24 heures sur la planète

Catherine Couturier
Collaboration spéciale
Sur 24 heures, seules trois heures et demie changent profondément la planète, localement et mondialement, pour des activités comme la construction des édifices, infrastructures, manufactures et la production de nourriture et d’énergie, etc.
Illustration: Sébastien Thibault Sur 24 heures, seules trois heures et demie changent profondément la planète, localement et mondialement, pour des activités comme la construction des édifices, infrastructures, manufactures et la production de nourriture et d’énergie, etc.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche: enjeux climatiques

Pour avoir une vision globale de l’impact des activités humaines sur la Terre, des chercheurs ont analysé celles-ci sur l’échelle d’une journée.

Dans le domaine des sciences des systèmes terrestres, on considère la planète comme un système. « Les humains font partie de ce système, mais dans les analyses traditionnelles, ceux-ci ne sont considérés que comme une source d’émission de gaz à effet de serre », s’étonne WilliamFajzel, doctorant à l’Université McGill. Or, comme l’analyse du cycle de charbon l’a montré dans les années 1980, il est essentiel de mieux comprendre ces systèmes pour comprendre la Terre et les changements climatiques.

Une meilleure vue d’ensemble

« On en connaît beaucoup sur les interactions locales, mais on a peu d’outils pour comprendre comment ça fonctionne à l’échelle globale », indique Eric Galbraith, professeur en sciences du système terrestre à l’Université McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en dynamique du système humain-terrestre.

D’où l’importance de prendre du recul. « Nous avons besoin d’un portrait holistique de ce que les humains font. Sans ça, on ne peut s’attaquer aux problèmes », souligne M. Fajzel. Dans le cadre des études de William Fajzel, Eric Galbraith et son équipe ont donc décidé de compiler les activités de la planète et de les ramener sur 24 heures, une échelle de temps universelle. « Avec cette échelle constante, on peut vraiment connaître ce qui se passe dans le monde », avance M. Galbraith. Les résultats ont été publiés dans la revue scientifique PNAS en juin dernier.

Compiler les activités humaines

L’équipe a décidé d’utiliser le temps comme unité de mesure « pour mieux comprendre ce que font les humains sur cette planète en crise », résume M. Fajzel. « Nous voulions simplement quantifier les activités humaines à plus grande échelle. Étonnamment, personne ne l’avait encore fait », raconte M. Galbraith. Ils ont utilisé les enquêtes d’activités menées par les gouvernements partout dans le monde, où les participants étaient appelés à remplir un journal d’activités sur 24 heures.

Ce long travail s’est étalé sur deux ans. « Les données existaient, mais elles n’étaient pas centralisées », note M. Fajzel. Ces données n’étaient pas uniformes, le lexique d’activités étant parfois restreint à une dizaine d’activités, parfois jusqu’à une centaine. « On a essayé de décrire les activités d’une manière non ambiguë, qui fonctionnait pour toutes les cultures », relate M. Galbraith. Les données ont été compilées par pays et par âge, avant qu’on en fasse une moyenne quotidienne pour toute la planète.

Peu de temps, beaucoup d’impacts

Premier constat : les humains passent beaucoup de temps à faire des activités pour eux-mêmes et pour les autres. Dormir est l’activité qui occupe le plus de temps (neuf heures en moyenne) ; suivent les soins d’hygiène, les soins médicaux et de ses proches, et les activités passives (se détendre, regarder la télévision). Toutes ces activités, qui n’ont aucun impact sur la planète (en excluant la production des biens qui leur sont reliés), totalisent environ 18 heures 30 minutes par jour à l’échelle planétaire. Dans le temps qui reste, environ deux heures sont attribuées aux activités organisationnelles : commerce, finance, gouvernance, transport des humains et des produits. Ainsi, sur une période de 24 heures, seulement trois heures et demie changent profondément la planète, localement et mondialement, pour des activités comme la construction des édifices, infrastructures, manufactures, la production de nourriture et d’énergie, etc.

« La majorité du temps, les humains font des activités sans impacts. Ces activités passives, sociales et interactives sont aussi les plus agréables pour eux, observe M. Fajzel. À l’opposé, les activités responsables de la crise planétaire (soit l’extraction de l’énergie et de la matière) occupent environ 10 minutes d’une journée planétaire. »

Donner de l’espoir

Cette étude ouvre une perspective différente et donne de l’espoir devant la tâche colossale d’affronter les changements climatiques. « Si on double le temps pris pour s’occuper d’une activité qui requiert très peu de temps, ça reste encore très peu de temps », fait remarquer M. Fajzel.

Si on consacrait plus de temps, à l’échelle planétaire, à la gestion des déchets, par exemple, beaucoup pourrait être accompli. En ce moment, d’une à deux minutes par jour seulement sont consacrées au recyclage, à la gestion des déchets domestiques et industriels et des égouts. « Ce n’est pas étonnant qu’on ait beaucoup de problèmes avec cette gestion des déchets… Ça montre qu’on a la capacité d’en faire davantage », explique M. Galbraith.

Une telle analyse change aussi complètement la perception qu’on a de la production d’énergie. « On dit que c’est très difficile, d’arrêter d’utiliser les combustibles fossiles, parce que ça occupe une grande partie de l’économie. Mais, en fait, à l’échelle internationale, ça représente deux minutes par jour. On a par conséquent beaucoup de temps disponible pour constituer un nouveau système d’énergie », croit M. Galbraith.

Ce n’est donc pas par manque de temps que les changements ne se font pas, mais plutôt par manque de volonté politique, ou en raison d’autres freins (économiques, organisationnels, etc.). « Maintenant que je vois comment les humains passent leur temps, ça donne de l’espoir : il y a des possibilités pour combattre les enjeux climatiques et favoriser l’économie circulaire », conclut M. Galbraith.

Une première estimation de l’empreinte québécoise

Quatre-vingt-quinze millions de tonnes équivalent CO2, ou 11,3 tonnes par habitant. C’est l’empreinte carbone de la société québécoise pour l’année 2018, selon la première estimation de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), publiée en juin dernier. Ce calcul donne un autre point de vue de la consommation énergétique et de ses effets sur la planète.

Cette donnée correspond à la quantité totale de gaz à effet de serre (GES) « émise par les activités servant à répondre à la demande de biens ou de services », peut-on lire dans le rapport. De ces 95 millions de tonnes, 68, soit 72 % de l’empreinte carbone de la société, servent à répondre à des besoins de consommation courante des ménages (nourriture, carburant, vêtements, loisirs, etc.). Les autres émissions sont générées pour répondre aux besoins de consommation courante des gouvernements et institutions (8 millions de tonnes) et aux besoins d’investissements des ménages, des gouvernements, des institutions et des entreprises (construction d’ouvrages de génie civil, machines et matériel, produits de propriété intellectuelle).

Ce total prend également en compte les dépenses énergétiques faites à l’étranger pour répondre aux besoins des familles québécoises. Ainsi, 31 % de l’empreinte carbone de la société vient de l’extérieur du Canada, surtout de la Chine, à l’origine de 7,4 millions de tonnes équivalent CO2 (les États-Unis suivent pas très loin derrière).

L’ISQ a par ailleurs dressé un portrait des émissions de gaz à effet de serre résultant des exportations québécoises. Celles-ci s’élevaient en 2018 à au moins 77 millions de tonnes équivalent CO2. Plus de la moitié (57 %) découlent des activités du secteur de la fabrication, et le quart (26 %) proviennent du secteur primaire (agriculture, foresterie, extraction minière). Notons qu’une grande partie de ces émissions (47 % ) proviennent de produits faits à l’extérieur du Québec, mais qui entrent dans la composition de produits fabriqués dans la province, puis qui sont exportés.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



À voir en vidéo