Québec mis en garde contre les coupes forestières à Anticosti

Des photos prises en 2020 témoignent du caractère «industriel» des coupes effectuées à Anticosti, selon Alain Branchaud.
Photo: Courtoisie de la SNAP Québec Des photos prises en 2020 témoignent du caractère «industriel» des coupes effectuées à Anticosti, selon Alain Branchaud.

L’organisme international qui fixe les règles à respecter pour qu’une aire protégée soit reconnue comme telle met en garde le gouvernement Legault contre la poursuite des coupes forestières sur Anticosti, les jugeant incompatibles avec la protection du territoire. Québec a promis de protéger l’île, tout en évoquant ouvertement le maintien de l’activité forestière, mais sans préciser la nature des coupes qui seront autorisées.

Dans une lettre envoyée mercredi aux différents ministères impliqués dans le dossier, et dont Le Devoir a obtenu copie, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) se dit « inquiète » des informations qui laissent entendre que des coupes forestières intensives seraient maintenues sur Anticosti, alors que le gouvernement a promis de protéger 90 % de l’île.

« Nous tenons à rappeler au gouvernement du Québec que les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature ne permettent pas, dans aucun cas et sous aucune condition, des activités industrielles, telles que les coupes à blanc forestières, dans aucune des catégories d’aires protégées, peu importe leurs buts spécifiques », souligne l’organisme.

On ne sait pas encore quelle sera la nature précise des coupes qui seront maintenues sur la plus grande île du Québec, qui souhaite être reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais le gouvernement Legault a l’intention d’y mener un « projet pilote » qui doit permettre la mise en place d’une « aire protégée d’utilisation durable » (APUD), une nouvelle catégorie de protection qui a été créée par le gouvernement caquiste.

Ce projet « vise notamment à déterminer où et quel type de foresterie pourra y être pratiqué, et ce, en collaboration avec le comité qui compte notamment Nature Québec, des représentants de la communauté locale, économique, municipale et gouvernementale. Notre échéancier des travaux du comité se situe entre 18 et 24 mois », précise le cabinet du ministre de l’Environnement, Benoît Charrette. Ce dernier n’a pas voulu commenter la lettre de l’UICN, tout en promettant de respecter « les normes » de l’organisme.

Pour le moment, le gouvernement « poursuivra la mise en œuvre des activités d’aménagement forestier réalisées dans le cadre du Plan général d’aménagement intégré des ressources qui s’applique sur le territoire aménageable de l’île et qui vise la restauration et le maintien de l’habitat du cerf de Virginie », ajoute le cabinet du ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour.

Coupes et cerfs

 

Bon an mal an, environ 100 000 mètres cubes de bois ont été récoltés sur Anticosti au cours des dernières années, dans le cadre de coupes qualifiées de « coupes à blanc » par la Société pour la nature et les parcs. Des photos prises en 2020 témoignent de leur caractère « industriel », selon son directeur général, Alain Branchaud.

Québec a par ailleurs évoqué ouvertement la poursuite des coupes dans le contexte de la mise en œuvre de l’APUD, mais en précisant que celles-ci seraient conçues pour permettre la régénération de l’habitat du cerf de Virginie, une espèce introduite sur l’île et qui s’y trouve en surnombre.

Or, la lettre envoyée cette semaine par l’UICN au gouvernement est formelle : « Dans le cas de la population de cerfs de Virginie sur l’île d’Anticosti, cette espèce se compte parmi les très rares espèces qui profitent de la foresterie industrielle. Cela étant dit, le fait que les coupes à blanc profitent aux populations des cerfs dans un territoire donné ne justifie pas la reconnaissance de ce territoire comme aire protégée, et la Commission mondiale des aires protégées ne saurait cautionner quelconque exception aux activités interdites dans une APUD. »

Pour Alain Branchaud, la lettre de l’UICN démontre que le Québec ne peut pas autoriser des coupes forestières dans une aire protégée. Il craint cependant que le gouvernement Legault utilise ce modèle pour ses projets de protection du territoire, dans un contexte où le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a bloqué des projets d’aires protégées pour éviter de réduire le volume de bois disponible pour l’industrie forestière.

À titre d’exemple, en 2019, le MFFP avait formulé des avis défavorables à la mise en place d’une bande de protection autour de l’île d’Anticosti afin de protéger les sites fossilifères qui pourraient être reconnus au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le ministère avait finalement accepté la mise en place d’une bande d’un kilomètre, soit le minimum requis.

1000 km2 de permis d’exploration

Même si l’exploration pétrolière est formellement interdite sur l’île d’Anticosti depuis le mois de juillet 2017, Hydrocarbures Anticosti S.E.C., contrôlée par le gouvernement du Québec, y détient toujours cinq permis d’exploration. Ces permis recouvrent une superficie totale de près de 1000 km2. Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles assure toutefois que ces permis seront abandonnés au cours de l’année 2021. « Aucune intention autre que celle de l’abandon administratif définitif n’est prévue pour ces cinq licences d’exploration résiduelles », assure le ministère. Le gouvernement dit aussi avoir fermé « définitivement » les 12 puits forés en 2014 et 2015 sur l’île.

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