Momenta 2023: prêcher à des convertis

Marion Lessard, «Le roman de Remort» : «Mutatis mutandis» et «Le Roman de Remort» : Pede poena claudo, 2023, collages numériques
Photo: Marion Lessard Marion Lessard, «Le roman de Remort» : «Mutatis mutandis» et «Le Roman de Remort» : Pede poena claudo, 2023, collages numériques

Par son titre, cette biennale semblait déjà incarner tout un programme large et emballant… « Mascarades. L’attrait de la métamorphose » laissait espérer un événement où serait « renverser l’ordre établi » afin « de ne plus être soi-même ». Un peu dans l’esprit de la dernière édition de la Biennale de Montréal, en 2016, qui s’inspirait du concept de bordel, mais qui avait totalement foiré… On espérait que l’idée de critique et même de satire sociale l’emporterait. Mais c’est loin d’être le cas. Quelques oeuvres vont dans ce sens, certes. Vous serez touchés par Moko Is Future de Jeannette Ehlers (Play Mas, Fonderie Darling, jusqu’au 22 octobre), une vidéo montrant un personnage africain — le « dieu du destin dans plusieurs cultures de l’Afrique de l’Ouest » — sous la forme de son zombie faisant irruption dans une Copenhague très néoclassique…

Mais le problème dépasse la question du titre. Momenta 2023 a voulu embrasser aussi la question de l’identité de genre et le féminisme, les identités culturelles et le racisme, le colonialisme, l’écologisme, les technologies numériques… Et nous en oublions peut-être. Cela donne le sentiment d’un survol n’appréhendant pas souvent ces questions en profondeur.

À elle seule, la question du numérique aurait demandé une réflexion complexe. Certaines oeuvres survolent le problème. Notons La logique paralyse le coeur de Lynn Hershman Leeson (au Musée des beaux-arts, jusqu’au 10 décembre), vidéo juste digne d’une courte capsule YouTube sur les risques inhérents au monde virtuel et à l’intelligence artificielle… Et même la question des identités semble plutôt convenue pour un public du milieu de l’art qui ne sera pas très troublé par les identités lesbiennes, fluides ou même par les drag kings.

On attendait une exposition plus queer, plus freak, plus perverse. Mais peut-on encore évoquer le BDSM ou est-ce trop wild ? On aurait aussi pu intégrer des artistes traitant de prostitution, comme Orlan ou Andrea Fraser… Les oeuvres sont finalement d’une très acceptable « étrangeté », d’un genre queer plutôt sage, présentées dans une chambre d’écho, en circuit fermé. On est loin des tensions troublantes comme chez Omer Fast ou Rainer Fassbinder. Si on avait voulu vraiment déstabiliser, il aurait peut-être déjà fallu exposer ces oeuvres et ces sujets à un public hors des murs des institutions ici convoquées, qui n’en sont pas à leur première bizarrerie.

Il restera de tout cela plusieurs oeuvres pertinentes. Signalons en particulier, à la galerie de l’UQAM (jusqu’au 21 octobre), Le roman de Remort, ou les fabliaux inhumains et vilains de l’Ultime Carnaval, oeuvre satirique, digne des contes philosophiques, du collectif Marion Lessard. Le spectre des ancêtres en devenir de Tuan Andrew Nguyen, chez Vox (jusqu’au 21 octobre), est aussi passionnant, même si nous ne voyons pas bien les liens avec la mascarade.

Des brochures super-explicatives… 

Pour chaque expo, vous trouverez un fascicule expliquant les oeuvres avec un texte long et un texte simplifié ! Malgré la bonne intention — rendre le propos clair pour une population qui a du mal à lire —, voilà une initiative plutôt surprenante et même méprisante envers le public. Dans l’après-guerre, la prolifération des panneaux explicatifs dans les musées n’avait-elle pas justement déjà été pensée afin de rendre l’art accessible à tous ? Va-t-on un jour avoir droit à un texte super-simplifié ? Tout compte fait, cette attitude ne fait que réitérer une vision cliché d’un milieu de l’art contemporain hermétique dont il faudrait traduire et réduire les enjeux plutôt que d’affirmer la richesse de l’art actuel accessible à tous ceux qui veulent bien prendre le temps de réfléchir. Pourquoi ne pas créer des versions plus courtes et clarifiées des vidéos présentées (le corpus le plus important de cet événement) ? À quand une édition de Proust avec le texte original à droite et le texte succinct à gauche ?

Bref, voilà une exposition qui se révèle être un réconfortant énoncé de principe sur la tolérance et l’inclusivité.

Mascarades. L’attrait de la métamorphose

Momenta Biennale de l’image, divers lieux, jusqu’au 22 octobre, sauf indication contraire

À voir en vidéo