Un appel à la destitution comme une arme à double tranchant

L’enquête en destitution lancée mardi contre Joe Biden se concentre surtout sur les relations commerciales de sa famille, et particulièrement celles de son fils à l’étranger.
Saul Loeb Agence France-Presse L’enquête en destitution lancée mardi contre Joe Biden se concentre surtout sur les relations commerciales de sa famille, et particulièrement celles de son fils à l’étranger.

Oeil pour oeil, dent pour dent. Après l’appel lancé il y a quelques jours par Donald Trump sur son réseau social de « soit destituer le bon à rien » — il est question ici de Joe Biden —, « soit de sombrer dans l’oubli » — il est question ici du Parti républicain —, le président de la Chambre des représentants, le républicain Kevin McCarthy, a décidé mardi de lancer une enquête en destitution ciblant l’actuel occupant de la Maison-Blanche. Parce qu’« ils nous l’ont fait », a justifié Donald Trump, lui-même placé face à deux enquêtes, puis deux procès en destitution durant et juste après sa présidence.

La procédure, mue par la vengeance, semble toutefois reposer sur des bases fragiles et des accusations qui peinent à être soutenues par des faits. Elle pourrait très vite devenir une arme à double tranchant pour le Parti républicain à l’approche d’une présidentielle dans laquelle le parti pourrait se lancer avec un candidat, Donald Trump, souillé par quatre procès en cours, dont deux pour avoir cherché à pervertir le processus électoral et la démocratie américaine.

Pourquoi les républicains cherchent-ils à destituer Joe Biden ?

L’enquête en destitution lancée mardi contre le président américain se concentre surtout sur les relations commerciales de sa famille, et particulièrement celles de son fils, Hunter Biden, à l’étranger. Elle cherche aussi à exploiter une enquête pour crime fiscal lancée par la justice américaine contre ce même Hunter et que le président aurait indûment ralentie, selon les républicains.

« Cette enquête en destitution n’est rien d’autre qu’un stratagème politique concocté par les membres les plus extrémistes du caucus républicain de la Chambre des représentants, résume en entrevue au Devoir, le politicologue Alvin B. Tillery, Jr. de l’Université Northwestern en Illinois. Et malheureusement, Kevin McCarthy est si faible qu’il n’a pas la capacité de tenir tête au groupe d’élus qui a initié tout ça. »

Donald Trump s’active en coulisse depuis plusieurs mois pour obtenir cette enquête en destitution, en faisant pression, entre autres, sur Elise Stefanik, une influente membre de la frange radicale du parti à la Chambre. Elle a dit d’ailleurs avoir parlé avec le populiste peu de temps avant l’annonce faite par McCarthy mardi.

Depuis plusieurs mois, cette frange radicale creuse sans relâche dans le passé de Hunter Biden et dans les affaires qu’il a menées en Ukraine, entre autres, alors que son père était vice-président, et ce, pour y trouver les preuves d’une corruption qui aurait profité à Joe Biden. En vain.

Au début de la semaine, le Congressional Integrity Project a d’ailleurs qualifié d’« échec lamentable » l’enquête menée depuis huit mois par le comité de surveillance de la Chambre sous la présidence du radical James Comer pour alimenter cette destitution. Dans son rapport, qui fait l’autopsie d’un faux scandale, le groupe qui surveille les activités des élus à Washington estime que la seule réussite des républicains dans ce dossier est finalement d’avoir « exagéré à plusieurs reprises les allégations » de pots-de-vin et de corruption contre Biden, pour les voir ensuite, les unes après les autres, réduites à néant par l’examen minutieux des faits, expose-t-il.

Quelle portée va avoir cet appel à la destitution de Joe Biden ?

« Cette mise en accusation n’aboutira à rien pour deux raisons. Premièrement, il n’est pas clair que Hunter Biden ait commis des crimes graves dans son travail à l’étranger. Deuxièmement, rien ne prouve que le président Biden, lorsqu’il occupait le poste de vice-président, ait profité de sa fonction pour aider son fils dans ses affaires », dit Alvin B. Tillery, Jr.

« Et même si les républicains réussissaient à mettre en relief des irrégularités dans les affaires de Hunter Biden pour embarrasser le président, rien de tout cela n’aurait finalement d’importance dans une affaire de destitution », ajoute pour sa part Matthew Eshbaugh-Soha, spécialiste de la politique américaine et professeur à l’Université du Nord Texas.

Ironiquement, la faiblesse de la cause ne semble pas avoir échappé à plusieurs républicains, un peu plus modérés, au sein de la Chambre. Lundi, dans les pages du magazine Forbes, le représentant de l’Ohio, David Joyce, a qualifié de « prématuré » tout appel à destituer Joe Biden, en évoquant le fait qu’il ne voyait « pas de faits ni de preuves à ce stade ».

Mardi, la Maison-Blanche n’a pas seulement dénoncé l’absurdité de la démarche, mais a également appelé, dans une note envoyée aux médias indépendants du pays, à « intensifier leur examen d’une mise en accusation fondée sur des mensonges ». Elle rappelle qu’un appel à la destitution est « grave, rare et historique » et doit reposer, selon la Constitution, sur des accusations de « trahison, de corruption » ou sur « des crimes et délits graves ». Les républicains n’ont apporté la preuve à « rien de tout cela », ajoute le siège du pouvoir exécutif américain, en précisant : « dans l’environnement médiatique moderne, où chaque jour des menteurs et des colporteurs de désinformation répandent des mensonges, de Facebook à Fox, les reportages qui ne parviennent pas à dévoiler l’illégitimité des affirmations sur lesquelles les républicains de la Chambre fondent toutes leurs actions ne servent finalement qu’à générer de la confusion et à obscurcir la vérité ».

Mardi, Kevin McCarthy a lancé l’enquête contre Biden sans la soumettre à un vote de la Chambre. La faible majorité des républicains couplée aux réticences de quelques modérés aurait pu compromettre en effet la mise en marche du projet.

Si les représentants devaient réclamer la destitution du président au terme de cette enquête, la procédure est condamnée toutefois à faire chou blanc en arrivant au Sénat où les démocrates détiennent une majorité et où plusieurs sénateurs républicains ont décrié le vide sur lequel les républicains de la Chambre cherchent à destituer Joe Biden.

Dans les pages du quotidien The Hill, le sénateur républicain de la Floride, Marco Rubio, a rappelé mardi que la destitution d’un président « doit généralement être évitée dans l’intérêt du pays ». « Cela ne doit pas devenir une routine », a-t-il ajouté.

La procédure peut-elle se retourner contre les républicains ?

Le risque est élevé. « Ce coup d’éclat ne peut fournir qu’une preuve supplémentaire au peuple américain que le Parti républicain n’est finalement plus un parti sérieux lorsqu’il s’agit de gouverner et qu’il n’arrive plus à utiliser son pouvoir pour résoudre les problèmes des gens », dit Alvin B. Tillery Jr.

N’empêche, mardi, la républicaine Marjorie Taylor-Greene, une proche de Donald Trump, a prévenu que cette enquête en destitution allait durer « aussi longtemps que nécessaire », soit jusqu’à la présidentielle de 2024, de manière à pouvoir devenir, sans doute, une composante de la campagne de son parti pour regagner la Maison-Blanche.

« Il faut garder à l’esprit que les républicains n’ont pas obtenu les gains espérés lors des élections de mi-mandat en 2022 et plusieurs candidats risquent d’avoir de la difficulté à soutenir une enquête en destitution faible, si cela risque d’affecter leur réélection en 2024 », dit Matthew Eshbaugh-Soha. « Si les républicains n’ont pas d’arguments solides pour destituer Biden, mais cherchent à le faire quand même, le peuple américain pourrait les punir » une fois arrivé devant les urnes.

À voir en vidéo