Momenta 2023: tombent les masques

Rémi Belliveau, «L’Empremier. Live at Beaubassin» (1970), 2023
Photo: Rémi Belliveau Rémi Belliveau, «L’Empremier. Live at Beaubassin» (1970), 2023

Le programme l’énonce clairement : Momenta 2023 comprend 23 expositions. On peut aussi prendre l’ensemble comme une seule exposition thématique, étalée en 16 lieux, coiffée du titre Mascarades. Articulée autour des identités fluctuantes, elle s’étiole néanmoins, tant la commissaire Ji-Yoon Han intègre des idées, certes nobles, mais nombreuses. Revendications de genre, discours décoloniaux, questionnements sur l’intelligence artificielle, préoccupations environnementales… Ajoutez-y les réflexions sur le regard photographique et ses dérivés, puisqu’on est dans la « biennale de l’image ».

Outre ces « mascarades » et les nombreux artistes qui font appel, sinon au déguisement et à l’extravagance, au mimétisme et au camouflage, un fil tissé d’archives traverse la manifestation. Le passé semble être garant d’avenir.

Avec un projet liant cinéma et folk-rock, Rémi Belliveau mélange avec brio combats personnel et collectif. Au centre Vox (2, rue Sainte-Catherine Est, jusqu’au 21 octobre), L’empremier. Live at Beaubassin (1970), un film 35 mm réalisé en 2023, raconte la (fausse) histoire presque véridique de Jean/Joan Dularge, artiste queer de la scène musicale d’Acadie. Témoignages et prestations musicales composent un documentaire qui évoque autant Zachary Richard que Pink Floyd. Avec une couche supplémentaire d’ambiguïté, les archives de Dularge, dont la correspondance avec le vrai Acadien Clarence White (The Byrds) sont exposées au centre Artexte, un étage au-dessous de Vox.

Artiste du Nouveau-Brunswick, Belliveau place l’identité queer et l’affirmation acadienne au même niveau. L'artiste fait dire à son alter ego qu’accepter sa féminité, après l’avoir refoulée pendant l’enfance, est similaire aux efforts des francophones d’Acadie pour rompre avec l’assimilation.

Toujours à Vox, deux autres artistes puisent dans les archives et la mémoire familiales pour dénoncer la discrimination dont leurs communautés ont souffert. Marianne Nicolson s’approprie des portraits d’Autochtones et d’autres images que la photographie ethnographique a produites au XXe siècle. Tuan Andrew Nguyen raconte, en incluant des images d’Indochine, l’héritage liant le Sénégal au Vietnam. Dans ces deux cas, l’ambiguïté inventive de Belliveau fait cruellement défaut.

Au centre Clark (5455, avenue de Gaspé, jusqu’au 7 octobre), c’est aussi à coups de fiction et de mouvements chorégraphiés que l’Estonienne Kristina Norman s’appuie sur le passé colonial. La trilogie de vidéos Orchidelirium, créée pour la Biennale de Venise 2022, explore les rapports de domination du XIXe siècle dans les domaines de la botanique, de la zoologie ou des arts. Autant la projection simultanée des oeuvres que les archives photographiques exposées en complément participent au climat d’étrangeté instauré par l’artiste. Tournée dans une base militaire soviétique devenue un zoo, la vidéo Shelter offre la meilleure synthèse de cette Momenta portée par la métamorphose et les changements de paradigmes. Qui est donc cet animal en cage à la figure humaine ? Qui regarde, qui est l’objet du regard ?

Ailleurs, d’autres propositions intègrent archives visuelles et problématiques actuelles. La surabondance d’éléments ou un ton parfois didactique atténuent cependant leur intérêt. Au Musée McCord (jusqu’au 4 février), par contre, Séamus Gallagher fait renaître, avec humour et le pastiche propre à son personnage de drag queen, la promotion du bas de nylon lors de l’Exposition universelle de New York en 1939. Le mirage chimique et sexué d’alors n’est certes plus aujourd’hui la norme. Or, l’artiste d’Halifax s’en sert pour dénoncer les stratégies de surface, trompeuses, actuelles. Que les masques tombent !

Mascarades. L’attrait de la métamorphose

Momenta Biennale de l’image se déroule dans divers lieux, jusqu’au 22 octobre, sauf indication contraire.

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