Un endettement qui grimpe et qui grimpe

Le poids de l’ensemble des dettes publiques et privées dans le monde a plus que doublé depuis les années 1950, et le Canada ne fait pas exception.
Adrian Wyld Archives La Presse canadienne Le poids de l’ensemble des dettes publiques et privées dans le monde a plus que doublé depuis les années 1950, et le Canada ne fait pas exception.

L’endettement des gouvernements, comme des entreprises et des ménages, ne cesse de grossir depuis des décennies. C’est généralement vrai au Canada, mais pas seulement. C’est le cas aussi dans la plupart des autres pays, qui devront chercher de plus en plus fort un moyen de reprendre le contrôle de la situation.

Le poids de l’endettement mondial a reculé pour une deuxième année d’affilée en 2022, a rapporté mercredi le Fonds monétaire international (FMI). S’élevant à 235 000 milliards $US, l’ensemble des dettes publiques et privées équivalait à un peu moins de deux fois et demie la valeur de l’ensemble des richesses produites l’an dernier (238 % du produit intérieur brut mondial), une diminution par rapport au sommet de 258 % atteint lors des jours les plus sombres de la pandémie de COVID, en 2020, de même que par rapport à l’année suivante (248 %). On reste toutefois encore au-dessus du niveau prépandémique (229 %) dans ce qui semble n’être qu’un simple retour à la tendance lourde passée, c’est-à-dire une lente et inexorable hausse de l’endettement en cours depuis les années 1950, lorsque cette proportion était encore inférieure à 100 %.

238 %
C’est la part de l’ensemble des dettes publiques et privées mondiales par rapport à la valeur de l’ensemble des richesses produites en 2022.

« Une leçon de l’histoire récente semble être que, lorsque les dettes augmentent, elles reviennent rarement à leur niveau précédent », a observé le FMI.

Le phénomène s’est notamment observé du côté de l’endettement des pouvoirs publics, dont le poids a d’abord diminué au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, à la faveur de la forte croissance économique, avant de repartir à la hausse au milieu des années 1970, passant alors d’une moyenne de 36 % du PIB mondial à plus de 90 % l’an dernier. Du côté de l’endettement privé des entreprises et des ménages, la hausse a été plus constante, au point de tripler depuis les années 1950 (de 41 % à 146 % aujourd’hui), en dépit d’un léger recul dans la foulée de la crise financière de 2008.

Ces dernières années, la hausse de l’endettement mondial a notamment été le fait de la Chine, dont le développement a lourdement reposé sur l’investissement à crédit des pouvoirs publics (endettement de 64 % de son PIB en 1985, passé à 195 % l’an dernier) de même que celui des acteurs privés (de 98 % en 2006, passé à 134 % en 2022). La deuxième économie du monde compte ainsi désormais pour plus du quart (28 %) de la dette privée mondiale. Ce qui explique, notamment, que tout le monde actuellement soit si nerveux devant les problèmes colossaux d’endettement de son secteur immobilier.

Pendant ce temps au Canada

 

Le Canada ne fait pas exception. Proche de 67 % de son PIB à la veille de la dernière crise financière de 2008, le poids de la dette de ses pouvoirs publics a augmenté graduellement (à 90 % en 2019) avant de bondir durant la pandémie (119 % en 2020), puis de se replacer un peu depuis (107 % en 2022). L’endettement de ses entreprises (de 107 % en 1990 à 165 % l’an dernier), comme celui des ménages (de 40 % au milieu des années 80 à 102 % en 2022), a suivi la même trajectoire ascendante.


 

Dans ce contexte, observent les experts, le ralentissement de la croissance économique n’est pas une bonne nouvelle. Pas plus que le relèvement accéléré des taux d’intérêt qui s’appliquent justement à ces dettes de plus en plus lourdes. Ces derniers devront redoubler de vigilance afin d’éviter que trop de ménages et d’entreprises ne soient tirés vers le fond par le poids de leurs dettes, prévient le FMI. À défaut de pouvoir renverser l’état de leurs propres finances du jour au lendemain, les gouvernements devraient également, à tout le moins, indiquer de manière crédible comment ils entendent se replacer sur une trajectoire plus soutenable à moyen terme.

Dans son dernier Rapport sur la politique monétaire, la Banque du Canada reconnaissait, au mois de juillet, que la forte hausse de ses taux d’intérêt « a alourdi le service de la dette et réduit les ressources liquides » des ménages et des entreprises. Si la situation de nombreux Canadiens reste saine en raison de la vigueur du marché du travail et d’une plus grande épargne durant la pandémie, « une plus petite portion de ménages subissent des tensions financières considérables ». Le nombre de ces derniers est toutefois appelé à grossir, observait la banque centrale, puisqu’en raison des différences d’échéance sur les prêts en vigueur, seulement le tiers environ des emprunteurs hypothécaires ont été touchés directement par les hausses de taux jusqu’à présent.

Des hausses d’impôt ?

Dans ses dernières Perspectives économiques du mois de juin, l’OCDE voyait mal comment les gouvernements parviendront à réduire leur train de vie après le choc budgétaire de la pandémie, de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique qui s’est ensuivie. Et ce, même s’ils ont la bonne idée de resserrer et de mieux cibler leurs mesures d’aide pour amortir les effets de l’inflation. C’est que, « nombre d’entre eux devront faire face à une accentuation des tensions sur les dépenses futures liées au vieillissement démographique, à la transition climatique et [justement] à l’alourdissement de la charge du service de la dette publique dû à la hausse des taux d’intérêt ».

Et il n’y a pas que cela. La guerre en Ukraine a relancé le désir des États de s’armer alors que la pandémie a remis au goût du jour les gouvernements plus interventionnistes dont les politiques industrielles carburent aux subventions, observaient des experts dans le Financial Times au début du mois.

Dans ce contexte, le poids de la dette publique ne pourra pas diminuer beaucoup les prochaines années. Au contraire, poursuivaient nos experts. Comme la croissance économique s’annonce poussive et ne sera vraisemblablement pas assez forte pour financer toutes ces nouvelles initiatives, les gouvernements seront rapidement placés devant l’obligation de revoir à la baisse leurs ambitions ou de recourir à une forme ou l’autre de hausse d’impôts.

Le travail de persuasion ne sera toutefois pas facile auprès de populations déjà aux prises avec une forte augmentation du coût de la vie et une croissance économique morose. Sans parler de leur niveau d’endettement élevé.

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