L’odyssée renouvelée de Passages insolites

«L’apprêt», version repeinte et transformée de «L’odyssée» du duo Cooke-Sasseville, qui avait marqué la première édition de Passages insolites. Entièrement repeinte, l’oeuvre emblématique est métamorphosée par la muraliste MC Grou.
Photo: Stéphane Bourgeois «L’apprêt», version repeinte et transformée de «L’odyssée» du duo Cooke-Sasseville, qui avait marqué la première édition de Passages insolites. Entièrement repeinte, l’oeuvre emblématique est métamorphosée par la muraliste MC Grou.

Les pigeons surdimensionnés de L’odyssée, oeuvre du duo Cooke-Sasseville, sont réapparus cet été dans le Vieux-Québec, à un kilomètre de l’endroit d’où ils s’étaient envolés en 2014. C’était l’année inaugurale de l’exposition de rue Passages insolites. Les trois oiseaux et la boîte de conserve tout aussi géante (inspirée des soupes Campbell de Warhol) autour de laquelle ils tournent sont revenus souligner le dixième anniversaire de la désormais tradition estivale.

Emblématique de la pratique des sculpteurs de Québec, L’odyssée a légèrement changé d’allure. Elle est entièrement jaune. Des inscriptions y ont été ajoutées. Et elle a été rebaptisée L’apprêt.

« Les gens pensent que c’est une nouvelle version, alors que ce n’est pas le cas. On voulait reculer et laisser la place à une autre artiste. C’est une nouvelle oeuvre », explique Pierre Sasseville. La transformation porte la signature de MC Grou (ou Marie-Claude Grou), une muraliste, également de Québec. Sa touche au pochoir, une sombre description d’ingrédients et de maladies, dénonce la pollution à la poussière rouge dans Limoilou.

Entre le spectaculaire et le discret, entre l’apparence et la substance : c’est dans cet entre-deux que navigue Passages insolites depuis ses débuts. Sur les dix-huit arrêts du parcours de 2023, les trois dioramas miniatures d’AnonyMouse valent à eux seuls la promenade. Intégrés à des bâtiments, au ras du sol, ils décrivent des lieux imaginaires, construits à partir de nos rébuts. Un monde hyperdétaillé… à hauteur de souris.

Photo: Stéphane Bourgeois «SmallTalk», d'AnonyMouse

L’effet de surprise en moins, l’événement repose encore sur un principe : sortir l’art des musées et des galeries, l’extraire de sa coquille. Jadis, il fallait convaincre de la pertinence d’exposer en plein air. Aujourd’hui, assure le directeur général et artistique Vincent Roy, les gens reviennent d’une édition à l’autre, curieux de découvrir les nouveaux arrimages d’ancien et de contemporain.

« Nous avons créé une habitude. Nous avons été les premiers à Québec [à exposer l’art dans la rue] régulièrement, avec un mandat. Nous sommes voués 100 % à ça », dit Vincent Roy en évoquant Exmuro arts publics, qu’il a fondé en 2007. L’exposition du Vieux-Québec est devenue la principale vitrine de l’OBNL. Et elle figure parmi ces rendez-vous annuels qui placent des oeuvres sur le chemin des foules. Le festival Art souterrain à Montréal le fait depuis 2008, les Rencontres de la photographie en Gaspésie, depuis 2010.

Nous avons créé une habitude. Nous avons été les premiers à Québec [à exposer l’art dans la rue] régulièrement, avec un mandat. Nous sommes voués 100 % à ça.

 

Exmuro évalue à 200 000 le nombre de têtes qui visitent Passages insolites. « Beaucoup de gens d’ici ne remettaient plus les pieds dans le Vieux-Québec », dit son fier instigateur. Non seulement la population locale revient, mais elle fait tout le parcours.

De retour d’Europe avec des béquilles — un banal accident de trottoir —, Vincent Roy affiche le ton serein de celui qui a obtenu gain de cause. Il ne se satisfait pas pour autant de ce succès. Son voyage outre-Atlantique était un voyage de prospection, pour dénicher des partenariats comme celui qui lui a permis d’accueillir en 2021 des artistes de la Suède et d’envoyer l’an dernier quatre Québécoises à l’OpenArt d’Örebro, à 200 kilomètres à l’ouest de Stockholm. « On peut être spectateur et divertir, ou [être] un acteur sensibilisateur. Les deux [divertir et sensibiliser] sont importants. Nous, on tente de susciter des éveils, de faire réfléchir, d’élever la pensée », indique l’énergique militant culturel, pour qui l’installation faite de vestes de flottaison d’Ai Weiwei en 2022 est le meilleur exemple de cette noble mission.

En dix éditions de Passages insolites, Exmuro a plus qu’établi ses assises. De ses bureaux place Royale qu’il occupe depuis peu avec l’appui de la SODEC, Vincent Roy voit les touristes. Il se trouve, en quelque sorte, dans le bain. Cet été, il ne fait que mettre les pieds dehors et marche au coeur de l’intervention en anamorphose du vétéran suisse Felice Varini.

Photo: Stéphane Bourgeois «Big Other», de Pierre & Marie

« C’est sa première fois au Canada, mais il est actif depuis 40 ans. Avoir un grand artiste reconnu est important », dit Vincent Roy.

Passages insolites n’est plus qu’une expo en plein air. Le volet « Passage intérieur » prend place dans les étages inférieurs à Exmuro. « On est devenus un centre d’art contemporain à la place Royale », admet-il, en précisant ne pas exposer des oeuvres dans un cube blanc. « Ce sont des installations immersives. Les artistes créent avec l’espace. »

Elle est loin, l’édition inaugurale, conçue sur invitation, de la Ville de Québec. Il devait y avoir trois oeuvres, Exmuro en a mis le double. Elle devait être unique, mais chaque été a eu son expo, même en temps de COVID-19.

L’odyssée, devenue L’apprêt, est emblématique de la longévité et de l’évolution de Passages insolites. L’installation de Cooke-Sasseville devait être détruite après l’été 2014. Exmuro, qui en avait assumé la production, l’a conservée et mise en circulation, l’envoyant jusqu’à Toronto.

« Personne ne demande à côtoyer une oeuvre éphémère. L’artiste peut se coller à l’actualité, être plus incisif  », dit Pierre Sasseville, qui assure ne pas s’être mêlé de la transformation de L’odyssée. Les pigeons, à l’origine, se heurtaient à un art contemporain scellé, inaccessible. MC Grou les met devant un danger concret, une pollution locale, comme celle de Limoilou. Son intervention est aussi un clin d’oeil à la nouveauté de cette 10e édition, Passage mural, inauguré en août sous le viaduc Dufferin-Montmorency.

Notre collaborateur a séjourné à Québec à l’invitation d’Exmuro.

Passages insolites

Dans les rues du Vieux-Québec, jusqu’au 9 octobre.

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