«Saving Private Ryan»: le film de guerre novateur de Spielberg a 25 ans

Le film Saving Private Ryan, de Steven Spielberg, met entre autres en vedette les acteurs Adam Goldberg, Edward Burns, Tom Hanks, Matt Damon et Tom Sizemore.
Le film Saving Private Ryan, de Steven Spielberg, met entre autres en vedette les acteurs Adam Goldberg, Edward Burns, Tom Hanks, Matt Damon et Tom Sizemore.

La série A posteriori le cinéma se veut une occasion de célébrer le 7e art en revisitant des titres phares qui fêtent d’importants anniversaires.

C’est bien connu, Steven Spielberg commença à tourner des films dès l’enfance, armé d’une caméra super-8. L’un d’eux s’intitule Escape to Nowhere, et est campésur un champ de bataille durant la Seconde Guerre mondiale. C’était à ce stade l’un des courts métrages les plus aboutis du réalisateur en herbe, alors âgé de 16 ans. Des décennies plus tard, Spielberg projeta cette « oeuvre de jeunesse » à son équipe. Le projet du moment ? Saving Private Ryan (Il faut sauver le soldat Ryan), sorti il y a 25 ans, en juillet 1998. Ce chef-d’oeuvre changea non seulement la manière de filmer, mais aussi celle d’imaginer la Seconde Guerre mondiale.

Le film conte l’équipée, à travers la France occupée par l’ennemi allemand, d’un détachement de soldats américains chargé de secourir un compagnon dont les trois frères ont été tués.

Le scénariste Robert Rodat est à l’origine du projet. Un jour, sa conjointelui offrit un ouvrage consacré au débarquement de Normandie, survenu le 6 juin 1944. Rodat fut entre autres frappé par les pertes multiples subies au sein de mêmes familles : c’est la raison d’être de la politique du seul survivant. Élaborée en 1942, après qu’une fratrie eut été décimée lors de l’attaque de Pearl Harbor, cette mesure vise à protéger un ou une militaire dont le reste de la famille a péri au combat.

Dès qu’il le lut, Tom Hanks fit parvenir le scénario à Steven Spielberg : les deux hommes voulaient collaborer depuis longtemps. Afin d’accroître le niveau de véracité, Spielberg embaucha Frank Darabont, réalisateur et scénariste de The Shawshank Redemption (À l’ombre de Shawshank), et Scott Frank, réalisateur et scénariste de The Queen’s Gambit (Le jeu de la dame), pour des réécritures qui tiendraient compte de témoignages de vétérans.

Fils de vétéran, Steven Spielberg écouta avec fascination, son enfance durant, les souvenirs de son père liés au conflit de 1939-1945 : Saving Private Ryan lui est d’ailleurs dédié.

La séquence du débarquement

Ce souci de vérité historique est saisissant lors de la séquence du débarquement à Omaha Beach, qui survient vers le début du film, et qui dure 25 minutes. Jamais l’horreur du champ de bataille n’avait-elle été évoquée de manière aussi viscérale.

Amateur de films de guerre depuis toujours, Spielberg n’en élabora pas moins une vision radicalement différente pour son film. Dans le recueil Steven Spielberg. Interviews, de Lester D. Friedman et Brent Notbohm, le cinéaste expliquait en 2000 : « Sur Private Ryan, j’ai essayé d’adopter l’approche opposée de presque chacun de mes films préférés sur la Seconde Guerre mondiale. Les films réalisés pendant la guerre ne se sont jamais vraiment préoccupés d’être réalistes, mais plutôt de vanter les mérites de gagner et de se sacrifier sur l’autel de la liberté […] J’adore ces films, mais je pense que le Vietnam a poussé les gens de ma génération à dire la vérité sur la guerre sans la glorifier. En conséquence, j’ai adopté une approche beaucoup plus dure pour raconter cette histoire précise. »

En guise d’inspiration, Steven Spielberg et Janusz Kamiński, directeur photo de Schindler’s List (La liste de Schindler), étudièrent des documentaires tournés pendant la Seconde Guerre mondiale. Au magazine American Cinematographer, Kamiński confiait en 1998 : « Nous voulions créer l’illusion qu’il y avait plusieurs cameramans de combat débarquant avec les troupes en Normandie. »

Dans cette optique, le directeur photo utilisa une variété d’objectifs plus anciens desquels il fit retirer le revêtement protecteur : « Le contraste est devenu beaucoup plus terne. Sans les revêtements, la lumière pénètre dans l’objectif puis rebondit tout autour, de sorte que l’image devient un peu brumeuse, mais toujours nette. »

On joua avec les obturateurs, on développa des techniques artisanales pour faire trembloter les caméras… La séquence nécessita quatre semaines de tournage, 1500 figurants et un budget de 12 millions de dollars américains (le film en coûta 65 au total).

Or, avant même de tourner ce qui constituait l’une des séquences les plus ambitieuses de son illustre carrière, Spielberg prit le parti risqué de se mettre en danger. Comme le relèvent Lester D. Friedman et Brent Notbohm dans leur recueil : « Techniquement, Spielberg reconnaît que ses dons immenses pour les récits visuels, ainsi que sa volonté de contrôler chaque aspect du tournage, peuvent entraver le flux instinctif d’images issues de son imagination. Dans ses projets les plus personnels — E.T., Schindler’s List, la séquence d’Omaha Beach dans Saving Private Ryan —, il abandonne volontiers ses découpages techniques [story-boards] élaborés scène à scène et permet à plus d’improvisation d’imprégner sa mise en scène. »

Plus loin, Friedman et Notbohm résument : « Spielberg “déglamourise” la technologie et tourne la séquence chaotique d’Omaha Beach du point de vue terrifié du simple soldat, conférant à ce segment une authenticité que l’on ne retrouve dans aucun autre long métrage de guerre hollywoodien. »

D’autorité et d’humanité

Tout de nuances d’autorité et d’humanité dans le rôle du capitaine Miller, Tom Hanks est formidable. En proie au syndrome de choc post-traumatique, Miller doit mener à bien cette périlleuse mission en maintenant le moral et l’esprit de corps de ses troupes.

En effet, certains éprouvent du ressentiment à l’idée de risquer les vies de plusieurs au nom de la vie d’un seul.

Feu Tom Sizemore est mémorable dans le rôle d’Horvath, ami et second de Miller. Idem pour Vin Diesel, dans celui du brave mais tragique Caparzo. Et il y a évidemment Matt Damon, alias le soldat Ryan.

Fait intéressant, Spielberg voulait un acteur peu connu pour incarner James Francis Ryan. Lors d’une visite sur le plateau de Good Will Hunting (Le destin de Will Hunting), l’ami Robin Williams lui présenta le jeune acteur-scénariste…

Lorsqu’il prit l’affiche fin 1997, le film de Gus Van Sant connut le succès que l’on sait, de telle sorte que Steven Spielberg se retrouva malgré lui avec une star de plus au générique du sien à l’été 1998.

Vaste héritage

En lice pour onze Oscar, Saving Private Ryan en remporta cinq, dont ceux des meilleures réalisation et direction photo. L’Oscar du meilleur film lui échappa et alla, dans ce qui est considéré comme l’une des « pires » victoires de l’histoire des Oscar, à Shakespeare in Love (Shakespeare et Juliette).

L’héritage de Saving Private Ryan se sera révélé, c’est un euphémisme, plus important. Dans le livre Citizen Spielberg, Lester D. Friedman affirme : « Saving Private Ryan remodèle la conscience nationale à propos de la Seconde Guerre mondiale en relatant des événements historiques dans une perspective contemporaine, [le film] fonctionnant à la fois comme une commémoration de ces événements et un discours plus large sur l’Histoire. »

Il n’empêche, dès que le film est mentionné, c’est à la séquence du débarquement que l’on repense. À raison, puisqu’elle fait partie de ces morceaux de bravoure cinématographiques novateurs dont on peut dire qu’il y eut un avant et un après.

De Black Hawk Down (La chute du faucon noir) à The Suicide Squad (L’escadron suicide) en passant par Edge of Tomorrow (Un jour sans lendemain) et Dunkirk (Dunkerque), quantité de productions s’en sont inspirées. Dans son autobiographique The Fabelmans (Les Fabelman), Spielberg lui-même y revint… lors du passage consacré au tournage de son court métrage Escape to Nowhere.

Le film Saving Private Ryan est proposé en VsD sur la plupart des plateformes.

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