Écoute profonde au Musée d’art de Joliette

Vue de l’exposition «Retirez vos bouchons d’oreilles» au Musée d'art de Joliette. Oeuvre à l'avant-plan : Marie-Michelle Deschamps et Corinne René, «Première adresse», 2023.
Photo: Ysabelle Latendresse Vue de l’exposition «Retirez vos bouchons d’oreilles» au Musée d'art de Joliette. Oeuvre à l'avant-plan : Marie-Michelle Deschamps et Corinne René, «Première adresse», 2023.

Connaissez-vous Pauline Oliveros (1932-2016) ? Musicienne et compositrice américaine, Oliveros a développé le concept d’« écoute profonde », le Deep Listening. Dans nos sociétés qui ont tellement valorisé l’oeil — et le monde des apparences — par rapport à tous les autres sens, ainsi que l’écrit par rapport à l’oralité, voilà une réflexion qui ne manque pas de pertinence. S’il y a une distinction entre voir et regarder, il y a aussi tout un monde entre entendre et écouter. Cette voie a aussi été explorée par la psychanalyse, qui a insisté sur la qualité de l’écoute. Chez Oliveros, cette écoute aurait même une fonction politique et écologique… À ce sujet, le texte de présentation de cette exposition, au Musée d’art de Joliette, explique qu’il faut « remettre en question l’opposition entre le “signal” auquel on prête attention et le “fond bruyant”, une opposition qui structure nos relations de domination vis-à-vis des autres, mais aussi de la nature », car « c’est parce qu’on la considère comme un décor aux activités humaines que la nature peut être instrumentalisée ». Cette approche du monde, qui fut longtemps ignorée, permettrait aussi que le bruit devienne musique !

Ne croyez pas que cette réflexion sur l’environnement sonore soit un champ de recherche pure bien loin de votre vie quotidienne. Et nous ne parlons pas ici de la musak d’ascenseur ou d’aéroport… Rappelons que, de nos jours, bien des compagnies tentent — et y arrivent — de s’infiltrer avec force dans le bruit ambiant et même dans l’espace sonore de nos vies. On parle de design sonore, mais aussi de logos sonores… Bien des compagnies — parmi lesquelles McDonald’s, Intel et Netflix — ont réussi à créer une identification sonore forte de leur marque. Ces sons se sont immiscés, presque comme un ver d’oreille, dans nos mémoires, créant une familiarité avec le produit qu’ils représentent. Avec leur « ritournelle » simpliste, ces compagnies ont établi un capital de sympathie auprès du public. Depuis une vingtaine d’années, les sound studies, qui analysent d’ailleurs les enjeux sociaux politiques présents dans nos paysages sonores, voient en Oliveros une précurseure.

Oeuvres de résonance

Les commissaires Maud Jacquin et Anne-Marie Saint-Jean Aubre ont donc invité une bonne dizaine d’artistes à converser avec les recherches d’Oliveros.

Dans une vidéo, Anna Holveck réalise un dialogue sonore avec la bouche d’aération des sous-sols de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, haut lieu de la musique expérimentale. La dimension musicale de ce système mécanique de circulation d’air est ainsi révélée.

Le visiteur regardera aussi le film Enfants de l’inquiétude (2015) de Mikhail Karikis, oeuvre où l’artiste montre comment des enfants appréhendent et s’approprient le monde à travers des imitations de bruits… Et il faudrait aussi souligner les oeuvres de bien d’autres artistes, dont Les fossiles sonores de Sandra Volny, Hybird de Violaine Lochu…

Une présentation au sujet passionnant, même si elle pourra sembler un peu ardue. Une brochure vous guidera cependant dans votre parcours. Voilà un projet bien orchestré, d’autant qu’il présentait une complexité certaine.Comme nous le confie Anne-Marie St-Jean Aubre, « le principal défi d’une exposition de groupe sur le son, qui combine plusieurs oeuvres et pratiques distinctes, est la cohabitation dans l’espace. Nous avons opté pour plusieurs oeuvres au casque, mais nous voulions qu’il y ait aussi une expérience sonore dans la salle, et des contaminations intéressantes ». Elle ajoute que cette exposition permet de « réfléchir au son pas seulement comme s’adressant à l’écoute, aux oreilles, mais bien à tout le corps ».

Notons qu’une version de ce riche projet sera présentée au très dynamique centre parisien Bétonsalon, qui coproduit d’ailleurs l’événement.

Toujours au MAJ

D’autres expositions vous attendent au Musée d’art de Joliette.

Notons Cohésion. Une enquête sur le faire groupe d’Anne-Marie Ouellet, une exposition intelligente traitant des motivations des individus à « rejoindre une association, un collectif, une communauté ou à travailler en collaboration ».

Il faudra aussi se rendre au deuxième étage du MAJ, afin de regarder quatre oeuvres de Marian Dale Scott présentées par la commissaire Esther Trépanier. Notons tout de même que cette petite exposition aurait mérité mieux qu’un bout de couloir… Des oeuvres d’un grand intérêt présentées sous le titre La fascination de la structure.

Laurence Pilon à New York

L’événement doit être souligné. Ce n’est pas tous les jours qu’un ou qu’une artiste québécoise a son premier solo new-yorkais. Dans Lower East Side, à la galerie Sargent’s Daughters, Laurence Pilon présente une série de tableaux aux formes organiques, fluides, qui semblent presque en mouvance… Dans les tableaux de Pilon, le regardeur aura la sensation de contempler des liquides miscibles et non miscibles interagissant. Dans ses huiles sur toile abstraites, l’artiste s’inspire en fait de paysages des fonds océaniques.

Nous noterons qu’une autre artiste représentée par la galerie Nicolas Robert, Magalie Guérin — Montréalaise de naissance, mais vivant maintenant à Marfa au Texas —, a, elle aussi, eu un solo à New York, à la galerie Sikkema Jenkins Co., solo qui finissait le 28 juillet…

Deux artistes à surveiller.

Benthic Ravers
De Laurence Pilon. À la galerie Sargent’s Daughters, à New York, jusqu’au 18 août.

Retirez vos bouchons d’oreilles

Commissaires : Maud Jacquin et Anne-Marie St-Jean Aubre. Au Musée d’art de Joliette, jusqu’au 4 septembre.



À voir en vidéo