L’inquiétant rapprochement de Moscou avec Pyongyang

Le leader de la Corée du Nord, Kim Jong-un, et l’homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine, en avril 2019
Archives Agence France-Presse/KCNA via KNS Le leader de la Corée du Nord, Kim Jong-un, et l’homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine, en avril 2019

La Russie n’a jamais eu peur de se prendre les pieds dans le tapis de l’ironie quand vient le temps de justifier le pire.

Voyez plutôt : au début de la semaine, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a rappelé « un vieux dicton russe » pour expliquer le troublant rapprochement en cours entre Moscou et le régime dictatorial de Kim Jong-un, en Corée du Nord. « On ne choisit pas ses voisins et il vaut mieux vivre avec eux, en paix et en harmonie », a-t-il dit, cité par l’agence de presse assujettie au Kremlin, Interfax. Un principe visiblement à deux vitesses, qui s’applique à Pyongyang plus qu’à Kiev, surtout si l’harmonie recherchée avec l’un de ses voisins ne vise au final qu’à alimenter l’agression armée contre l’autre.

Mardi, Moscou n’a pas voulu confirmer l’information révélée la veille, voulant qu’une rencontre au sommet était en préparation dans les prochains jours entre le leader de la Corée du Nord, Kim Jong-un et l’homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine. C’est Washington qui a lâché le morceau lundi tout en s’inquiétant de cette réunion au sommet allant bien plus loin que le simple entretien d’une relation de bon voisinage. La Russie chercherait surtout à s’approvisionner en obus d’artillerie, missiles antichars et composantes militaires auprès de la dictature nord-coréenne, pour renflouer son arsenal épuisé par près de 560 jours d’une guerre lancée en 2022 contre l’Ukraine.

Le face-à-face entre les deux dictateurs risque de se tenir à Vladivostok, pas très loin de la frontière de la Corée du Nord, entre le 10 et 13 septembre prochain, alors que la cité portuaire sibérienne se prépare à être l’hôte du Forum économique oriental, le « Davos » de l’Extrême-Orient russe.

La haute diplomatie est en marche active depuis juillet entre les deux pays après que le ministre de la Défense s’est rendu à Pyongyang pour assister à un défilé militaire aux côtés de Kim Jong-un. Les entretiens de suivi de plusieurs hauts responsables russes envoyés en Corée du Nord se sont poursuivis dans la foulée, ressuscitant ainsi une relation entre les deux capitales qui prévalait durant la guerre froide, que la chute de l’URSS au début de 1990 a réduite à presque néant, et qui cristallise désormais, plus que jamais, une nouvelle menace pour la sécurité de la région, et celle du reste du monde.

L’opportunisme de la manoeuvre est évident. C’est que Pyongyang veut un accès par la Russie à des technologies dont le régime de Kim a besoin pour ses programmes militaires spatiaux et balistiques. Et ce, en contournant les sanctions économiques qui pèsent sur lui. La Russie, pour sa part, trouve en son voisin un accès à des armes contraint par son isolement des derniers mois tout comme les sanctions avec lesquelles elle doit aussi composer. Leur renouvellement ne peut alors se faire à un rythme suffisant pour maintenir sa pression sur le territoire ukrainien.

Mais cela vient aussi démontrer la volonté des deux parties à « s’autoriser mutuellement de manière flagrante à violer le droit international », aux dépens de « la paix et la sécurité en Europe et en Asie », a résumé mardi dans les pages du New York Times, Leif-Eric Easley, professeur d’études internationales à l’Université pour femmes Ewha de Séoul, en Corée du Sud.

La semaine dernière, Washington, Londres, Séoul et Tokyo ont d’ailleurs activé les systèmes d’alarme de la communauté internationale en dénonçant d’une seule voix tout accord de coopération militaire en chantier entre la Russie et la Corée du Nord. Cela aurait pour effet, selon eux, de bafouer les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU interdisant les ventes d’armes à Pyongyang. Moscou, en tant que membre permanent de ce Conseil, a approuvé ces résolutions.

Lundi, Sergueï Choïgou a confirmé que les deux pays envisageaient de tenir des exercices militaires conjoints, un cadre qui, au-delà de l’image de fraternité qu’il expose, est également propice aux partages de connaissance ou d’équipements et peut facilement poser les bases de transactions.

« Ce n’est pas la première fois que la Russie viole les résolutions du Conseil de sécurité pour poursuivre sa guerre illégale contre l’Ukraine, ont dit les États-Unis, le Royaume-Uni, la Corée du Sud et le Japon dans une déclaration commune qui qualifie d’« inacceptable » le comportement de Moscou. Cela envoie un mauvais message aux aspirants à la prolifération nucléaire : si vous vendez des armes à la Russie, la Russie défendra — voire permettra — votre quête d’armes nucléaires ».

Il ne fait plus aucun doute que dans la foulée de son agression contre l’Ukraine, Moscou cherche désormais à reconstruire un front commun contre l’Occident que Vladimir Poutine a décidé de concevoir comme « hostile ». Le Kremlin veut y inclure la Chine, deuxième partenaire commercial du Canada, rappelons-le, mais n’a surtout plus peur d’y faire entrer désormais des « États voyous », comme la Corée du Nord ou l’Iran — dont les drones destructeurs, vendus à la Russie, tombent régulièrement sur l’Ukraine.

Une direction inquiétante tracée entre Moscou et Pyongyang depuis 2017 et la reprise des essais nucléaires du Nord par le régime de Kim Jong-un, balisée par une précédente rencontre avec Poutine, en 2019, et dont la suite ne peut finalement étonner personne.

 

En juin dernier, dans son message envoyé à Poutine pour la fête nationale russe, le dictateur nord-coréen avait promis le « plein soutien » de son pays à l’invasion de l’Ukraine par Moscou.

C’étaient les mots. Désormais, le pays, fanatisé, isolé, mais pouvant compter sur une armée d’un million d’hommes, semble prêt à passer aux armes.

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