Les populistes confrontés à la fin de l’impunité

Le président brésilien Jair Bolsonaro s’adressant aux médias en juin dernier.
Sergio Lima Agence France-Presse Le président brésilien Jair Bolsonaro s’adressant aux médias en juin dernier.

La gifle. Vendredi dernier, le tribunal électoral du Brésil a compromis un éventuel retour du populiste Jair Bosolnaro à la tête du pays en le condamnant à huit ans d’inéligibilité, et ce, en raison des attaques et mensonges qu’il a proférés contre le système électoral brésilien durant la dernière campagne présidentielle dans ce pays.

Une décision visant à protéger la jeune démocratie brésilienne, a précisé la justice, et qui pourrait bien marquer le début de la fin de l’impunité des populistes pour leur « désinformation haineuse », selon les termes des juges brésiliens, visant à « susciter un état de paranoïa collective » parmi les électeurs, pour mieux asseoir leur pouvoir.

En juillet 2022, 11 semaines avant le premier tour des élections au Brésil, Bolsonaro a convoqué des ambassadeurs de plusieurs pays dans sa résidence officielle pour remettre publiquement en question, et sans fondement, la fiabilité du système électoral brésilien.

 

L’événement s’inscrivait dans une séquence d’attaques, reprenant le scénario de Donald Trump aux États-Unis, contre les institutions démocratiques, à l’approche d’un scrutin annonçant la victoire de la gauche de Luiz Inácio Lula da Silva.

Il y a certainement un message fort et nécessaire affirmant que les tentatives de renverser le système électoral ne sont plus acceptables.

 

Cette séquence a culminé le 8 janvier dernier avec l’attaque du palais présidentiel, du congrès et de la Cour suprême par des millions de partisans du radical dans l’espoir de faire annuler les résultats pourtant légitimes de l’élection.

« Il faut commencer à être plus durs envers les populistes, que ce soit par la justice ou par l’adoption de normes collectives affirmant haut et fort ce que la société tolère et désormais ne tolère plus de ses dirigeants politiques », commente Marc Froese, directeur des études internationales à l’Université Burman, joint par Le Devoir en Alberta. « Cette décision est très importante pour l’avenir de la démocratie brésilienne, d’autant que Bolsonaro est très proche, dans l’esprit, de Donald Trump, en s’adressant lui aussi à une base fanatique loyale », avec des conséquences aussi néfastes qu’imprévisibles sur le régime démocratique du pays.

« Il y a certainement un message fort et nécessaire affirmant que les tentatives de renverser le système électoral ne sont plus acceptables », ajoute pour sa part le juriste américain Samuel Issacharoff, professeur de droit à l’Université de New York. Et c’est un message qui, en ciblant Jair Bolsonaro, s’adresse aussi aux autres « démagogues comme Donald Trump » qui « empoisonnent également la démocratie », ajoute-t-il.

Hasard des calendriers : la décision de la justice brésilienne qui vient de couper court aux ambitions électorales de Bolsonaro, au moins jusqu’en 2030 et à la veille de ses 75 ans, est survenue quelques heures à peine avant de nouvelles révélations sur les nombreuses tentatives de faire annuler le résultat des élections américaines de 2020 par l’ex-président américain au penchant autoritaire.

Selon le Washington Post, l’ex-vedette de la téléréalité a cherché en effet à faire personnellement pression sur le gouverneur républicain de l’Arizona, Doug Ducey, à la fin de 2020 pour qu’il annule les résultats de l’élection présidentielle dans son État, en l’incitant à affirmer, sans en avoir la preuve, qu’il avait trouvé suffisamment de votes frauduleux.

Le quotidien cite plusieurs personnes ayant été témoins de l’appel et précise que l’avocat spécial du département de la Justice, Jack Smith, aurait contacté récemment l’entourage de Doug Ducey à propos d’une rencontre avec des donateurs où il a été question de cet appel. D’autres gouverneurs exposés aux pressions obsessionnelles de Trump au lendemain de sa défaite sont également dans la ligne de mire du procureur.

En juin dernier, dans une décision historique, Smith a déposé 37 chefs d’accusation contre Trump pour sa conservation illégale d’une centaine de documents secrets dans sa résidence privée de Mar-a-Lago. Et son manque de coopération avec la justice pour les restituer.

Le populiste est actuellement traqué par la justice en Géorgie pour avoir tenté d’y faire apparaître des électeurs en sa faveur en 2020, et ce pour éviter la défaite. Il l’a fait lors d’un appel enregistré le 2 janvier 2021 avec le secrétaire d’État géorgien, Brad Raffensperger.

Sanctionner pour apprivoiser

 

« Même si Trump est confronté à plusieurs affaires et à des mises en accusation importantes et graves, aucun de ces dossiers n’a toutefois la perspective d’interdire qu’il se présente à la présidentielle de 2024 dans l’espoir d’une réélection », a commenté en entrevue le politicologue Kurt Weyland de l’Université du Texas à Austin.

Contrairement au Brésil, une condamnation au pénal aux États-Unis n’entraîne pas d’inéligibilité, mais peut ironiquement et paradoxalement conduire à une suspension du droit de vote dans plusieurs États.

« Apprivoiser les populistes illibéraux et antidémocratiques ne peut pas se faire sans que les institutions étatiques soient en mesure de les sanctionner et de les punir lorsqu’ils refusent de respecter les règles du jeu démocratiques », dit Sheri Berman, professeur de science politique à l’Université Columbia, contactée par Le Devoir dans l’État de New York. « La décision du tribunal électoral brésilien est donc une évolution très positive pour la démocratie du Brésil. »

Mais, selon elle, il est difficile de voir comment cette décision pourrait venir inspirer les institutions américaines pour freiner les ambitions antidémocratiques de Donald Trump. « Nous en sommes là, dit-elle. La politique américaine est tellement polarisée que les opinions sur Trump et sur ses actions sont surtout guidées de manière écrasante par la partisanerie, plutôt que par une évaluation “objective” de la menace qu’il représente pour la démocratie américaine. »

Depuis sa dernière mise en accusation, la popularité de l’ex-président a chuté au sein de l’électorat républicain, mais elle reste toujours très élevée, à 60 % d’avis favorable, contre 68 % juste avant son passage devant un juge fédéral d’un tribunal de la Floride, selon le dernier coup de sonde de l’institut NORC pour le compte de l’Associated Press.

« Les sociétés doivent utiliser tous les outils à leur disposition pour délégitimer les populistes et leur politique, dit Marc Froese. Le Brésil a un tribunal électoral. Le Canada et les États-Unis n’en ont pas, mais ils ont d’autres ressources : les partis politiques, premier garde-fou de la démocratie libérale, qui doivent jouer leur rôle en s’opposant à eux. Et puis, chaque citoyen a également la responsabilité personnelle de barrer la route à la tyrannie antidémocratique du populisme, car lorsque les autoritaires détruisent nos démocraties, ce sont ces mêmes citoyens qui en sont les premières victimes. »

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