Adrian Pastor et Colombe St-Pierre: la nature comme source d’inspiration culinaire

Anne Pélouas
Collaboration spéciale, cariboumag.com
Une création du chef Adrian Pastor
Photo: Anne Pélouas Une création du chef Adrian Pastor

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Colombe St-Pierre et Adrian Pastor ont quelque chose en commun : l’inspiration culinaire que leur fournit le Bas-Saint-Laurent. L’une est native de la région, l’autre y est arrivé dans les dernières années. Ils réinventent tous les deux à leur façon le modèle traditionnel de la restauration. Rencontre en deux temps avec les deux chefs qui donnent envie de prévoir un séjour de fin d’été près du fleuve, le temps d’un week-end gourmand.

À 32 ans, Adrian Pastor est un électron libre du milieu de la restauration qui mène sa propre barque depuis près d’un an. Au titre de « traiteur », il préfère celui de « vendeur d’expériences gastronomiques ».

« Si je n’ai pas assez de mots pour vous raconter ce que j’ai vu, alors je cuisinerai. » Adrian Pastor adore cette phrase du livre L’érable et la perdrix d’Elisabeth Cardin et Michel Lambert. Elle rappelle au jeune chef, Péruvien d’origine et Rimouskois d’adoption, pourquoi il aime tant explorer forêt et littoral avant d’entrer en cuisine. « L’appel de la nature, confie-t-il, est instinctif pour moi qui ai vécu au bord du Pacifique. Elle m’éveille par ses couleurs, ses odeurs et j’y trouve mon inspiration. » D’ailleurs, la mer est tellement importante pour lui qu’il a nommé sa nouvelle entreprise « Projet Yaku » (eau en langue quechua).

Adrian anime autant des ateliers culinaires que des activités de chef à la maison ou au chalet, comme il le fait au Vieux loup de mer, dont les chalets hôteliers dominent l’archipel du Bic. Il prépare aussi des plats dans la cuisine de transformation du restaurant L’Arlequin, à Rimouski, qu’il propose lors d’événements ponctuels et à l’épicerie fine du Vieux loup de mer (le Garde-manger). Adrian Pastor a même sa place réservée comme « chef en résidence » dans le bâtiment en construction sur le site des chalets, qui accueillera d’ici quelques mois des événements de groupes. Pour l’heure, il est également professeur de cuisine dans une école secondaire et chroniqueur culinaire à la radio de Radio-Canada Bas-Saint-Laurent.

Photo: Anne Pélouas Adrian Pastor

Immigrer sans parler français

Adrian Pastor travaille déjà en cuisine au Pérou quand il y rencontre une Québécoise, se marie et rentre avec elle à Québec en 2017, parlant à peine deux mots de français. « Je l’ai appris en m’intégrant, en lisant beaucoup et en travaillant fort. Ce fut très dur, mais un jour, je me suis senti soulagé : je pensais en français. Maintenant, j’en suis très fier. »

Après six mois dans la Belle Province, devenu sous-chef au resto-bar de Québec Chez Rioux et Pettigrew, il rencontre Colombe St-Pierre au Bic. « Elle m’a tellement épaté », dit celui qui entrera dans l’équipe de son restaurant, Chez Saint-Pierre, en 2019. Il y devient sous-chef peu après. « Colombe m’a permis de me consolider dans mon métier, précise-t-il, tout en me laissant m’exprimer, par exemple en proposant un céviche péruvien où le jus de rhubarbe remplace la lime. »

Séparé, avec deux jeunes enfants en garde partagée, il rejoint l’année suivante le restaurant L’Arlequin, à Rimouski, comme chef du midi. Demi-finalisteà l’émission de télévision Les chefs !, édition 2022, il décide ensuite de voler de ses propres ailes, mais sans pour autant rêver d’ouvrir son restaurant.

Coureur, surfeur, cueilleur

Courts cheveux bruns et fine moustache, Adrian Pastor a un physique de grand sportif. Surfeur émérite au Pérou, il court après les grosses tempêtes en Gaspésie ou en Nouvelle-Écosse. Au quotidien, dit-il, « je me lève très tôt et pars courir. Ces moments de silence et d’observation de la nature m’énergisent et font partie intégrante de mon processus de création en cuisine ». Cueillir épinard de mer, gesse maritime, livèche écossaise, pousses d’épinettes, champignons et fruits sauvages est aussi essentiel à son équilibre de vie.

« La cuisine est pour moi une façon de communiquer, ajoute-t-il. Je ne vis pas dans la nostalgie de mon pays d’origine. Comme humain, on a des racines mobiles qui permettent de s’adapter et de créer un sentiment d’appartenance à notre lieu de vie. »

Il faut goûter ses huîtres (de Trésor du large) : avec mignonette à la purée de camerise, fenouil et échalotes, oeuf de poisson volant et faux caviar au jus d’huître gélifié. Ou ce plat de « chef au chalet » inspiré de ses racines péruviennes et de la forêt boréale du Bas-Saint-Laurent : une boule de pâte froide de pommes de terre à l’huile de sapin baumier, surmontée d’un pétoncle poêlé sur lequel coule un exquis fumet de flétan et crème réduite. Son dessert « terre et mer » fétiche, façon tarte au citron ? Un fond de tarte à l’encre de seiche, jus de rhubarbe, ganache parfumée au foin d’odeur rappelant la vanille, et fleur de centaurée.

Son projet pour octobre : quatre ateliers culinaires donnés au restaurant L’Arlequin à propos de l’oursin du Saint-Laurent, histoire « de démystifier le produit, de savoir où s’approvisionner et de l’intégrer dans notre alimentation ». Le chef apprécie par-dessus tout le contact direct avec le client, pour transmettre son message : celui de « quelqu’un qui vient d’ailleurs et communique son adaptation au territoire dans des créations culinaires à base de produits régionaux ».

Colombe St-Pierre : démocratiser la gastronomie

Rencontrée à la Cantine côtière de Saint-Fabien, ouverte depuis juin et jusqu’à la fin de septembre, la cheffe vedette, native du Bas-Saint-Laurent, n’a rien perdu de son enthousiasme quand il s’agit de parler d’autonomie alimentaire, de démocratisation de la gastronomie et de relève en restauration…

Photo: Cantine côtière Colombe St-Pierre

Votre déménagement de la Cantine côtière,du Bic à Saint-Fabien, a fait grand bruit au printemps. Pourquoi avoir pris cette décision ?

Il fallait changer la réglementation municipale sur le zonage pour rouvrir la cantine, installée en 2020 près de l’église du Bic, mais le dossier n’avançait pas. En décembre dernier, on a donc acheté le casse-croûte Lilo, sur la route 132, à Saint-Fabien [pour y déménager la cantine]. Il a fallu agrandir la cuisine, construire une terrasse couverte, investir dans un camion réfrigéré, déménager nos conteneurs du Bic qui agrémentent un espace arrière festif.

Votre saison se terminant bientôt, quel bilan en tirez-vous ?

On a eu trois fois plus d’achalandage qu’au Bic : de 800 à 1200 clients par jour au plus fort de l’été. Notre principal défi a été de trouver du personnel et de le garder. J’ai perdu plusieurs jeunes retournés à l’école fin août, raison pour laquelle je dois réduire mes jours d’ouverture. Il faut du monde pour préparer, entre autres, plus de 200 guédilles au homard ou aux crevettes et 300 pogos de saucisses de porc et bourgots par jour, et transformer en frites 1500 livres de pommes de terre par semaine !

Quel avenir pour votre restaurant Chez Saint-Pierre, qui était fermé cet été ?

Je suis encore en réflexion. Pour l’instant, il reste fermé et je l’utilise comme cuisine de production pour la Cantine côtière, la préparation de quelques plats cuisinés et pour des soupers gastronomiques que j’organise de façon spontanée, quand j’ai du personnel.

J’ai trouvé difficile de gérer la notoriété que j’ai acquise et j’ai voulu changer de registre avec la Cantine côtière et une formule pop-up au restaurant du Bic. Sa faible rentabilité (avec 2 % de profit, contre 12 à 17 % à la Cantine côtière) a aussi joué.

J’ai surtout davantage envie d’oeuvrer à la démocratisation de la gastronomie plutôt qu’à conserver un restaurant où les gens déboursent 350 $ par repas. Je veux servir à quelque chose et j’ai le goût de faire découvrir de bons plats et ingrédients à un maximum de monde.

On vous connaît comme une cheffe engagée. Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?

L’idée de la Cantine était de faire du volume de qualité et santé, tout en retrouvant notre empreinte côtière par une mise en valeur des produits de la mer pêchés dans le Saint-Laurent. C’est dans la lignée de mon implication dans le collectif Mange ton Saint-Laurent et dans les questionnements que je partage depuis vingt ans sur ce qu’on mange et pourquoi on le mange. C’est ma façon d’essayer d’avoir une influence sur la consommation de produits pêchés ici.

Ça fait des années aussi que je milite pour l’autonomie alimentaire et une cuisine québécoise plus identitaire, reflet du territoire où l’on habite. Je ne suis pas juste une cuisinière, car même en cuisine, je suis une bibitte toujours en réflexion, qui veut garder sa créativité sans s’accrocher au passé et en gardant le lien avec mon territoire.

En février prochain, vous reviendrez à l’émission de télévision «Les chefs !» Soutenir la relève en restauration fait également partie de votre engagement ?

J’aime la jeunesse. J’aime la côtoyer dans mon quotidien comme dans cette émission de télé. C’est un grand défi de notre secteur que de prendre soin de cette relève.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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