puis, il y a cette bouche mûre, bien fraîche, pourvue de tanins fins, au moelleux tout simplement confondant. Longue finale minérale évoquant à la fois l’encre de Chine et le graphite. Et digeste avec ça. (5+) © ★★★★1/2

Château Montus XL 2015 (226,25 $). Les 40 mois d’élevage dont bénéficient les tannats logés dans ces fameux tonneaux Stockinger des Alpes autrichiennes — la Rolls Royce des foudres actuellement sur le marché — soutiennent ici un discours pas nécessairement tapageur, mais doté d’épaisseurs fruitées multiples, tel un millefeuille fondant riche en nuances. La patine est superbe, soutenue par des tanins gras, fins, mais aussi très frais. Le pari de l’élégance sans plomber le palais. (5+) © ★★★★

Château Montus La Tyre 2008 (374,75 $). On est ici rapidement transporté par l’expression aromatique qui élève déjà le débat au niveau d’un grand cru, qu’il soit de Bordeaux, de Bourgogne ou du Rhône septentrional. L’impact est fulgurant. Un rouge racé, ample et profond qui ne cesse de vous surprendre au détour ; un vin harmonieux, abouti, enrichi par la somme de tous ces petits éléments qui, mis bout à bout, consacre le grand vin. Le prix apparaîtra salé pour certains, mais si l’on considère qu’il se vend 28 119,25 $ moins cher — oui, 28 119,25 $, vous avez bien lu — que le millésime 2008, prix exigé actuellement pour le pinot noir de la Romanée-Conti, je serais bien humblement tenté de penser que l’affaire n’est pas si mal. (5+) © ★★★★★

À grappiller pendant qu’il en reste !

Chardonnay 2021, Union Libre, Québec (24,90 $ – 14641407). Ce domaine de 30 hectares du côté de Dunham tombait dans l’escarcelle du vignoble de l’Orpailleur en 2021. L’accent y est mis sur un fruité de pêche et de pomme Golden, le tout doté d’une vivacité et d’un souvenir boisé quasi imperceptible. Bien sec, net, simple et léger, ce blanc régale avec une bonne dose de conviction, surtout sur une salade à base de guacamole ou sur un bon club-sandwich. (5) ★★

Trebbiano d’Abruzzo 2020, Cerelli La Collina Biologica, Abbruzes, Italie (à venir, mais surtout à surveiller). Je vous vantais le talent inspirant de Francesco Cirelli dans cette page le 16 décembre dernier. Une maison familiale qui est à la fois l’avenir de l’homme et de la planète dont il se nourrit. Ce simple trebbiano en est la saine illustration, par la texture fine de son volume, son goût de poire mûre et de foin coupé. Un petit bijou pour l’âme. (5) ★★★

++— 2021, Côtes du Rhône, Rhône, France (21,65 $ – 14056988). Je ne m’habituerai décidément jamais à l’étiquette de cet assemblage bio syrah/grenache. J’ai beau creuser, c’est trop sibyllin pour moi ! C’est autre chose dans la bouteille, cependant. Le message est clair et net. Le fruité est mis à nu, sans le moindre apparat, avec une pointe résiduelle de gaz qui en démultiplie la vigueur avec une insistance particulière sur la croquabilité d’ensemble. Vigoureux, oui, pourvu de tanins mûrs que la vivacité n’effraie pas, plutôt léger de corps et simple d’expression. Bref, un rouge bio qui va droit au but, sans le moindre mystère à la clé. Le passer en carafe 60 minutes et le servir à peine rafraîchi sur un sandwich de porc fumé effiloché. (5) © ★★★

Morgon « Côte du Py » 2019, Laurent Guillet, Beaujolais, France (22,30 $ – 13841571). Un gamay qui file dans le sens de la souplesse avec un milieu de bouche accrocheur en raison de l’éclat de son fruité et de la sapidité quasi jubilatoire qu’il entretient sans fléchir. Une gourmandise qui, sans être ni nuancée ni très profonde, confère un peu de bonheur aux journées moroses. (5) © ★★1/2

Bourgueil « Cote 50 » 2021, Y. Amirault, Loire, France (25,20 $ – 10522401). Célébrer un bon cabernet franc nature, c’est convenir que la marge d’erreur pour l’accoucher doit être très ténue. Chez les Amirault, vous n’aurez pas ce souci d’un « cab » vert et pas mûr. On le « gosse » ici à maturité, dans ses vêtements de velours cramoisi, avec sa mâche qui accroche bien haut ses tanins frais et régalants. Une mise en bouche pour les saucisses ou les côtes d’agneau grillées à venir. Servir à peine rafraîchi. (5) © ★★★

Cabernet Merlot « Vigna Lenuzza » 2020, Friuli Colli Orientali, Italie (28,50 $ – 15108065). Le nord de l’Italie ouvre la voie à des cabernets et merlots toujours élégants, de première fraîcheur. Des vins de haute tenue, élégants, frais et expressifs. Cette cuvée ne fait nullement exception. Un cru qui affiche à ce prix une race, une harmonie, une élégance qui convainc illico. Le servir un rien rafraîchi après un court passage en carafe sur une paupiette de veau, par exemple. (5) © ★★★1/2

Château Viramière 2019, Saint-Émilion Grand Cru, Bordeaux, France (28,90 $ – 972422). À ce prix, l’affaire est incontestable, bien que ce cru à dominante merlot sera à son meilleur dans deux ou trois ans. Le rosbif du dimanche aura toutefois raison de sa peau si vous êtes pressés. Voilà une cuvée fort colorée, pourvue d’un fruité large et bien mûr, échafaudée de tanins frais et structurants. On sent déjà une intrigante nuance minérale de graphite se partager la note poivrée du cabernet franc sur la finale. Le millésime 2019 nous réserve encore des surprises. (5+) © ★★★1/2

Château de Melin 2020, Bourgogne Hautes Côtes de Beaune, France (29,90 $ – 15117041). Une fraîcheur manifeste s’empare rapidement ici des pinots noirs issus de l’agriculture biologique en leur infusant beaucoup d’éclat et de tonus sur un ensemble de constitution moyenne. C’est bien sec, souple et croquant, sans être toutefois trop nuancé. Dans sa ligne de mire ? Bien sûr, un poulet tout bêtement rôti. (5) ★★1/2

Reine de Nuit 2020, Domaine Anita, Moulin-à-Vent, Beaujolais, France (34 $ – 13212563). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Anita Kuhnel est aussi laborieuse, on le voit avec la multiplication de ses cuvées, qu’exigeante, mais qu’elle est surtout, surtout, une vinificatrice hors pair. Ce cru est tout simplement bouleversant, et ce qui s’en dégage est une belle leçon de vin, dans son terroir. Le fruité y est immense tout en demeurant précis et élégant, mais c’est la texture en bouche qui saisit par l’extrême finesse de son grain. Je ne connaissais pas cette dame, mais elle fait désormais partie de celles que je ne suis pas près d’oublier ! (5+) © ★★★★

Syrah « No 41 » 2019, L’Ecole, Vallée de la Columbia, États-Unis (42,75 $ – 15100451). C’est tout doucement, telle une féline (ou un félin ?), que cette syrah rentre ses griffes tout en amplifiant en catimini ses notes de fumée, de créosote et de goudron végétal lié à la chauffe de la barrique. Un rouge puissant, parfumé, doté d’une texture riche, ronde et bien mûre, aux nuances chocolatées sur la finale. Idéal sur viandes fumées ou, pourquoi pas, sur un couscous à l’agneau. (5+) © ★★★

Château Moulin Riche 2018, Saint-Julien, Bordeaux, France (81 $ – 13348647). Ce vignoble de 20 hectares situé à l’intérieur des terres en bordure de l’appellation Pauillac et du château Haut-Batailley s’affranchissait en 2009 de Léoville Poyferré à titre de second vin. Un cru à part entière, donc, où le cabernet sauvignon (ici pour 57 % de l’assemblage) complété de merlot et de petit verdot affiche une robe dense et violacée, des arômes nets de cassis, de mûres et de poivre noir sur une trame tanique vivante, encore contractée sur le boisé. Quelques années de garde affineront encore plus l’ensemble. À défaut d’un pigeon rôti, optez pour une entrecôte grillée. (5 +) © ★★★1/2

Explication des cotes


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