«Parole d’eau»: du désert aux Grands Lacs

La codirectrice artistique du théâtre Motus, Hélène Ducharme
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir La codirectrice artistique du théâtre Motus, Hélène Ducharme

Présence scénique aux mille et un visages, la marionnette a vu sa définition s’enrichir de diverses formes avec le temps. De sa version habitée (qui s’enfile comme un costume) au théâtre d’ombre ou d’objets, elle s’apprête, à l’occasion du Festival international des arts de la marionnette à Saguenay (FIAMS), à prendre d’assaut parcs et salles de la ville. Celle-ci, en parallèle, sera même l’hôtesse de l’assemblée générale de l’Association des villes amies de la marionnette, qui aura lieu pour la première fois en Amérique.

Parmi les compagnies invitées, le théâtre Motus (à qui l’on doit Baobab, dont la popularité, sur nos scènes et à l’étranger, ne se dément pas depuis sa création, en 2008) y présentera pas moins de trois pièces : Arbre, tout un monde, destiné aux jeunes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme, son adaptation pour tout-petits, simplement intitulée Arbre, ainsi qu’une coproduction avec le Sénégal et le Burkina Faso, Parole d’eau. Cette dernière création a jailli d’une rencontre, celle entre la Québécoise Hélène Ducharme et la Sénégalaise Mamby Mawine.

Un enfant canadien ne sait pas nécessairement qu’en Afrique, on peut ouvrir le robinet et que l’eau ne coule pas, ou encore que les gens doivent marcher des kilomètres pour aller en chercher.

Les deux femmes étaient de la quinzaine d’artistes réunis en Belgique, en 2003, par la Commission internationale du théâtre francophone afin de favoriser les échanges entre créateurs provenant des quatre coins du monde. Elles couvaient depuis le désir d’unir leur voix. Ainsi, lorsque Ducharme a appris que Mawine souhaitait creuser le thème de l’eau, il n’était pas question pour elle de manquer le bateau. De l’Amérique du Nord à l’Afrique de l’Ouest, « on est vraiment dans des extrêmes, souligne la codirectrice artistique de Motus. C’était fascinant de plonger dans cet univers-là ensemble ».

Émergent donc de ce spectacle, qu’elles interprètent ensemble en plus d’en avoir signé le texte et la mise en scène, les différences entre les liens qu’entretiennent les habitants des hémisphères Nord et Sud avec l’eau. « Un enfant canadien ne sait pas nécessairement qu’en Afrique, on peut ouvrir le robinet et que l’eau ne coule pas, ou encore que les gens doivent marcher des kilomètres pour aller en chercher, explique Mamby Mawine, jointe au Sénégal. Et quand on joue ici, les jeunes apprennent que la neige peut bloquer la porte et qu’on peut passer des heures à pelleter pour dégager le chemin. Pour nous, la neige, c’est beau, ça fond et c’est tout. »

Faire réfléchir sans faire la morale

 

Il aurait été bien ardu, pour la directrice de la compagnie Djarama (qui est aussi le nom d’un centre d’art pour jeunes qu’elle a cofondé), d’aborder le thème de l’eau sans parler des « corvées » associées à la nécessité de s’en procurer… et des inégalités liées au genre qui persistent à cet égard. Si elle n’a jamais craint de traiter de sujets délicats — comme l’accès des filles à l’éducation et l’excision —, elle considère même le théâtre comme un redoutable outil de sensibilisation, voire de revendication. Pourtant, il apparaissait important aux deux créatrices, en ce qui a trait à Parole d’eau, d’éviter de verser dans le didactisme ou, pire encore, dans la moralisation.

Or, c’est la marionnette qui leur a prêté main-forte dans cette quête. Mawine et Ducharme ont préféré, à certains moments, laisser parler les images à leur place. Comme dans une scène où de petites femmes-pantins, construites à partir de calebasses, traversent péniblement l’aire de jeu avec des récipients sur la tête.

C’est que la recherche visuelle — qui implique des marionnettes fabriquées en une multitude de matières, donc des bouteilles de plastique — s’est élaborée en même temps que le texte, et non à sa suite. Il en a d’ailleurs été de même de la musique. Muni de percussions, d’une flûte peule et d’un n’goni (une guitare africaine), le musicien burkinabé Dramane Dembélé a participé à toutes les étapes de la création. « Sa musique rythmait nos paroles, se rappelle Mamby Mawine. Et lorsque diverses formes d’eau (de l’eau sale, de la pluie…) sont représentées par des tissus, c’est elle qui leur donne une voix. »

Si elle est incarnée par des textiles, c’est qu’il est d’emblée apparu limpide pour le duo qu’il n’y aurait pas de manipulation d’eau dans le spectacle qui lui est consacré, hormis une menue gorgée partagée par les artistes à mi-parcours. D’ailleurs, Hélène Ducharme a pris conscience des quantités colossales d’or bleu qui sont usuellement consommées en tournée : « Pour laver les costumes, pour les douches, pour le café… Mais comment les changer, ces habitudes-là ? »

Les considérations écologiques constituent certes un enjeu de taille dans le milieu des arts vivants. On tente de réutiliser des éléments scénographiques, de favoriser l’écoresponsabilité au sein des productions, bien que le transport des artistes en avion (et de leurs décors en bateau) ne soit pas sans effet sur le plan environnemental. Si Parole d’eau est le spectacle « le plus facile à transporter » qu’ait créé Motus, puisqu’il tient en trois valises, Mamby Mawine est plus que familière avec ce minimalisme matériel : « Dès que j’ai commencé à faire du théâtre, ça a été une nécessité. Au Sénégal, les ressources financières sont très limitées. D’office, on se dit qu’on doit faire petit. » Comme elle et sa complice présenteront à nouveau, en janvier, leur création à la Maison Théâtre et comme elle est aussi l’une des artistes associées de la compagnie québécoise Le Carrousel, on n’a sans doute pas fini d’apprendre d’elle — pour paraphraser un des titres du regretté Rock Demers — comment être grands tout en étant petits.

Aussi à voir au FIAMS

Une valise de Taipei. Le Flying Group Theatre de Taïwan propose une courte pièce de théâtre d’objets… sur un ordinateur portable. Le clavier fait office de scène et l’écran, de décor.

Lili et les corbeaux. Cette création de la compagnie québécoise Tenon Mortaise marie le théâtre de papier à partir d’une table lumineuse à la tradition japonaise du bunraku.

Hic sunt dracones. Les artistes tchèques du théâtre Continuo forment des tableaux visuels en alliant des parties de leur corps à différentes matières (papier mâché, glaise…) ainsi qu’à des jeux de lumière.

Bataille royale. Conçu spécifiquement pour le FIAMS, ce combat de synchronisation labiale (lip sync) opposant les marionnettes du Cabaret Décadanse à une équipe de drag queens menée par Barbada s’annonce épique.

Parole d’eau

Texte, mise en scène et interprétation : Mamby Mawine et Hélène Ducharme. Présenté à la salle Murdock du Centre des arts de Chicoutimi, du 28 au 30 juillet.



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