L’Azerbaïdjan lance l’assaut au Haut-Karabakh

Des manifestants arméniens affrontaient la police alors qu’ils appelaient leur premier ministre, Nikol Pashinyan, à démissionner, dans le centre d’Erevan, mardi.
KAren Minasyan Agence France-Presse Des manifestants arméniens affrontaient la police alors qu’ils appelaient leur premier ministre, Nikol Pashinyan, à démissionner, dans le centre d’Erevan, mardi.

L’Azerbaïdjan a lancé mardi une opération militaire au Haut-Karabakh, trois ans après la précédente guerre, demandant la reddition de son adversaire arménien dans cette région disputée depuis des décennies à l’Arménie.

La présidence azerbaïdjanaise a appelé en début de soirée les troupes de ce territoire sécessionniste de l’Azerbaïdjan en majorité peuplé d’Arméniens à déposer les armes, condition sine qua non au début de négociations.

« Les forces armées arméniennes illégales doivent hisser le drapeau blanc, rendre toutes les armes, et le régime illégal doit se dissoudre. Autrement, les opérations antiterroristes continueront jusqu’au bout », a-t-elle déclaré, faisant écho à la diplomatie azerbaïdjanaise qui réclamait une reddition « totale et inconditionnelle ».

La présidence a proposé, en cas de capitulation, des pourparlers « avec les représentants de la population arménienne du Karabakh à Yevlakh », une ville azerbaïdjanaise située à 295 km à l’ouest de Bakou.

Avant cela, les autorités de cette région disputée avaient réclamé un cessez-le-feu immédiat et des négociations.

 

Au moins 29 morts

Les combats ont fait au moins 29 morts, dont deux civils, et plus de 200 blessés dans cette région où environ 7000 habitants de 16 localités ont été évacués, selon les séparatistes.

De son côté, l’Azerbaïdjan a signalé que deux civils avaient péri dans les zones sous son contrôle.

Les séparatistes affirment que plusieurs villes du Haut-Karabakh, dont sa capitale, Stepanakert, sont ciblées par des « tirs intensifs » qui visent aussi des infrastructures civiles.

Les affrontements ont lieu « sur toute la ligne de contact » de ce territoire, et les Azerbaïdjanais ont recours à l’« artillerie », à des roquettes, à des drones d’attaque, à des avions, ont-ils raconté.

Soixante positions arméniennes y ont été conquises, a annoncé dans la soirée Bakou.

 

Quant à l’Arménie, qui a dénoncé une « agression de grande ampleur » à des fins de « nettoyage ethnique », elle a assuré ne pas avoir de troupes au Haut-Karabakh, laissant entendre que les séparatistes étaient seuls face aux soldats azerbaïdjanais.

Et elle considère que c’est à la Russie, garante d’un cessez-le-feu datant de 2020 avec des forces de la paix sur le terrain, d’agir pour « stopper l’agression azerbaïdjanaise ».

Le conflit de 2020 avait débouché sur une déroute militaire de l’Arménie, qui avait dû céder à l’Azerbaïdjan du terrain dans le Haut-Karabakh et autour de celui-ci.

Un cessez-le-feu, négocié par la Russie, avait été conclu par ces deux anciennes républiques soviétiques du Caucase, sans jamais qu’on aboutisse à un accord de paix.

Entraîner l’Arménie dans la guerre ?

À Bakou, le ministère de la Défense avait annoncé mardi matin le déclenchement d’« opérations antiterroristes », après la mort de six Azerbaïdjanais dans l’explosion de mines sur le site d’un tunnel en construction entre Choucha et Fizouli, deux villes du Haut-Karabakh sous contrôle de l’Azerbaïdjan.

C’est un groupe de « saboteurs » séparatistes qui a posé ces engins explosifs, d’après les services de sécurité azerbaïdjanais.

« L’échec de la communauté internationale à agir est à l’origine de l’offensive azerbaïdjanaise », ont quant à eux déclaré les Arméniens du Haut-Karabakh.

Les tensions s’aggravent depuis des mois autour de ce territoire qui a déjà été au coeur de deux guerres entre Erevan et Bakou. La première avait duré de 1988 à 1994, et celle de l’automne 2020 s’était arrêtée au bout de six semaines.

Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a à ce propos accusé les Azerbaïdjanais de vouloir « entraîner l’Arménie dans les hostilités ».

La situation à la frontière arméno-azerbaïdjanaise est pour l’heure « stable », a-t-il néanmoins souligné.

Crainte de « troubles » en Arménie

Nikol Pachinian, auquel l’opposition reproche d’avoir été responsable de la défaite d’il y a trois ans, a dans le même temps dénoncé des appels à un « coup d’État » dans son pays, où des heurts devant le siège du gouvernement ont opposé des policiers et des manifestants le qualifiant de « traître » et exigeant sa démission.

Plusieurs personnes victimes de ces violences ont dû être hospitalisées, selon le ministère de la Santé.

 

« Il existe actuellement un vrai risque de troubles généralisés en Arménie », ont prévenu mardi soir les services de sécurité arméniens, promettant des « mesures de maintien de l’ordre constitutionnel » et mettant en garde les citoyens contre les « diverses provocations ».

Des dizaines de personnes se sont en outre rassemblées devant l’ambassade de Russie à Erevan pour dénoncer l’inaction de ce pays face à l’offensive azerbaïdjanaise.

Appel à une « cessation immédiate » des hostilités

Bakou a précisé avoir informé de ses opérations à la fois la Russie — qui a ensuite indiqué n’avoir été mise au courant que « quelques minutes » avant leur commencement — et la Turquie.

Le Kremlin, « préoccupé », a dit par la voix de son porte-parole essayer de convaincre l’Arménie et l’Azerbaïdjan de retourner « à la table des négociations », tandis que la mission de maintien de la paix russe au Haut-Karabakh s’est prononcée pour un cessez-le-feu « immédiat ».

Quant à la Turquie, qui a qualifié de « légitimes » les préoccupations ayant amené les Azerbaïdjanais à se lancer dans une action militaire, elle a également exhorté, en parallèle, à la « poursuite du processus de négociation entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie ».

« Nous soutenons les mesures prises par l’Azerbaïdjan […] pour défendre son intégrité territoriale », a affirmé le président turc, Recep Tayyip Erdoğan.

À l’opposé, pour le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, qui prône « une cessation immédiate » des hostilités, le recours à la force est « inacceptable », et « ces actions [de Bakou] aggravent une situation humanitaire déjà difficile au Nagorny-Karabakh et sapent les perspectives de paix ».

Réaction similaire du président français, Emmanuel Macron, qui a peu après condamné « avec la plus grande fermeté » l’offensive azerbaïdjanaise et souhaité sa « cessation immédiate ».

Le président du Conseil européen, Charles Michel, qui a déjà effectué une médiation entre les deux pays, a aussi estimé que l’Azerbaïdjan devait « immédiatement » interrompre ses opérations.

Nikol Pachinian, qui n’a pas fait état de discussions avec Vladimir Poutine, a eu deux entretiens téléphoniques avec MM. Macron et Blinken.

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